un dernier hommage au Père Charles Deckers =

Anvers : mille personnes, dont une délégation algérienne, rassemblés pour

Anvers, 9 janvier 1995 (CIP)

Un millier de personnes ont participé, le 7 janvier, à une eucharistie

célébrée en la cathédrale d’Anvers à la mémoire du Père Charles Deckers,

Père Blanc d’origine belge, assassiné le 27 décembre avec trois confrères

français en Algérie. La messe, présidée par Mgr Paul Van den Berghe, évêque

d’Anvers, était concélébrée par une vingtaine de prêtres et religieux. Une

photo du missionnaire défunt était placée sur l’autel et on pouvait lire en

néerlandais et en arabe cette inscription : «Dieu est amour».

L’ouverture dont le Père Deckers a fait preuve durant sa vie missionnaire,

notamment durant les quarante années passés en Algérie, ont servi de fil

rouge à la célébration. «Charles a poussé son engagement de vie jusqúau

bout, a relevé le Père Theo Caerts, supérieur provincial des Pères Blancs.

Il a donné sa vie par amour pour les gens dont il partageait la vie.

C’était un apôtre de la paix et du dialogue. Il a vécu et il est mort en

témoin de l’Amour de Dieu pour tous les hommes sans distinction.»

Le supérieur provincial s’est réjoui de voir réunis, autour de la figure du

Père Charles, autant de participants, responsables religieux ou croyants

ordinaires. «Mais les témoignages de solidarité les plus émouvants sont

venus d’Algérie», a-t-il souligné, en saluant la délégation de ce pays.

La vie et l’engagement du Père Charles ont fait l’objet de diverses

évocations symboliques. Ainsi, à côté de la photo du défunt, un petit

cierge était accroché au grand cierge pascal en symbole de résurrection

avec le Christ. Le livre des évangiles et un chapelet de missionnaire

étaient aussi déposés à côté de la photo du missionnaire pour faire écho à

son engagement de 45 années en Afrique. Une étole, placée à proximité,

rappelait en outre la figure de ce prêtre, pour qui le souci de Dieu a

toujours été de pair avec le respect de la culture et des convictions de

chacun.

Vie donnée

«Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis», dit

Jésus dans l’évangile de Jean. Cette parole a été mise en relief par le

Père Marcel Aendenboom, confrère du Père Deckers, dont il a retracé la vie

dans l’homélie. C’est en 1950, peu après son ordination sacerdotale, que le

Père Charles partit pour l’Algérie. Il y apprit l’arabe et le berbère avec

une facilité qui impressionna ses compagnons. Plus tard, il vint suivre une

formation en économie à Paris. Il s’apprêtait à fonder une école technique

à Tizi-Ouzou, la capitale kabyle où il fut assassiné. Et il avait déjà fait

sien ce proverbe chinois : «Si tu donnes du poisson à un homme, il mangera

un jour. Si tu lui apprends à pêcher, il mangera toute sa vie.»

Il manifesta ce même sens du respect d’autrui lorsqúil dirigea durant cinq

ans le jeune Centre El Kalima, fondé à Bruxelles en 1977 pour promouvoir le

dialogue avec l’islam.

Les dons recueillis au cours de cette messe ont été offerts au Centre El

Kalima à Bruxelles. Au verso de l’image qui leur était remise en souvenir,

les participants ont pu lire ces mots, extraits d’une lettre adressée par

le Père Deckers à sa famille en date du 26 mars dernier : «Plus que jamais,

je pense que les actes valent mieux que les paroles, même si ces actes,

pour nous, n’impliquent pas davantage que le fait de continuer à vivre au

milieu des gens. Je remets mon sort entre les mains du Seigneur.» Le frère

du Père Charles témoigne

Le corps du Père Charles Deckers a été inhumé dès le 31 décembre à TiziOuzou, une ville de 300.000 habitants, où les chrétiens ne forment qúune

minorité de quelques milliers de personnes. Simon Deckers, qui s’est rendu

là-bas pour les funérailles de son frère, a été touché par l’hommage rendu

ce jour-là par la population locale aux trois religieux assassinés : «Pour

les funérailles, les commerçants avaient baissé les stores et Tizi-Ouzou

est restée une ville morte durant une heure. Peut- être était-ce aussi, de

la part de la capitale kabyle, un lancé à toute l’Algérie : la violence a

fait trop de dégâts ; il faut que cela change !»

Selon son frère Simon, le Père Charles était loin de penser à l’Algérie

lorsque son supérieur le destina à l’Afrique au lendemain de son ordination

sacerdotale en 1950. Il fut donc envoyé en Algérie, alors qúil aurait

préféré devenir missionnaire dans l’ex-Congo belge. Après avoir suivi, en

Tunisie, des cours intensifs de langue arabe, tant l’arabe littéraire

classique que l’arabe parlé d’aujourd’hui, il s’était rendu de sa propre

initiative en Kabylie pour y apprendre le berbère, et il devint un des

rares Européens à pouvoir maîtriser cette langue à la perfection.

Installé en Algérie avec ses compagnons à partir de 1952, le Père Charles

n’était pas destiné au travail paroissial, encore moins à l’annonce directe

de l’Evangile à des foules non christianisées. Selon l’inspiration

originale du cardinal Lavigerie, fondateur de la Société des Missions

Africaines (Pères Blancs), l’essentiel de l’apport «missionnaire» devait

passer par une simple «présence» et dépendait donc d’un «témoignage de

vie».

Cette vie, le Père Charles avait choisi de la passer en grande partie aux

côtés des jeunes, pour lesquels il font une école technique à Tizi- Ouzou,

école dont il assuma la direction et conçut diverses extensions entre 1954

et 1976. L’école qúil avait créée fut alors nationalisée et le Père Charles

reçut l’ordre de Kabylie, alors soumise à une intense campagne

d’arabisation. Durant un an, se souvient son frère, le Père Charles, qui

avait regagné la capitale, fut même indésirable à Alger. C’est alors que

ses supérieurs le rappelèrent à Bruxelles, où il prit rapidement en charge

le Centre El Kalima.

Bien que le Père Charles entretînt le rêve de retourner à Tizi-Ouzou, son

supérieur lui demanda en 1982 de rejoindre le Yémen du Nord, où une petite

communauté de religieuses, particulièrement active dans le domaine de la

santé, réclamait le soutien d’un aumônier. Mais quatre ans plus tard, le

Père Charles fut frappé d’une nouvelle mesure d’expulsion.

C’est alors qúil put rentrer en Algérie. Cette fois, il vint s’établir à

Alger pour y travailler, à l’ombre de la cathédrale Notre-Dame d’Afrique,

comme conseiller spirituel de la communauté anglophone, mais aussi comme

professeur de latin et d’anglais à l’Université d’Alger, et comme aumônier

des Clarisses.

«Un des grands bonheurs de Charles, se rappelle encore son frère Simon,

c’était de pouvoir se rendre d’Alger à Tizi-Ouzou quatre ou cinq fois par

an : cela ne fait que 110 km de route, la meilleure du pays, pour passer

des jours de fête avec ses confrères. C’est à Tizi-Ouzou qúil a été

assassiné le 27 décembre, à peine un quart d’heure après son arrivée

d’Alger.»

«Charles était parfaitement conscient de ce qui pouvait arriver, ajoute son

frère. Mais il continuait à croire au dialogue entre les chrétiens et les

musulmans, ainsi qúentre les modérés et les fondamentalistes que,

personnellement, il n’a jamais mis à l’écart. Car il ne voulait exclure

personne a priori et se refusait, dans ses contacts, à faire une quelconque

distinction entre les bons et les mauvais.»

nnnn

9 janvier 1995 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 5  min.
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