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apic/Exclus/témoignages Mère Sofia et Père Tarabay

Lausanne: Quelle présence de l’Eglise aux marginaux ? (130395)

Témoignages du Père Tarabay et de Mère Sofia

Lausanne, 13mars(APIC) «La rencontre du pauvre, sacrement et mystère, humanise». C’est dans cet esprit que les membres de l’Association romande des

personnes engagées dans la pastorale (ARPEP) ont vécu samedi à Lausanne

leur journée annuelle de ressourcement. Placée sous le thème «Chemins de

rencontre à la lumière de l’Evangile», elle a permis d’entendre les témoignages de Maroun Tarabay, prêtre maronite, qui accompagne à Lausanne des toxicomanes et des sidéens et de Mère Sofia, moniale orthodoxe, qui partage

l’existence des exclus dans les rues de Lausanne.

Les participants à la rencontre ont relevé la peur des parents devant

l’avenir de leurs enfants et leur impuissance face à un proche alcoolique

ou toxicomane. Un souhait unanime: créer des réseaux de relations impliquant la famille et ne pas se décourager. Faire aussi l’apprentissage d’un

autre regard sur les victimes de l’alcool ou de la drogue.

Le Père Maroun Tarabay, aumônier de la Fondation du Levant à Lausanne, a

tenté de définir la marginalité en explicitant son expérience auprès des

toxicomanes.

Les marginaux au Moyen-Age

Dans un bref rappel historique, il a mis en évidence diverses formes de

marginalités: au Moyen-Age, l’exilé était un marginal à l’égal des malades

– les lépreux en particulier – des hérétiques, des juifs, des prostituées

et des gens du spectacle. Etre marginal signifait mener une vie nomade qui

incitait au vol et à la mendicité. La différence se marquait de diverses

façons: couleur de peau, langue, vêtement.

En 1656, la peur gagnant les citoyens, la décision a été prise, à Paris,

d’enfermer les marginaux à l’Hôpital général: pour protéger la population

et par mesure d’hygiène; par esprit mercantile aussi: on pouvait, avec la

main d’oeuvre disponible, créer des ateliers de production; enfin par conviction, en pensant que l’hôpital allait permettre la christianisation des

marginaux.

Le conférencier a ensuite situé son propos dans le débat qui agite la

Suisse aujourd’hui: la ligne libérale considère le drogué comme un malade

et prône, entre autres, la dépénalisation de la drogue. La ligne répressive

voit d’abord dans le drogué un délinquant. Maroun Tarabay se place entre

deux: «le toxicomane est à la fois un malade et un délinquant; il est responsable et victime».

Mais avant toute mesure, a-t-il affirmé, il faut s’interroger sur les

causes de la toxicomanie. On s’enferme souvent dans la drogue pour éviter

les conflits. Une prise en charge communautaire est indispensable: une personne accompagnera le patient, secondée par un médecin et sa famille.

Y a-t-il des prédispositions à la toxicomanie? s’est demandé le conférencier? «On ne devient pas toxicomane par hasard; au départ, il y a un

manque, une souffrance». Il a cité une étude révélatrice effectueée en 1986

sur les familles des patients soignés au Levant: dans 60% des cas, le père

est absent; dans 62% la mère est captatrice; 42 % des parents sont divorcés

ou remariés. Les futurs toxicomanes vivent l’instabilité très tôt, a-t-il

constaté. La drogue peut alors sanctionner des transgressions familiales.

Le prêtre maronite propose une thérapie en trois étapes: la réconciliation avec soi par le partage de toute l’existence; la réconciliation avec

l’autre par l’ouverture à ses richesses; le pardon, Dieu solidaire de toute

souffrance, «car rien n’est perdu d’avance».

«L’Eglise doit avoir le courage d’aller dans la rue»

Venue elle aussi témoigner auprès des membres de l’ARPEP, Mère Sofia

s’est dite effrayée par «l’absence de Dieu dans les réflexions sur la marginalité». Sans renier le social – qu’elle juge nécessaire – elle a partagé

sa souffrance de voir le spirituel évacué des politiques de réinsertion.

Avec le Père Tarabay, elle a dit l’urgence de s’interroger sur les causes

de la marginalité. Elle a exhorté les chrétiens à une présence plus forte

dans ce milieu: «l’Eglise doit avoir le courage d’aller dans la rue». Pourquoi des monastères, comme en Orient au IVe siècle, ne construiraient-ils

pas des dispensaires pour accueillir les pauvres? a-t-elle lancé. Il faut

avant tout «aller à la rencontre des marginaux sans vouloir tout codifier,

institutionnaliser, car l’institution en fait fuir beaucoup».

Un coude-à-coude quotidien dans l’humanité

La réponse existentielle de Mère Sofia aux exclus est très simple. De

16h à 4h du matin: écoute, soupe populaire, conseils, de longues heures de

présence auprès d’eux. Il en jaillit parfois une lumière comme, après dix

ans, ce témoignage poétique de Pierre, qui a passé par toutes les institutions: «Je n’ai enfin de ma vie plus peur». Mère Sofia a quelques projets

pour le futur: «monter une modeste entreprise qui réaliserait toutes sortes

de petits travaux: c’est une façon de dire aux gens de la rue qu’ils sont

capables de travailler». Pour eux, elle a créé «Le Parachute», lieu de passage où ils peuvent échanger. Patient travail, que Mère Sofia accomplit au

quotidien, soutenue par la prière. «Il faut s’adapter au moment présent,

reconnaît-elle, rester à sa place, savoir orienter la personne et accepter

ses limites». Travail harassant qu’elle réalise avec des spécialistes de

l’accompagnement des drogués et qu’elle résume ainsi: «Je fais de la résistance à la drogue, à la précarité et à l’exclusion».

Onze monastères de Suisse romande avaient envoyé pour la rencontre de

l’ARPEP une pensée, un texte ou une prière en signe de communion avec tous

les participants et leurs objectifs. (apic/id/cor/ba)

13 mars 1995 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 4  min.
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