Le texte contient 153 lignes (max. 75 signes), 1469 mots et 9772 signes.

apic/Homosexuel /prêtre

APIC – Interview

Paris: Prêtre et homosexuel (290995)

Jacques Perotti parle

Jean-Claude Noyé, pour l’Agence APIC

Paris, 29septembre(APIC) Le Père Jacques Perotti, longtemps secrétaire de

l’abbé Pierre et porte-parole du mouvement d’homosexuels chrétiens «David

et Jonathan», a décidé «de ne plus cacher la vérité». Il vient de publier

un livre où il relate son expérience et son analyse de la situation des homosexuels dans l’Eglise. Il ne voit pas pourquoi un prêtre n’aurait pas le

droit de se marier ou d’entretenir une relation homosexuelle suivie.

Interrogé par l’APIC, le Père Michel Golfier, de la pastorale familiale

de Paris, admet de son côté que la question de l’homosexualité a toujours

été et demeure une question douloureuse dans l’Eglise catholique. L’Eglise

ne peut cependant reconnaître que soit bonne pour la femme ou pour l’homme

une relation qui n’est pas ouverte sur la vie. «Elle est en contradiction

avec la vocation d’une existence vécue sous la forme du don de soi, dans

lequel l’évangile voit l’essence même de la vie chrétienne.» (lettre sur la

pastorale des personnes homosexuelles, Congrégation pour la doctrine de la

foi, 1986)

En même temps, il n’est pas question de rejeter ou de condamner des personnes, qui ont toujours leur place dans la famille de l’Eglise, qui sont

souvent généreuses et attentionnées et qui apportent leur richesse personnelle, conclut le Père Golfier. (cf encadrés)

APIC: Jacques Perotti, quel objectif visez-vous en publiant ce livre?

Jacques Perotti: Ce livre est comme un cri poussé à travers mon itinéraire,

à travers toutes les vies que j’ai croisées de garçons et de filles marqués

par cette identité homosexuelle. J’ai voulu leur dire à eux et aux autres:

Il y a pour toi un chemin d’humanité et de spiritualité car Dieu te rejoint

dans ton homosexualité. Tu ne l’as pas choisie. Par conséquent tu dois vivre dans cette dimension là ta recherche d’humanité et d’un Dieu d’amour.

Je veux par ailleurs provoquer un débat entre l’Eglise et les homosexuels, car il est au point mort. La grande majorité des évêques ne sait

rien de l’homosexualité. Ils n’y voient que pratiques bestiales, coucheries

et ignorent totalement la dimension affective du vécu homosexuel. Radio

Notre-Dame (La radio de l’archidiocèse de Paris, ndlr.) pour une série

d’émissions sur l’homosexualité n’a pas jugé bon d’inviter l’association

d’homosexuels chrétiens «David et Jonathan». Cela en dit long sur le chemin

à faire pour que le dialogue progresse.

APIC: Cette publication vous expose-t-elle beaucoup?

J.P.:Oui, bien entendu. Je dois dire que c’est la première fois que quelque chose de semblable est écrit. A savoir un témoignage explicite. Il provoquera des réactions vives, de l’hostilité, mais je l’assume avec courage

pour faire avancer les choses. Ce livre fera sans doute réagir tel ou tel

prêtre homosexuel ou hétérosexuel qui a envie de dialoguer.

APIC: Vous insistez sur le fait que les prêtres doivent pouvoir vivre pleinement toutes les dimensions de leur être. Qu’entendez-vous par là?

J.P.:On focalise beaucoup sur la vie sexuelle des prêtres. C’est très réducteur, car la sexualité n’est pas quelque chose de fermé, c’est l’expression de l’amour. Je ne vois pas pourquoi un prêtre n’aurait pas le droit de

s’exprimer dans l’amour soit par le mariage, soit par une relation suivie

avec un homme, s’il est homosexuel. Les prêtres ont été condamnés à la loi

du célibat, mais cette loi est d’ordre disciplinaire et non pas dogmatique,

car jusqu’au XIe siècle les prêtres avaient le droit de se marier. Je connais des prêtres et des évêques qui ont une relation avec un homme ou une

femme et qui se donnent au Seigneur de manière extraordinaire. C’est pour

eux une source d’amour et d’épanouissement.

APIC: D’autres prêtres pourraient-ils s’exprimer comme vous?

J.P.:Il y a au sein de l’association «David et Jonathan» un certain nombre

de prêtres homosexuels. Après le congrès de 1981, nous avons voulu nous

rencontrer, entre prêtres, pour confronter nos vécus, nous aider à dépasser

les difficultés psychologiques. J’ai offert pour cela ma maison familiale

dans l’Oise. C’est là que depuis 13 ans, plus de 120 prêtres, religieux et

pasteurs, parfois au bord du suicide, sont venus de toute l’Europe. Ils

peuvent y parler en toute liberté et sincérité des dimensions spirituelles

et humaines de leur être. Nous y vivons des temps de partage extraordinaires, avec des prières et des célébrations eucharistiques très ferventes.

C’est la source de profondes amitiés qui nous aident à vivre.

APIC: Vous ne vous sentez certainement pas toujours très à l’aise dans le

milieu catholique?

J.P.:Certainement, à l’intérieur même du mouvement «Emmaüs», il y a des

catholiques que j’appelle «coincés» qui m’ont violemment attaqué car je

soulève un tabou. Et les moines du Barroux sont allés me dénoncer au pape

Jean Paul II.

APIC: Vous avancez le chiffre de 20% à 30% de prêtres homosexuels…

J.P.:Ce chiffre n’est évidemment pas scientifique puisque nous ne disposons pas de statistique fines sur la question, vu le black-out total de

l’Eglise qui condamne non la tendance mais la pratique homosexuelle et refuse que les prêtres aient une vie affective et sexuelle. J’avance ces

chiffres en m’appuyant sur des études sérieuses faite dans les pays anglosaxons et à partir du nombre considérable de prêtres homosexuels que je

connais. Sans parler de tous ceux qui cachent leur homosexualité et veulent

rester au placard.

APIC: Vous évoquez le vécu schizophrène de la plupart des prêtres homosexuels.

J.P.:Je parle de schizophrénie dans la mesure où ils vivent dans la plus

grande duplicité. Je peux attester de l’existence de prêtres, surtout dans

les grandes villes comme Paris qui sont habillés la journée en col romain,

mais qui cachent dans leur voiture blouson et bottes de cuir pour aller

draguer le soir. Croyez-moi, ce n’est pas de la fiction cinématographique

(apic/jcn/mp)

Jacques Perotti: Un prêtre parle: je ne peux plus cacher la vérité, Paris,

1995, préface de l’abbé Pierre

Encadré

Le Catéchisme réclame «respect compassion et délicatesse»

La Congrégation pour la doctrine de la foi a publié en 1986 une «Lettre aux

évêques sur la pastorale à l’égard des personnes homosexuelles». Le texte

après une analyse biblique et théologique donne des indications sur l’accueil des personnes homosexuelles. Un document lui même résumé dans le Catéchisme de l’Eglise catholique (nos 2357-59): L’homosexualité «revêt des

formes très variables à travers les siècles et les cultures. Sa genèse psychique reste largement inexpliquée. S’appuyant sur la Sainte Ecriture qui

les présente comme des dépravations graves, la Tradition a toujours déclaré

que les actes d’homosexualité sont intrinséquement désordonnés. Ils sont

contraires à la loi naturelle. Ils ferment l’acte sexuel au don de la vie.

Ils ne procèdent pas d’une complémentarité affective et sexuelle véritable.

Ils ne sauraient recevoir d’approbation en aucun cas.»

«Un nombre non-négligeable d’hommes et de femmes présentent des tendances homosexuelles foncières. Ils ne choississent pas leur condition homosexuelle; elle constitue pour la plupart d’entre eux une épreuve. Ils doivent être accueillis avec respect, compassion, et délicatesse. On évitera à

leur égard toute marque de discrimination injuste.» (…)

«Les personnes homosexuelles sont appelées à la chasteté (qui donne à la

sexualité son sens véritable de don, de relation authentique à l’autre et

qui l’empêche de la réduire à une recherche exclusive de la jouissance.

ndr/theo). Par les vertus de maîtrise, éducatrices de la liberté intérieure, quelque fois par le soutien d’une amitié désintéressée, par la prière

et la grâce sacramentelle, elles peuvent et doivent se rapprocher graduellement et résolument de la perfection chrétienne. (apic/nc/mp)

Encadré

La relation homme-femme est une richesse

Bien qu’ayant connu une relation homosexuelle quand il était étudiant,

Jean-Pierre s’est marié. Vie de couple difficile, puisqu’il a repris par la

suite des relations homosexuelles. Mais lorsqu’il compare les deux relations qu’il a connu hommosexuelle et hétérosexuelle le bilan lui semble

clair.

«Ce que je réalise, c’est que l’altérité homme-femme est l’altérité par

excellence, et que cette différenciation dans la relation conguguale est

une grande richesse», explique-t-il dans Paris Notre-Dame (hebomadaire de

l’archidiocèse de Paris). «A l’inverse, la quête homosexuelle est une façon

de se réfugier dans la recherche du même. C’est sécurisant. La rencontre

d’une femme m’a poussé dans mes retranchements. L’homosexualité est une façon de se retrancher.»

«Ma vie de couple avec ma femme m’a fait beaucoup plus avancer dans la

reconnaissance de l’autre qu’ont pu le faire mes multiples relations homosexuelles. Même si elles m’ont procuré un certain plaisir, elles n’on jamais abouti à la même création, la même fécondité: celle des enfants bien

sûr, mais aussi celle que l’on trouve dans l’écoute de l’autre, le respect

de l’autre, les conflits surmontés. Le conflit est très difficile à vivre

dans une relation homosexuelle parce qu’il fait sortir du rêve de la fusion, de la recherche narcissique et nous renvoie à l’altérité de façon

brutale. (apic/pnd/mp)

29 septembre 1995 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 6  min.
Partagez!