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APIC – Interview

Synode des évêques sur le Liban,

une page d’histoire pour notre pays

Rencontre avec Soeur Noha Najjar, islamologue de Beyrouth (101295)

Fribourg, 10décembre(APIC) Le Synode des évêques sur le Liban, qui se déroule actuellement au Vatican dans l’indifférence des grands médias, est

pourtant une «chance réelle» pour le Pays des Cèdres, affirme l’islamologue

libanaise Noha Najjar. Sur place, le Synode a fait bouger les choses et

suscité un mouvement de solidarité, dans la société et dans l’Eglise.

De passage à l’Ecole de la Foi de Fribourg, où elle enseigne la connaissance de l’islam, la religieuse maronite souligne que les années de préparation de ce Synode, véritable «Synode de la réconciliation», ont déjà eu

un impact réel dans le contexte libanais.

Soeur de la Charité de Besançon, Noha Najjar se consacre à Beyrouth au

dialogue islamo-chrétien au sein d’un groupe de penseurs musulmans et chrétiens, «Les Amis du Père Jabre». Elle reconnaît certes que des voix critiques se sont fait entendre tant à l’extérieur du Liban qu’à l’intérieur,

notamment sur le choix d’organiser cet événement à Rome et non pas au Liban. «Mais le Liban sort d’une guerre fratricide qui a duré 20 ans, c’est

déjà superbe que l’on soit arrivé à réaliser tout ce que l’on a déjà

fait!»

APIC:Dans quel sens ce Synode est-il une «chance réelle» pour le Liban?

SoeurNoha:Nous devons reconnaître que le Synode a été d’une très grande

utilité pour la réconciliation tant à l’intérieur de la communauté chrétienne elle-même – elle a servi de facteur de pacification entre les confessions – que dans la société. Le Synode a proposé aux Libanais diverses

pistes comme le renouveau spirituel.

Pendant les années de préparation, il y a eu de nombreuses rencontres au

niveau oecuménique à l’intérieur des communautés religieuses, des écoles,

des paroisses. On a prié ensemble, on a demandé pardon à Dieu ensemble.

Certes, ce n’a pas touché tous les Libanais, mais cela a touché beaucoup de

monde quand même. Une autre piste d’action a été mise en route: l’invitation faite aux Eglises à revoir la notion de la propriété privée et la réflexion sur le partage des biens d’Eglise, qui sont importants au Liban.

Ce Synode a bel et bien suscité un mouvement de solidarité… en tous

cas des brins de conversion! Ainsi, des petits villages avec des maisons

préfabriqués ont été érigés sur des terrains de l’Eglise; des déplacés de

guerre ont tout simplement reçu des lopins de terre. Il faut reconnaître

que certains se promènent toujours en Cadillac, mais je ne veux pas les juger. Par contre, je connais des évêques pauvres, qui ont vécu avec les

pauvres et qui ont tout partagé avec eux. Je pense en ce moment à l’évêque

de Zahlé, Mgr Scandar, mais il y en a d’autres.

APIC:Vous parlez également de progrès du dialogue interreligieux…

SoeurNoha:Sur le plan du rapprochement entre chrétiens de différentes

confessions, qui ont connu des sourdes rivalités pendant la guerre, beaucoup a pu se faire aussi. Les patriarches des différentes Eglises se rencontrent à huis clos et terminent ces assemblées par une messe officielle

où tous assistent. On parle ici que de l’oecuménisme intrachrétien.

En ce qui concerne le dialogue avec l’islam, je sais qu’il y a des penseurs et des cheikhs musulmans qui ont travaillé à l’élaboration des «lineamenta», les documents préparatoires du Synode. Ils ont cependant demandé

que leurs noms restent secrets, pour leur propre sécurité. Imaginez: des

chefs spirituels musulmans ont participé à ces travaux! Des observateurs

musulmans participent ces jours-ci au Synode. Alors quand on prétend que ce

Synode ne concerne que l’Eglise maronite… Je ne prétends pas que le Synode va transformer le Liban de fond en comble, mais pour tout notre pays,

il représente une page d’histoire. (Propos recueillis par Jacques Berset,

Agence APIC)

Encadré

Le Liban, dernier bastion des chrétiens du Moyen-Orient

Les chrétiens du Moyen-Orient arabe sont quelque 7 millions, mais leur

poids démographique recule sans cesse. Les chrétiens constituent pourtant

une partie intégrante du monde arabe depuis bientôt deux millénaires, et le

monde arabe a connu ses grandes périodes de renaissance et de progrès grâce

à l’apport des chrétiens arabes.

Les raisons de cette lente diminution des chrétiens sont de plusieurs

ordres:taux de natalité relativement bas; crise économique et vieille tradition d’émigration; guerres et instabilité politique; discriminations sociales et fondamentalisme islamique; assimilation à la population majoritaire… «Etre arabe est devenu aujourd’hui synonyme de musulman, ce qui

exclut les ’autres’ de l’appartenance nationale», notent les observateurs.

Au Liban, où les chrétiens étaient légèrement majoritaires avant la

guerre, on n’en compte plus que 35 à 40%. «Même si le monde de l’islam

nous submerge de toute part, affirme soeur Noha, il reste que le peuple

chrétien libanais a une telle vitalité et une telle foi – que l’on pourrait

même qualifier d’obstinée – qu’il s’accroche, conscient d’être le dernier

bastion des chrétiens du Moyen-Orient. Les chrétiens libanais savent que

l’on compte sur eux: si le Liban tombait, c’en serait fini des minorités

chrétiennes de Syrie, d’Irak, de Jordanie et d’autres pays arabes». (apicbe)

Soeur Noha Najjar

Docteur en Sorbonne avec une thèse sur la mystique de l’islam, Noha Najjar

a vécu dès son enfance au contact de l’islam. Elle enseigne la connaissance

de l’islam une partie de l’année en France – et désormais à l’Ecole de la

Foi de Fribourg – et participe à Beyrouth au dialogue islamo-chrétien. Ses

responsabilités assumées au sein de la Congrégation des Soeurs de la

Charité de Ste Jeanne Antide l’ont amenée à rencontrer différentes formes

d’islam au Proche-Orient: Syrie, Liban, Egypte, Soudan.

Membre depuis 1990 d’un groupe islamo-chrétien d’intellectuels qui cheminent ensemble dans un dialogue religieux, il lui a été demandé, par les

musulmans du groupe, de rédiger l’ouvrage de présentation du christianisme

dans le cadre d’une collection sur les différentes religions. Ces ouvrages

sont diffusés actuellement dans les librairies coraniques du Golfe. Soeur

Noha reconnaît que le dialogue islamo-chrétien concerne avant tout les milieux intellectuels modérés et pas la grande masse. Mais ces auteurs musulmans ouverts sont très lus et écoutés dans la jeunesse. (apic/be)

10 décembre 1995 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 4  min.
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