Si quelqu’un veut te poursuivre en justice et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau/©evangile-et-peinture.org
Homélie

Homélie du 23 février 2020 (Mt 5, 38-48)

Abbé Jean-Pascal Vacher – Basilique Notre-Dame, Lausanne

La perfection du Père est-elle un appel lancé à tous ?

« Vous serez parfait comme votre Père céleste est parfait. » Est-ce un appel lancé à tous ou cette invitation ne concerne-t-elle que quelques exceptions ?

Eliminons tout de suite une interprétation possible mais peu plausible : aucun d’entre nous ne deviendra le Créateur du ciel et de la terre. Imaginer cela, relève d’une autre « perfection », celle de l’orgueil. Or Jésus dont le cœur est doux et humble ne peut pas nous demander d’entrer dans l’illusion de cet orgueil démesuré.

Par contre, cette parole de l’Evangile a trouvé une expression particulièrement forte dans un grand chapitre de la Constitution sur l’Eglise du Concile Vatican II consacré à l’appel universel à la sainteté :

En tous, Jésus a envoyé son Esprit

« Maître divin et modèle de toute perfection, le Seigneur Jésus a enseigné à tous et chacun de ses disciples, quelle que soit leur condition, cette sainteté de vie dont il est à la fois l’initiateur et le consommateur : «Vous donc, soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait» (Mt 5,48). Et en effet en tous il a envoyé son Esprit pour les pousser intérieurement à aimer Dieu de tout leur cœur, de toute leur âme, de toute leur intelligence et de toutes leurs forces (cf. Mc 12,30), et aussi à s’aimer mutuellement comme le Christ les a aimés (cf. Jn 13,34 ; 15,12)…L’apôtre avertit les chrétiens de vivre «comme il convient à des saints» (Ep 5,3), de revêtir «comme des élus de Dieu saints et bien-aimés, des sentiments de miséricorde, de bonté, d’humilité, de douceur, de longanimité» (Col 3,12), et de porter les fruits de l’Esprit pour leur sanctification (cf. Ga 5,22 Rm 6,22)

Il est donc bien évident pour tous que l’appel à la plénitude de la vie chrétienne et à la perfection de la charité s’adresse à tous ceux qui croient au Christ, quels que soient leur état ou leur rang… Ainsi la sainteté du peuple de Dieu s’épanouira en fruits abondants, comme en témoigne avec éclat l’histoire de l’Eglise par la vie de tant de saints ». (Cf. Lumen Gentium 40) Cet appel universel à la sainteté a été profondément influencé par le saint patron des journalistes, Saint François de Sales.

« Sans moi, vous ne pouvez rien faire. »

La sainteté, c’est finalement assez simple ; c’est la perfection de la charité ; c’est imiter Jésus dans notre vie quotidienne ; c’est être convaincu que sans l’aide de sa grâce, nous ne serons jamais des saints puisqu’il nous dit : « Sans moi, vous ne pouvez rien faire. » (Jn 15, 5) ; mais avec l’aide de sa grâce, nous pouvons tous devenir des saints.

Il ne faudrait pas imaginer qu’il y a deux catégories de fidèles : ceux qui sont appelés à la sainteté et les autres qui seraient en quelque sorte des chrétiens de seconde zone. Il faudrait encore moins imaginer que seuls les ministres de l’Eglise sont appelés à la sainteté et pas les laïcs et pas non plus seulement les laïcs et pas les ministres.

En nous rendant attentifs à rejoindre toutes les situations de précarité, le Pape François n’a pas eu l’intention d’instituer une deuxième catégorie de fidèles qui seraient exclus de la sainteté. Il veut plutôt que nous ayons les uns pour les autres un tel amour que nous puissions descendre comme Jésus à la rencontre de toutes les misères, à commencer par celles qui blessent notre cœur, afin de faire monter le niveau de la charité en tous. Soyons convaincus que notre seule mission est d’aimer Jésus parce qu’il a soif de notre amour. Pour cela, n’ayons pas peur d’ouvrir notre fragilité à la force de son Esprit Saint. Ne disons pas : « Je ne suis pas parfait et pour cette raison, je ne suis pas appelé à la sainteté ». Ne disons pas non plus : « Les autres ne sont pas parfaits, alors pourquoi je chercherais à devenir parfait ». Oui, nous ne sommes pas parfaits ; oui, nous ne vivons pas la plénitude de la charité ; oui, nous ne sommes pas encore arrivés au but ; mais tous, nous sommes invités à emprunter le chemin de la sainteté ; et ce chemin, c’est le Christ : « Pour moi, vivre, c’est le Christ ! » (Ph 1,21).

Dans l’Evangile d’aujourd’hui, Jésus nous indique le chemin. Les paroles qu’il nous livre, il les a accomplies littéralement et d’une manière éminente dans sa Passion : il a offert avec douceur sa joue à ceux qui le giflaient et son visage aux crachats humiliants ; alors qu’Il possède le pouvoir de repousser l’injustice, il accepte qu’elle s’abatte sur lui en étant trainé d’un tribunal à l’autre ; dépouillé de ses vêtements, il garde un silence sacré d’une dignité impressionnante ; requis de porter sa croix, Il marche librement jusqu’au bout du don de sa vie ; immobilisé par les clous et tourné en dérision par la couronne d’épine, il prononce cette parole bouleversante à l’adresse de ses ennemis : « Père, pardonne-leur ; ils ne savent pas ce qu’ils font ». Son attitude n’a rien à voir avec de la passivité devant la haine et la violence. Elle est l’expression du plus grand et du plus pur Amour. Il veut faire de ses ennemis ses amis et les amis de Dieu son Père.

Appelés à imiter Jésus

Jésus, en nous appelant à devenir des saints, nous appelle à l’imiter jusqu’à cet amour extrême. Il sait que cela est impossible à nos faibles forces ; et c’est pourquoi Il nous applique les forces de son Amour en nous offrant gratuitement les fruits de sa Passion par les sacrements qu’il a institués et spécialement le Saint Sacrifice de la Messe.

Sans aucun doute, avant d’arriver au don total de nous-mêmes, nous sommes invités à vivre des actes plus humbles en les imprégnant d’un amour qui tend à cette plénitude.

Prenons deux exemples concrets :
Une personne malade qui veut tendre à la sainteté, et il y en a sans aucun doute qui nous écoutent, cherchera à vivre sa souffrance dans l’amour. Si elle prend conscience que Jésus est là au creuset de son épreuve, qu’il vient la serrer contre son Cœur qui n’est qu’Amour, alors sa douleur, sans en être diminuée, en deviendra plus supportable parce qu’elle sera illuminée par sa Présence.
Un entrepreneur qui veut vivre l’appel à la sainteté gardera à cœur comme priorité les biens du Royaume de Dieu. Il cherchera à mettre les réalités économiques au service de ce Royaume. Si l’Evangile n’interdit pas à un entrepreneur, de rechercher l’intérêt de son entreprise – c’est légitime et même nécessaire à une charité bien ordonnée – il lui dit aussi par la bouche de la Vérité elle-même : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Mt 22,39 et Lv 19, 18).

Si c’est vrai de sa vie personnelle, c’est aussi vrai de sa vie professionnelle. Nous pouvons donc bien dire : « Tu aimeras l’entreprise de ton prochain comme la tienne ». La charité nous presse d’aller au-delà du climat de concurrence qui règne dans le monde économique sans rien attendre en retour. Elle nous invite à exclure tout ce qui pourrait nuire aux autres entreprises. Elle nous dit : « Tu prieras pour l’entreprise de ton prochain, afin qu’elle prospère et même tu y contribueras ». Elle souhaitera que la réciproque soit vraie, non par calcul mais par la gratuité de l’amour. Permettez-moi de rêver un peu : si toutes les entreprises du monde vivaient cette attitude recommandée par Jésus, l’économie mondiale serait bien différente et sans aucun doute bien plus performante. Mais avant de voir cet amour se réaliser dans la globalisation, commençons par celui sur qui nous avons un peu d’influence, c’est-à-dire nous-mêmes.

En nous disant : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimé » (cf. Jn 13,34 ; 15,12), Jésus nous invite encore à un nouveau dépassement. La mesure de cet amour, ce n’est pas seulement le nôtre mais le sien. Si nous marchons en cherchant à monter vers ces sommets de la sainteté en nous appuyant sur le bâton de la croix avec la grâce de Dieu, alors « tout nous appartient… le monde, la vie, la mort, le présent, l’avenir : tout est à nous, mais nous, nous sommes au Christ, et le Christ est à Dieu ». (1 Cor 3, 21…23) .
Amen.

7ème dimanche du Temps ordinaire A

Lectures bibliques : Lévitique 19, 1-2. 17-18 ; Psaume 102 ; 1 Corinthiens 3, 16-23 ; Matthieu 5, 38-48.

Si quelqu’un veut te poursuivre en justice et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau/©evangile-et-peinture.org
23 février 2020 | 09:41
Temps de lecture: env. 6 min.
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