L’Eglise veut le silence des armes
Corse: Funérailles de nationalistes ou fêtes religieuses traditionnelles
L’Eglise catholique en Corse ne veut plus des coups de force politico-militaires orchestrés par les nationalistes corses lors des funérailles de l’un
des leurs mort «pour la cause». Condamnées, les salves d’honneur tirées par
des hommes en armes. Condamnées aussi et par extension les salves d’armes
lors des processions religieuses. Dans une île en proie à la violence,
l’évêque d’Ajaccio et les prêtres veulent aujourd’hui le silence des armes.
Comme un signe à oeuvrer pour la paix.
La photo d’un abbé bénissant la dépouille d’un militant nationaliste
corse au moment où des compagnons du défunts en armes tiraient une salve
pour lui rendre un dernier hommage a fait réagir le cllergé local. L’»amalgame facile, simpliste et faux» d’une même bénédiction à l’un et aux autres. Et les légendes sous les photos de presse… comme autant d’interprétations malheureuses d’une possible connivence d’»un curé sympathisant de
la cause», déplore-t-on dans les milieux d’Eglise, de Bastia à Ajaccio.
A son insu
«Tout s’est déroulé à mon insu, explique aujourd’hui à l’APIC le curé.
Je savais ce genre de pratiques courantes lorsqu’on enterre un membre assassiné de la Cuncolta. On m’avait juste dit qu’un discours serait prononcé. Si je m’étais méfié ne serait-ce qu’un instant, j’aurais béni le corps
à l’intérieur de l’église, avant qu’on ne l’emmnène au cimetière».
Et le prêtre de se rappeler: «J’ai accompagné le cercueil jusqu’à l’extérieur de l’église, avec, à mes côtés un enfant de choeur portant la
croix. Ils sont arrivés à neuf, se sont placés autour de la bière et ont
tiré leur salve, pour repartir aussitôt. Se perdre dans le dédale des petites ruelles typiques du pays». En Corse, dans les villes, voire dans certains villages, le curé n’accompagne plus le défunt jusqu’à la tombe.
Le clergé prend des mesures
Depuis cet incident, plusieurs autres intrusions de membres de la Cuncolta lors de funérailles ont été enregistrées. Dont l’une sur le parvis
même de la cathédrale d’Ajaccio. Et la dernière il y a moins de deux mois.
Qui a mis «le feu aux poudres». «L’Eglise ne peut paraître tolérer ces pratiques, voire même d’être taxée de complice lors de tels actes», s’insurge
le vicaire général pour la Corse du sud, l’abbé Michel Toussaint Micaletti.
La réaction officielle n’a effectivement pas tardé. Dans une récente déclaration, Mgr André Lacrampe, évêque d’Ajaccio, ainsi que le Conseil presbytéral du diocèse corse, représentatif de l’ensemble du clergé de l’île
ont sévèrement condamné cette pratique. Ils ne veulent plus de cela, pas
davantage qu’ils n’accepteront à l’avenir les salves d’honneur tirées lors
de processions ou autres fêtes religieuses aussi traditionnelles soient-elles, même si elles n’ont bien entendu rien à voir avec les salves tirées
par les militants nationalistes.
Pour l’évêque et le Conseil presbytéral, le type d’intervention politico-militaire des nationalistes du FLNC est à distinguer de la tradition insulaire qui, «si haut qu’on remonte dans l’histoire, associe en forme de
vivats, ces salves d’honneur à des processions et à des fêtes religieuses».
Mais, poursuivent-ils, «nous voici à un moment où le sens de ces coups de
feu est contredit par la conjoncture qui, hélas, nous oblige à associer
presque spontanément l’usage des armes et des meurtres commis en série depuis quelques années».
L’Eglise prend des mesures
Dans une Corse où les langues se délient aussi difficilement que la
bourse d’un avare, les témoignages, toujours sous le couvert de l’anonymat
– y compris de certaines autorités -, ne sont pas aisés à trouver. Aussi
l’Eglise catholique n’a-t-elle pas la tâche facile dans son rôle d’évangélisation, dans des communautés de sensibilités opposées. Et ça n’est pas
faute d’avoir multiplié depuis des lustres les appels à la réconciliation
et à la paix, soupire Mgr Lacrampe.
En vain. Pire puisque depuis 4 ou 5 ans maintenant, les militants nationalistes se servent des funérailles religieuses comme d’un acte politique.
«Il a fallu tirer des conclusions, et demander au célébrant de se contenter
dorénavant d’accompagner le cercueil jusqu’à la porte de l’église, afin
d’éviter aux prêtres d’être associés à des images qui pourraient donner
lieu à des interprétations sauvages», commente de son côté José Antononi,
vicaire général pour la Haute Corse, à Bastia.
D’où la mise au point du Conseil presbytéral, soutenue par de nombreux
fidèles. «Au-delà des salves tirées par les militants nationalistes en hommage à un frère de combat, une partie de l’opinion voit dans ces coups de
feu un appel à la vengeance et par là l’entretien du redoutable engrenage
de la violence».
Pour le clergé local, comme pour Mgr Lacrampe, il existe une «contradiction flagrante entre la célébration religieuse et cette utilisation des armes, qu’elle intervienne directement à la sortie de l’église ou au cimetière: d’un côté, l’appel au Dieu de la réconciliation et de la paix; de l’autre une sorte de justification de la violence. Cette contradiction n’est
pas supportable pour ceux qui portent la responsabilité d’animer les funérailles religieuses».
Dans cette île où fleurissent en ce début de printemps les centaines de
milliers d’oliviers, «les actions menées par l’Eglise pour sensibiliser les
fidèles se sont répétées ces derniers mois. A Noël, plus de 3’000 enfants
ont participé par le dessin et la poésie à une action sur le thème de la
paix; avec l’Eglise réformée, nous avons repris notre réflexion à partir de
«Justice, Paix et sauvegarde de la Création» du Rassemblement oecuménique
tenu à Bâle en 1989, cela dans l’optique du prochain rendez-vous fixé à
Graz (Autriche) en 1997; plus récemment encore un colloque a réuni 300 spécialistes et hommes politiques à l’Université de Corse pour une réflexion
éthique», témoigne Mgr Lacrampe. Qui ne cherche pas à occulter qu’un certain nombre de prêtres ne cachent pas leurs sympathies pour la Corse.
(apic/pr)