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Brésil: les Indiens jouent leur dernière carte

Danger pour les premiers habitants du Brésil (090596)

Bruxelles, 9mai(APIC) Les peuples indigènes du Brésil ne veulent pas disparaître. Or leur survie est aujourd’hui menacée par un décret qui remet en

cause des années de lutte. Les Indiens entendent exiger son abolition, et

ils comptent pour cela sur la pression de la communauté internationale, à

laquelle le gouvernement de Brasilia est très sensible. Il n’est pas trop

tard, mais il est temps!

C’est ce que sont venus expliquer à Bruxelles quatre leaders Indiens,

trois régionaux et un national, invités par «Entraide et Fraternité» et son

homologue flamand «Broederlijk Delen», chargés par les évêques des campagnes de solidarité durant le Carême. Ils avaient été précédés fin mars par

le ministre brésilien de la Justice, Nelson Jobim, venu défendre le fameux

décret 1775/96, dont il est le père. Promulgué par le président Fernando

Henrique Cardoso le 8 janvier dernier, ce texte remet en question la reconnaissance formelle des territoires indiens, rendue possible par un autre

décret ratifié sous la présidence précédente. Les effets n’ont pas tardé:

d’importantes invasions de terres et contre-mobilisations indiennes ont eu

lieu depuis.

La délégation était composée de Nelino Galé (Roraima), Etelvina Lopes

(Alagoas), Amilton Lopes (Matto Grosso) et Antonio Pessoa Gomes, secrétaire

national du «Conseil et Articulation des Peuples et Organisations Indigènes

du Brésil» (CAPOIB). Ce Conseil est un organe de concertation mis sur pied

en 1992 – l’année «jubilaire» des 500 ans de l’arrivée de Christophe Colomb

(1492) – lors d’une grande rencontre à laquelle participèrent 350 leaders

indigènes représentant 101 peuples et 55 organisations actives dans tout le

pays. Il a le soutien de l’Eglise brésilienne, notamment du Conseil indigéniste missionnaire (CIMI) et de la Commission Pastorale de la Terre (CPT)

de la conférence des évêques du Brésil.

Aux calendes grecques?

«A la limite, les titres de propriété ne nous intéressent pas, ont expliqué ses représentants. La terre appartient à personne et à tout le monde. Mais si nous voulons nous protéger, ainsi que notre manière de vivre,

contre les non-Indiens, il nous faut exiger ces titres de propriété. D’où

l’importance de notre combat pour la reconnaissance, la démarcation et

l’enregistrement des terres indiennes au Brésil. La Constitution de 1988,

qui a pris en compte pour la première fois nos droits à la terre, nous a

donné la conviction que c’était enfin arrivé. Presque 500 ans après notre

premier contact avec les conquérants Blancs ! Et puis, ces derniers mois,

la machine a de nouveau tourné fou, et nous risquions de perdre ce que nous

avions conquis en 1988».

Selon les quatre leaders Indiens, 555 territoires indiens sont concernés, dont jusqu’ici 232 ont été délimités et enregistrés. Ce qui veut dire

que le sort de 323 autres territoires «contestés ou contestables» reste en

suspens.

Le décret 1175/96 prévoit en effet que quiconque (et donc aussi des nonIndiens) estime être en droit de revendiquer des terres situées en «territoire indien» peut introduire un recours. Pour la délégation, «c’est ouvrir

la porte – et c’est sans doute bien le but poursuivi – à toutes les contestations possibles et imaginables en vue de renvoyer aux calendes grecques

l’enregistrement et la démarcation des territoires indigènes».

Une question de survie

Lors de son passage à Bruxelles, le ministre Jobim avait tenté de minimiser «l’impact réel» de son décret. Selon lui, les recours «resteraient

limités à moins de dix territoires indigènes» (sur 555). Les responsables

du CAPOIB constatent pour leur part que, depuis le début de cette année,

142 recours ont été introduits, qui concernent «66’000 hectares dans six

territoires». Et les gouverneurs des Etats de Roraima, d’Amazonie et du Para prépareraient un véritable «catalogue» de recours, tandis que le décret

a déjà provoqué «une nouvelle vague d’invasions dans l’Etat de Para et en

dix-huit autres endroits». Dans l’Etat de Roraima, seuls 5 des 51 territoires ne seraient pas l’objet de recours.

Les leaders indiens craignent d’ailleurs que ce soit l’ensemble de la

politique menée en matière de terres indigènes qui soit remise en cause,

«ce qui autoriserait les bûcherons, les éleveurs de bétail et grands propriétaires à remettre totalement en question les dispositions en la matière

de la Constitution de 1988 et d’entrer une fois pour toutes en possession

des terres indigènes pour les intégrer dans le «circuit normal»«.

Ce serait dramatique pour les peuples qui vivent sur ces terres, insiste

la délégation: la terre – et tout ce qui touche à la nature et à l’environnement – est «un élément vital de leur manière de vivre»: privés de leur

milieu naturel, «ils meurent comme des poissons hors de l’eau». C’est

d’ailleurs déjà le cas aujourd’hui, comme le montre le nombre croissant de

suicides parmi les Indiens. «Après avoir attendu 500 ans, la Constitution

de 1988 était notre dernière chance. Si on échoue cette fois-ci, c’en sera

fini de nos terres», constate Amilton Lopes.

Des «miettes»

Les leaders indigènes restent pourtant convaincus que «le gouvernement

du président Cardoso peut encore faire machine arrière». Car, la récente

tournée européenne du ministre Jobim en est la preuve, Brasilia «reste très

sensible aux pressions internationales», soulignent-ils. Confronté à une

situation économique très difficile et à une dette catastrophique, le Brésil ne peut se passer de l’aide internationale, en particulier des EtatsUnis, de l’Union Européenne et de la Banque Mondiale. Nelson Jobim est venu

en Europe après que le Parlement Européen a exprimé sa crainte face aux

nouveaux conflits agraires et que, en mars, l’Allemagne a reporté sa contribution à l’»Amazon Rainforest Conservation Project» du G-7. La délégation du CAPOIB espère que sa démarche «sera aussi efficace que l’offensive

du gouvernement brésilien».

Pour les Indiens du Brésil, les 555 territoires à défendre ne représentent d’ailleurs que «des miettes» dans l’immense étendue de 9,5 millions de

kilomètres carrés que compte le pays. «Nous ne voulons pas de territoire

habité en retour, précisent leurs leaders. Nous faisons valoir nos droits

historiques inaliénables – ne sommes-nous pas les premiers «Brésiliens»? -,

la Constitution de 1988 et notre propre manière de vie. Est-ce si difficile

pour les non-Indiens de respecter cela?» (apic/cip/pr)

9 mai 1996 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 4  min.
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