Sidewalk: Cinq garçons
APIC-Reportage
dans le vent… de la foi
par Bernard LITZLER, pour l’Agence APIC
Ils sont cinq sur scène. ’Riffs’ de guitare électrique, éclats de voix,
roulements de batterie… Projecteurs braqués… Ca ’déménage’! Du rock
pleins pots ce soir! Le public, jeune, s’agite, se remue, entre dans la
danse. Qui sont ces rockers, en jeans et baskets? La musique est familière,
mais les paroles… sortent de l’ordinaire: «Il est mort pour moi, Il m’a
aimé le premier, Il a fait le premier pas…» Le rock au service de la foi:
c’est Sidewalk. Les ex-’Anges de l’enfer’ ont troqué leur message infernal
pour celui de la Bonne Nouvelle… Portrait d’un groupe détonnant.
100% rock. Et 100% chrétien. Musique tonique et message évangélique: le
cocktail de Sidewalk. Sur scène, Jean-Marc Dietrich, le guitariste du
groupe, raconte leur conversion: «Il y a dix ans, nous étions les ’Hell’s
Birds’, les Anges de l’enfer. Un soir, en 1990, Pascal, notre batteur, nous
a partagé son expérience de la foi au Christ». Une témoignage marquant:
«Nous avons été bouleversés. Depuis nous jouons pour Lui…»
Lui, le Christ… Faire de la musique pour Lui: tout le programme de
Sidewalk. «Chanter pour toi, je ne peux plus m’arrêter depuis le jour où
t’as fait disjoncter mon coeur». De la musique, le rock, celle qu’ils ont
toujours faite, depuis dix ans. Mais les paroles ont changé… «C’est une
histoire d’amour entre la terre et le ciel, c’est une histoire qui nous
offre le Père, dans ce monde qui cherche encore…»
Illumination? Feu de paille? «Après le témoignage de Pascal, nous avons
cheminé pendant une année. Une année de cheminement personnel. Le groupe en
a été chamboulé, explique Jean-Marc. Le virage chrétien n’a pas été facile
pour tous les membres. «Nous étions neuf au départ, nous nous sommes
retrouvés à quatre. Le chanteur, André-Philippe Geiser, nous a rejoints
plus tard».
STOP, un CD ravageur
Chemin parsemé de concerts, de compositions nouvelles pour nos cinq
musiciens. 1995 a marqué une étape dans l’itinéraire musical et humain du
groupe avec l’enregistrement de leur premier CD, sorti comme le gruyère
d’une cave fribourgeoise. Nom: STOP. Signes particuliers: aboutissement
d’une recherche spirituelle et musicale. Taille: 10 titres où la musique de
Sidewalk se déploie en qualité et en densité. Style: d’un country rock à un
son plus métallique. «Le CD a représenté un gros travail, relève Jean-Marc,
une période de recherche qui nous a engagés complètement». Pas évident pour
des amateurs…
Mais STOP ne représente pas un coup d’arrêt dans le cheminement du
groupe. La campagne de promotion de l’album, démarrée en janvier 1996, a
produit de bons fruits puisque plus de 1000 exemplaires ont déjà été
vendus. Témoin du plébiscite du public pour un groupe qui atteint peu à peu
sa maturité. De nouvelles chansons sont déjà en préparation.
Rock «chrétien»
Du rock ’chrétien’? «Non, précise le chanteur, André-Philippe. On ne dit
pas non plus rock politique ou rock radical. Nous évitons de parler de
’rock chrétien’ car ça ne veut rien dire pour la plupart des gens. Le rock,
c’est exprimer ce qu’on a en soi. Pour nous, c’est parler de Jésus». De
plus, l’étiquette chrétienne peut faire naître des préjugés dans l’esprit
du public et empêcher le groupe de jouer partout.
La musique du groupe a donc évolué avec la lente maturation de chacun de
ses membres. Itinéraire personnel, mais aussi chemin accompagné.
’Sidewalk’ signifie ’marcher avec, accompagner’… C’est le sens de la
démarche de chacun d’abord. Marcher, être accompagné… Sans se sentir
prisonniers d’une appartenance à une Eglise, les membres du groupe
reconnaissent avoir bénéficié du concours de l’Armée du Salut. «Nous aimons
leur vision: être une Eglise de la rue, aller là où les gens sont. Nous
nous sentons proches de cette manière de voir, de concevoir
l’évangélisation, indique André-Philippe. Mais nous ne sommes pas le groupe
de l’Armée du Salut». Pas dépendants des salutistes, donc, mais heureux de
retrouver de temps à autre ce souffle ecclésial.
Soutien dans la prière
La prière occupe une place importante dans la vie privée et musicale de
Sidewalk. «Avant chaque répétition nous prenons le temps de prier, confirme
Jean-Marc. Idem avant les concerts. Et nos épouses prient pour nous pendant
que nous sommes sur scène». La dimension de prière est partagée par les
familles et les supporters du groupe. Un bulletin trimestriel, édité par le
club de soutien, précise les sujets de prière: unité entre les membres du
groupe, recherche de concerts, sensibilité des musiciens à l’écoute de
Dieu.
«Que je sois grand ou petit, que je sois ’cool’, que je sois ’speed’, tu
m’as dit ’Je t’aime’… Je n’ai plus rien à cacher, car tu m’as pardonné»,
chantent ces rockers insolites.
Sidewalk, trottoir
Sidewalk signifie aussi ’trottoir’: trottoir pour échapper à la
circulation, au stress du monde. Et d’être sur le trottoir peut permettre
de ’marcher à côté’, d’accompagner, de donner un autre regard. Un trottoir
pour tenir le haut du pavé musical?
Le trottoir (rock’n) rollant de ’Sidewalk’ ne déroule pas sa musique
uniquement pour les publics conquis d’avance. Emissions de télévision et de
radio, festivals ’Rock et rire’ à Avenches, Jazz Parade à Fribourg,
concours ’First Chance’ à Genève, clubs de jeunes, dancings, Sidewalk s’est
beaucoup produit en Suisse romande et à quelques occasions en France.
«Ne reste pas là, Jésus n’attend que toi si tu veux y croire encore.
C’est à toi d’ouvrir ton coeur». Interpellation directe, chansons à
message, Sidewalk ne craint pas de sortir des sentiers battus de la musique
rock.
Quelles sont les réactions du public? Le monde ’séculier’ réagit bien,
précise le chanteur du groupe, André-Philippe. Notre message est apprécié:
il représente même une lumière pour certaines personnes». Et le monde
chrétien? «Il est enchanté d’avoir du rock français, car c’est plutôt le
monde anglo-saxon qui domine la musique rock religieuse».
Vers le professionnalisme?
«Nous nous interrogeons: faut-il franchir le pas à franchir vers le professionnalisme?, se demande Jean-Marc. Mais nous ne voulons pas brûler les
étapes. Nous avons actuellement besoin de nous redécouvrir après
l’enregistrement et la promotion du CD». Sagesse donc mais aussi interrogation par rapport à ce «plein temps pour Dieu». Sidewalk ne veut pas foncer
tête baissée vers un avenir incertain.
«Nous avons à prier encore pour savoir ce que Dieu attend de nous pour
la prochaine étape, précise André-Philippe. Nous ne sommes pas prêts pour
tout. Il nous faut vivre un enracinement et voir si Dieu veut vraiment ce
ministère pour nous». Il y a un temps pour tout. Ne reste plus qu’à
«t’écouter en silence pour entendre ta voix, chercher à comprendre où tu
diriges mes pas pour ne rien entreprendre qui ne vienne de toi»: les
paroles de leur CD ne s’adressent pas seulement au public… (apic/bl)
ENCADRE
Prochains concerts de Sidewalk
27 septembre, à la fête des vendanges à Neuchâtel, 10 octobre, en 1ère
partie du concert de Michaël Smith à Payerne, 26 octobre au centre culturel
à St-Imier, 22 novembre au NED à Montreux, 2 au 10 novembre en tournée en
France, avec des étapes à Montbéliard (le 2) et à Cachan, en région
parisienne (les 9 et 11).
Des photos du groupe Sidewalk, pour illustrer ce reportage, sont
disponibles auprès de Jacques Veuve, rue du Midi 19, 2720 Tramelan (Tél.
032/ 97’49’91)
APIC – Reportage
Brésil: «Marqués pour mourir»
A Sao Paulo, violence et mort pour les enfants de la rue
Jacques Berset, Agence APIC
Plus de 4’000 adolescents et enfants de la rue assassinés ces dernières années au Brésil. Victimes de «Groupes d’extermination» disposant souvent du
soutien de la police et travaillant en cheville avec des commerçants locaux
désireux de se débarrasser des bandes qui écument certains quartiers. Victimes aussi de règlements de compte entre bandes rivales de trafiquants de
drogue. Loin de la vision romantique et idéalisée des «enfants de la rue»
souvent véhiculée en Occident, nous avons pu nous-même faire l’expérience à
Sao Paulo de cette «guerre sociale» qui ne veut pas dire son nom. Un monde
de violence, de drogue et de prostitution où tous les coups sont permis
mais aussi toutes les solidarités possibles.
Selon les données de l’Institut médico-légal de Rio de Janeiro, en
moyenne une quarantaine d’enfants et d’adolescents sont assassinés chaque
mois dans la métropole «carioca». Une recherche du Centre d’étude de la
violence (NEV) à Sao Paulo montre que 60 mineurs sont tués mensuellement
dans cette ville de 12 millions d’habitants.
Jonas Beltrao de Oliveira a l’air d’un intellectuel fragile, plutôt poète, avec ses longs cheveux noirs bien soignés. Collaborateur de la Pastorale des Mineurs de l’archidiocèse de Sao Paulo, il fait des rondes la nuit
dans le secteur de la Praça da Sé, en plein centre de la métropole «paulista», dans le but d’accompagner et de protéger les enfants de la rue. Ancien
étudiant en philosophie, il tient à nous avertir d’emblée: «Ce travail n’a
rien de romantique, il nous réserve bien des désillusions et des déceptions; il faut garder la tête froide et si je n’avais pas une foi bien
trempée, je ne résisterais pas».
Le dimanche soir précédent, au retour d’une veillée à la cathédrale consacrée à l’éthique en politique (on était en plein «Collorgate», la crise
qui allait permettre la destitution du président Fernando Collor de Mello,
accusé de corruption), six gamins d’une bande avec laquelle il travaillait
la nuit, l’ont agressé. Ils n’avaient pas reconnu tout de suite leur éducateur de rue. C’était «seulement» la septième fois que Jonas était attaqué
par des jeunes à Sao Paulo.
Une désertification des campagnes due à l’injustice sociale
Avec ses infrastructures depuis longtemps saturées, Sao Paulo «accueille» 1’000 à 2’000 nouveaux ruraux migrants par jour, parce que la campagne
ne leur offre aucune possibilité faute de réforme agraire et d’infrastructures sanitaires et éducatives suffisantes. Aujourd’hui, seuls 25 % des 150
millions de Brésiliens vivent à la campagne. Issus très souvent de familles
migrantes, les enfants et les adolescents de la rue sont complètement destructurés. Avant, dans la société rurale patriarcale, la famille vivait
dans une économie domestique organisée à laquelle ils collaboraient. En
ville, sans logement ni travail, sinon les petits métiers de l’économie informelle, et avec un habitat insalubre sous les ponts, dans les favelas ou
les «cortiços» (»ruches» ou taudis) surpeuplés, tout le système familial
traditionnel s’effondre.
Ainsi, dans de très nombreux cas, les enfants et les adolescents sont
les seuls à apporter des revenus à la maison. En vivant dans la rue et de
la rue. Au début, ils ne sont que sporadiquement dehors et gardent des contacts avec leur famille. Les parents, note Jonas, croient qu’ils ont trouvé
du travail, qu’ils font du petit commerce, que les petits demandent l’aumône… Mais rapidement les filles tombent aux mains des souteneurs et tenanciers de bars louches qui les «protègent» et les placent dans le circuit de
la prostitution. Les garçons se mettent en bande pour voler ou tombent dans
le trafic de drogue. Ils finissent par vivre totalement dans la rue, commencent à inhaler de la colle à chaussures, des solvants, puis viennent la
«maconha» (cannabis), le «crack» (free base) et la cocaïne. Les enfants de
la rue s’aperçoivent bien vite qu’ils gagnent beaucoup moins en vendant des
oranges au jour le jour qu’en attaquant un passant.
Eliminer les témoins
Et la montre qu’ils ont volée, ils la céderont quasiment pour rien à un
adulte receleur – souvent un surveillant ou un agent de sécurité – qui leur
fournira une certaine quantité de colle à inhaler. Ainsi s’installe le cercle vicieux, avec la prise de drogues de plus en plus dures. Filles et garçons deviennent des «avions», c’est-à-dire transportent des quantités de
drogues d’un endroit à un autre. Et ceux qui veulent sortir du milieu sont
«éliminés» d’une balle dans la tête par les chefs du trafic qui, eux, sont
des adultes. On appelle ces meurtres «queima de arquivo», «brûler les archives», c’est-à-dire éliminer les témoins.
Si les enfants et les adolescents de la rue – qui souffrent d’immenses
carences affectives et d’une grande destructuration de la personnalité savent faire montre d’une grande solidarité face au monde des adultes, en
particulier face à la police, ils finissent par perdre toute orientation
morale. Dans le monde de la bande, il existe certes un code éthique: les
jeunes de la rue ne s’attaquent pas aux femmes enceintes, aux enfants ou
aux gens qui les aident. En théorie. Car chez certains, la misère finit par
détruire les derniers vestiges de sens moral.
Les conditions de vie infrahumaines finissent par déshumaniser l’homme
au caractère le mieux trempé et le réduire à l’état de fauve. Cette expérience très pénible, nous l’avons vécue aux côtés des «catadores de papelao». Ces travailleurs vivent de la récupération du papier et du carton et
réclament la reconnaissance de leur métier : la moitié du papier recyclé à
Sao Paulo provient de ce travail, et pour chaque tonne de papier ainsi récolté, la mairie économise 33 dollars… En plein centre de la ville, au
milieu des viaducs qui déversent un flot incessant de voitures bruyantes,
une structure de béton sans eau ni électricité appelée «Le squelette», occupée par environ 200 personnes, des «catadores de pabelao». Parmi eux un
jeune migrant de Bahia, surnommé «O Baiano», une longue cicatrice lui parcourant le ventre et plusieurs traces de balles sur le côté. «J’ai déjà tué
trois personnes». Je pense à une plaisanterie. A tort!
Trahison
Il nous invite dans sa «maison», nous offre le café et parle longuement
de dignité humaine et de la société qui discrimine les pauvres. Au moment
de se dire au revoir, le voilà qui sort un revolver, tandis qu’un autre de
ses compagnons que je venais d’interviewer et de photographier me plaque un
pistolet sur la tempe: «Assis, le gringo, sinon je t’abats!». Je crois encore une fois à une plaisanterie. Le «Baiano» tremble, hurle, les yeux injectés de sang. Joao, le professeur qui m’accompagne, me fait signe d’obtempérer.
Joao, effondré, se sent trahi: c’est la première fois en cinq ans que
cela arrive. Son organisation, le Centre Gaspar Garcia Laviana, qui aide
ces gens à s’organiser et à obtenir certains aménagements de la part de la
mairie de Sao Paulo, va certainement devoir réorienter son travail. En attendant, ma montre m’est arrachée brutalement – nos agresseurs ne veulent
pas savoir que c’est un cadeau de mon parrain décédé – et une fouille sans
ménagements ne me laisse qu’un seul dollar et 300 cruzeiros, pas même de
quoi téléphoner. Les autres habitants du «squelette» sont atterrés: «on ne
fait pas cela à des amis, on n’attaque pas des gens qui viennent nous aider… on ne vole jamais dans sa propre maison». Ils craignent aussi une
possible rafle de la police militaire, et ici, une telle intervention peut
tourner au massacre!
Même les voleurs ont un code d’honneur. Mais, à l’évidence, pas ceux-ci.
Quelques heures plus tard, les éducateurs de rue – accompagnés d’un groupe
de jeunes de la maison – peuvent récupérer la plupart des traveller’s chèques que les voleurs n’ont pas su écouler. Les agresseurs sont à nouveau
dans leur habitation de fortune, fumant de la «maconha». Sûrs de leur impunité, ils ne m’ont même pas confisqué mon enregistreur et mes appareils de
photos… Plus tard, un éducateur me confiera: «Ceux-là sont marqués pour
mourir… Ils ne vont pas vivre longtemps, ils n’ont plus aucun code moral,
ils ne réfléchissent plus, et la mort, ils connaissent!».
Encadré
Les tueurs à gages, une tradition bien ancrée
Les «Groupes d’extermination» qui s’en prennent aux jeunes de la rue sont
payés pour tuer, ils reçoivent un «contrat», c’est une tradition de la politique brésilienne, note Herbert de Souza, directeur de l’Institut Brésilien d’Analyses Sociales et Economiques (IBASE) à Rio de Janeiro. Par exemple, les grands propriétaires tout puissants de l’intérieur du pays, surnommés les «colonels», avaient l’habitude d’utiliser des «capangas», des
«pistoleiros» qui reçoivent de l’argent pour éliminer les syndicalistes,
les opposants ou les simples gêneurs. Dans les métropoles, ces tueurs à gages s’organisent dans des groupes de «nettoyage». La police a souvent une
participation très active dans ces meurtres, souligne le sociologue brésilien.
Julio Lancellotti, coordinateur de la Pastorale des Mineurs de l’archidiocèse de Sao Paulo confirme que la Police Militaire participe à l’extermination des enfants de la rue. Pour comprendre le peu de cas qu’elle fait
de la vie humaine, il suffit de penser à la sauvagerie avec laquelle elle a
mâté le 2 octobre la mutinerie du Pavillon 9 du pénitencier de Sao Paulo,
faisant plus de 200 morts. Le cardinal Paulo Evaristo Arns, archevêque de
la ville, a parlé à ce propos «d’action criminelle de la police» : de nombreux prisonniers menottés ont été exécutés dans leur cellule et certains
étaient si mutilés qu’ils étaient méconnaissables.
Les enfants de la rue: une question de sécurité ou un problème social?
Lancellotti révèle que la question des enfants de la rue – un problème
social – est encore considéré aujourd’hui au niveau du gouvernement fédéral
et même de l’Ecole Supérieure de Guerre comme une question de «sécurité nationale», et est traitée avec des méthodes policières. Et tout cela malgré
l’adoption il y a tout juste deux ans d’un Statut de l’Enfant et de l’Adolescent progresssite, qui fait de ces mineurs des sujets de droits, alors
que l’ancien Code des Mineurs n’en faisait que des objets de répression judiciaire.
Dans les faits, les sinistres «Escadrons de la Mort» de l’époque de la
dictature militaire renaissent sous une autre forme et avec plus de virulence encore, profitant de la tolérance d’une bonne partie de la société,
des milieux conservateurs de la presse et de la politique qui considèrent
les enfants de la rue comme une menace pour la sécurité et un danger social. «Ce ne sont pas les enfants de la rue qui sont un problème, mais la société qui produit et tolère un tel scandale», affirme le Secrétariat national de la Pastorale des Mineurs, «en effet, les enfants abandonnés dans la
rue sont une accusation terrible contre cette société». (apic/be)
Encadré
Vaincre la misère est possible, c’est une question de volonté politique
Herbert de Souza, 56 ans, a commencé son action dans les années 60 au sein
de l’Action catholique. Comme un adepte du personnalisme d’Emmanuel Mounier, il avait conscience que la question sociale est fondamentale, une interpellation qui a marqué toute une génération d’intellectuels brésiliens à
l’époque où s’installait la dictature militaire.
Le directeur de l’IBASE estime qu’il faut absolument «domestiquer» le
capitalisme, tout en se demandant si c’est possible: «Car vous devriez
changer le capitalisme à tel point qu’il ne serait plus le capitalisme, un
système basé sur un principe de lutte fratricide». L’existence d’enfants de
la rue pourchassés par la police et les «Escadrons de la Mort» est pour lui
la pire des accusations contre le modèle de société imposé au Brésil.
«La possibilité de vaincre la misère existe, ce qui manque, c’est la volonté politique de ceux qui monopolisent le pouvoir. Si vous donnez dix
milliards de dollars à ce gouvernement, sans le changer fondamentalement,
le pouvoir sera certainement très heureux, mais les enfants brésiliens n’en
verront pas un centime. Il faut un changement éthique: il est nécessaire
que l’éthique domine la politique et que la politique domine l’économie. Le
gouvernement du président Collor, aujourd’hui déchu, de même que ceux qui
précédaient, se sont montrés plus solidaires du Fonds Monétaire International et de la Banque Mondiale que de leur propre peuple».
Vaincre la pauvreté et la misère – à laquelle est condamnée plus de la
moitié des 150 millions de Brésiliens – c’est possible, car le Brésil est
riche: c’est même la 9e puissance économique mondiale selon le PIB et le
pays débourse un milliard de dollars par mois pour sa dette extérieure!
Mais le modèle économique choisi, qui permet à 10 à 15 % de la population
de vivre comme au Canada ou en Espagne – un îlot de richesse au milieu d’un
océan de misère – doit être changé structurellement, pour répondre aux besoins fondamentaux de sa population. C’est ce qu’a fait l’Europe après la
deuxième guerre mondiale avec le Plan Marshall, lance le chercheur brésilien, qui conclut: «Ici, nous sommes en pleine guerre sociale, nous vivons
une situation d’apartheid social!» (apic/be)
Les photos de ce reportage sont disponibles à l’Agence APIC