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apic/Sacrement de réconciliation/Père Bernard Rey

APIC-Interview

La réconciliation, un

sacrement en crise?

Rencontre avec le Père dominicain Bernard Rey

Bernard Litzler, pour l’Agence APIC

Lausanne, 24décembre (APIC) La réconciliation, un sacrement en crise? Ce

n’est pas l’avis du Père Bernard Rey. Son dernier ouvrage «Pour des célébrations pénitentielles dans l’esprit de Vatican II» (Cerf, 1995) dénonce

la timidité de la réforme engagée depuis le Concile. Dans une interview accordée à l’APIC, le religieux dominicain rappelle que la dimension individuelle et la dimension collective du sacrement de la réconciliation sont

liées; il déplore certaines réticences romaines.

Le Père Bernard Rey déclare s’engager pour une démarche pénitentielle

conforme tant aux souhaits des Pères conciliaires qu’à la Tradition de

l’Eglise: la dimension individuelle et la dimension collective sont liées.

Le rituel francophone a développé cette intuition de Vatican II, mais des

réticences romaines remettent l’accent sur la démarche individuelle.

BernardLitzler:Vous militez pour une pastorale sacramentelle qui soit fidèle et audacieuse. Qu’entendez-vous par là ?

PèreBernard Rey:Dans l’élan de la réforme liturgique de Vatican II, on a

mis en place des célébrations pénitentielles. D’où une tension par rapport

à ces nouveautés. Les célébrations communautaires avec absolution collective par exemple, sont parfois soupçonnées au nom d’une Tradition: une célébration doit comporter aveu et absolution personnels. Dans ce domaine on ne

se réfère pas suffisamment à la grande Tradition.

Dans mon ouvrage, j’ai voulu refaire un parcours de la Tradition. Or

nous nous trouvons dans une nouvelle époque de la vie pénitentielle de

l’Eglise. En nous inspirant du passé, il faut trouver un équilibre entre

fidélité et audace. Fidélité, ne pas brader les célébrations personnelles,

et audace car, selon les intuitions de notre époque, les célébrations peuvent jouer un rôle dans la vie contemporaine.

B.L.:Y a-t-il une opposition entre la célébration communautaire et la célébration individuelle ?

B.R.:Ce sont deux choses complémentaires. Or, dans les documents officiels, les célébrations communautaires sont envisagées souvent comme une

sorte d’écrin à l’intérieur desquelles se placent des célébrations individuelles. On fait fausse route car on risque de tomber dans des célébrations

ni vraiment individuelles ni vraiment communautaires. Le titre du livre se

veut militant -»Pour des célébrations pénitentielles»- pour que les deux

instances, personnelle et communautaire, soient respectées. Instance personnelle, car un chrétien a besoin de réfléchir sur son chemin vers Dieu et

faire une démarche où une parole lui est dite sur sa vie.

Mais les communautés chrétiennes sont plus qu’une somme de personnes.

Une communauté a une existence sociale et les célébrations communautaires

s’adressent à une communauté en tant que Corps du Christ. J’aime beaucoup

une formule des évêques belges : «Les cérémonies communautaires de la réconciliation sont l’expression liturgique d’une communauté qui se convertit». Une célébration communautaire, c’est un groupe de chrétiens qui s’interroge sur sa fidélité à l’Evangile dans des situations déterminées.

Une parole de Dieu doit venir les éclairer et ensemble ils ont à

s’avouer pécheurs par rapport à ces situations et à mettre en place des

chemins d’Evangile. Il serait curieux que des célébrations communautaires

inventées au Concile ne puissent pas saisir les chrétiens dans leur dimension ecclésiale.

B.L.:Reste-t-on trop attaché à la confession individuelle?

B.R.:Je n’ai pas cette impression. Mais je trouve que l’intuition exposée

dans le rituel francophone – une communauté est plus large que la somme de

ses membres – n’a pas été mise en oeuvre. On revient toujours aux problèmes

individuels, alors qu’à la limite ça n’est pas nécessairement le lieu. Supprimer les célébrations individuelles, parce qu’on a des célébrations communautaires, c’est une erreur. On induit l’idée que les célébrations communautaires sont des sommes de célébrations individuelles. C’est pour cela

que je ne suis pas tellement d’accord avec les documents romains.

Dans les catéchismes, on consacre des pages et des pages au sacrement de

la pénitence et quatre ou cinq lignes aux célébrations communautaires.

C’est incroyable, alors que la réforme inspirée du Concile a clairement mis

en place ces célébrations communautaires… Si on ramène ces célébrations à

des meilleures manières de faire des célébrations individuelles, parce

qu’on manque de prêtres, on dévie complètement de la réforme de la liturgie

pénitentielle.

B.L.:Pour quelles raisons n’a-t-on pas été jusqu’au bout de cette intuition conciliaire:?

B.R.:Le nouveau rituel francophone de la pénitence a été très loin. Mais

la crainte que ces célébrations communautaires détournent les gens de la

démarche individuelle n’a pas permis d’arriver à des propositions pratiques

cohérentes avec la pensée développée dans les préliminaires du rituel francophone.

B.L.:Comment concilier examen de conscience individuel et démarche

collective?

B.R.:Le rôle primordial donné par le Concile à la Parole de Dieu dans la

liturgie se retrouve dans les célébrations communautaires. Dans le temps on

insistait beaucoup sur l’examen de conscience. La dynamique de la célébration aujourd’hui, c’est de nous remettre à la lumière de la Parole de Dieu,

extérieure à moi, qui va éclairer ma conscience. Avant d’examiner son

coeur, il faut examiner le coeur de Dieu. L’éducation peut se faire de cette façon-là. Mais la réforme liturgique s’est référée à des expériences qui

avaient commencé dans les années 48-50.

Pas question de célébration avec absolution communautaire, mais c’était

pour préparer les gens. Or ces pionniers, en particulier dans les paroisses

ouvrières de Belgique – sensibles à la solidarité – estiment que pour amener les communautés à ce nouveau type de célébration, il faut souvent un ou

deux ans de prédications préalables. Je crains donc que cette nouvelle liturgie ait été mise en place sans qu’on n’explique qu’il s’agit de quelque

chose de nouveau. N’ayant pas perçu cette dimension commune, les gens reviennent dans le schéma connu. Il faut une éducation de la communauté à sa

responsabilité collective. Une fois qu’ils auront pris conscience de cela,

ils éprouveront le besoin ensemble de faire une démarche de pénitence. Mais

ça prend beaucoup de temps et on n’a peut-être pas pris assez de temps.

B.L.:Le prêtre est à la fois l’intermédiaire entre Dieu et la communauté

et membre du peuple qui confesse son Dieu. Pouvez-vous expliquer cela?

B.R.:Le prêtre est le ministre de la célébration, bien sûr. Mais le rituel nous dit que prêtre et pénitent s’accueillent mutuellement. Comme frères ils se situent ensemble avec le Christ en face du Père. Il y a là une

avancée, car le schéma habituel dans la tête des gens: Dieu, puis le prêtre

en dessous, et le prêtre sert d’intermédiaire. Le Concile de Trente insiste

d’ailleurs sur la figure paternelle du prêtre à l’égard du pénitent.

Dans le rituel francophone, on introduit deux additions par rapport au

rituel romain. D’abord «que l’Esprit nous éclaire», nous sommes ensemble…

Le prêtre n’est pas seulement la figure paternelle du Père, mais aussi la

figure fraternelle du Christ qui se trouve au milieu du prêtre et du pénitent. Deuxième aspect, dans les célébrations avec plusieurs prêtres, les

fidèles sont souvent frappés de voir que le prêtre est aussi un pécheur qui

se soumet à ce rite pénitentiel d’une absolution personnelle à l’intérieur

d’une célébration communautaire. Ceci qui correspond bien au type de relation que les prêtres ont avec les gens: père, mais aussi frère dans la

communauté.

B.L.:La notion de pénitence n’est-elle pas balayée?

B.R.:Dans les premiers siècles, les gens n’avaient pas accès aux sacrements pour la plupart et devaient mener une vie dans la pénitence. Puis, à

partir du XIème siècle, la notion de pénitence s’est concentrée sur l’aveu.

C’était tellement difficile d’avouer qu’on en est venu à considérer l’aveu

comme une expiation. Moyennant quoi, la pénitence était une prière ajoutée

à la fin qui ne portait pas tout le poids de la pénitence.

Quel est le sens de la pénitence? Quand vous avez détruit une relation,

celui qui est offensé vous respecte en vous demandant de reconstruire ce

qui est abîmé. Il n’y pas là un prix à payer mais la reconnaissance de la

dignité du pécheur en lui faisant comprendre qu’on veut l’aider à reconstruire ce qu’il a abîmé. «Que votre conversion se manifeste dans la façon

dont vous vivrez», dit-on aujourd’hui. On retrouve la dimension d’étaler

dans le temps cette pénitence. Les chemins de la réconciliation humaine

sont longs et pénibles.

Or le sacrement donnait l’image d’une réconciliation en quelques minutes. Avec toute la gamme dont on dispose maintenant (célébrations individuelles, célébrations communautaires sans absolution, célébrations communautaires avec absolution), on peut mettre en place des procédures longues.

A celui veut se convertir, on donne du temps. L’absolution n’est pas nécessairement au bout de la première célébration. C’est la prise au sérieux de

la dimension pénitentielle qui consiste à changer sa vie pour accueillir

l’Evangile et en vivre. (apic/bl/be)

Encadré

Le Père Bernard Rey

Le Père Bernard Rey, 64 ans, est un théologien réputé, ancien professeur de

théologie dogmatique à la Catho de Lille. Il est l’auteur d’ouvrages de

christologie: «Créer dans le Christ-Jésus» (1966), «A la découverte de

Dieu» (1982), «Nous préchons un Messie crucifié» (1989), «Jésus-Christ vivant au coeur du renouveau charismatique» (1990). Le père Rey a dû réduire

son activité d’enseignant pour des raisons de santé, mais intervient encore

régulièrement pour des conférences et des prédications. Prochain ouvrage

prévu pour le printemps 97 : «La discrétion de Dieu». (apic/bl/be)

Le Centre catholique romand de formation permanente (CCRFP) à Lausanne

vient d’éditer un cahier sur le sacrement de réconciliation, intitulé «Célébrer le pardon du Seigneur». Cette parution fait suite au passage du Père

Rey fin novembre à Saint-Maurice. Ce fascicule est disponible au CCRFP,

Boulevard de Grancy 29, 1006 Lausanne.(Tél. 021/617.31.57).

24 décembre 1996 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 7  min.
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