U.C.L. : le doyen de la Faculté de Théologie inaugure un cycle de

conférences sur le «Jésus de l’histoire» =

Louvain-la-Neuve, 14 février 1997 (CIP)

Le professeur Camille Focant, doyen de la Faculté de Théologie de l’U.C.L.,

où il enseigne l’exégèse du Nouveau Testament, inaugurait le 10 février à

Louvain-la-Neuve un cycle de quatre conférences sur le «Jésus de

l’histoire». L’initiative de ces rencontres, organisées conjointement par

la Faculté et la jeune Fondation Sedes Sapientiae créée pour soutenir

l’enseignement et la recherche en théologie, a suscité l’intérêt d’un

public nombreux et varié.

Aux premiers rangs d’un auditoire de quelque 300 personnes, le recteur de

l’U.C.L. Marcel Crochet, son prédécesseur Pierre Macq ainsi que Mme

Anne-Marie Kumps, administrateur, avaient tenu à manifester l’estime de

l’Université pour cette initiative.

Le professeur Charles van Ypersele de Strihou, président de la Fondation

Sedes Sapientiae (1), a d’ailleurs ouvert la soirée en rappelant le

privilège et la mission d’une Faculté de Théologie au sein d’une Université

complète : n’est-elle pas «une lumière dans un monde qui cherche son sens»

? Dans une société où «le sacré se dilue», «un monde qui se transforme»,

a-t-il noté, les chrétiens sont stimulés à «rendre compte» de leur foi, ce

qui les incite à «redécouvrir ce que la foi a à leur dire».

Jésus : qúen sait-on ?

L’objet du professeur Focant n’était pas d’examiner les faits de l’histoire

de Jésus, ni ses paroles, ni sa personnalité et son projet aux yeux de ses

contemporains ou de ses disciples après Pâques. Tout ceci fera l’objet des

trois autres conférences du cycle (2). La première se devait d’aborder une

question préalable : sur quelles sources peut-on s’appuyer pour remonter à

l’histoire même de Jésus, et que valent-elles ?

«Jésus n’a rien écrit, sauf sur le sable», rappele l’exégète. L’historien

ne dispose que de sources indirectes. Dans les sources extérieures au

christianisme, Jésus a même laissé peu de traces. Mais l’information que

livre l’écrivain romain Tacite dans ses «Annales» (vers 116-117) ne manque

pas d’intérêt : le nom des chrétiens, dit-il, «leur vient de Christ que,

sous le principat de Tibère, le procurateur Ponce Pilate a livré au

supplice». C’est une attestation nette de la mort de Jésus, donc de son

existence historique, de la part d’un écrivain hostile au christianisme.

L’historien juif Flavius Josèphe (37-100) rapporte de son côté la mort de

Jacques, qui était à la tête de la première communauté chrétienne à

Jérusalem. On connaît également un texte de Josèphe sur Jésus, transmis par

l’intermédiaire de l’écrivain chrétien Eusèbe de Césarée, mais ce texte,

daté de l’an 90, pose en certains endroits des problèmes d’authenticité.

Quels évangiles ?

Des «évangiles», l’Eglise universelle en a retenu finalement quatre,

attribués à Matthieu, Marc, Luc et Jean. Mais en dehors de ces quatre

récits, admis comme «canoniques», il y eut d’autres «évangiles», non

acceptés dans la lecture publique et cultivant volontiers ce qui est

insolite, «caché, secret», d’où leur qualificatif d’»apocryphes».

Il y eut des évangiles «apocryphes» de divers types. Les plus anciens, tel

«l’Evangile de Thomas», misent le savoir pour initié (la «gnose») et

l’ésotérisme ; ils ont suscité très tôt une opposition nette et franche.

Aux 2e et 3e siècles ont fleuri quelques recueils fragmentaires de paroles

et des gestes de Jésus, souvent ornés de détails piquants. Et du 3e au 6e

siècle, les auteurs d’évangiles apocryphes ont même développé, sous un mode

romanesque, des récits sur la naissance et l’enfance de Jésus, sur Marie et

Joseph… Ces textes ne manquent pas de «perles», aux yeux du spécialiste,

mais il comprend que saint Jérôme ait parlé du «délire des apocryphes».

Témoignages et non reportages

Quant aux évangiles canoniques, le critère décisif pour leur reconnaissance

universelle a moins tenu à la valeur des renseignements historiques

fournis, qúà la qualité de la présentation de Jésus pour nourrir «la foi et

l’agir des chrétiens», insiste le professeur Focant.

Les quatre «Evangiles» du Nouveau Testament ont été précédés par les

lettres de l’apôtre Paul, mais Paul livre fort peu d’informations sur le

Jésus de l’histoire. Des évangiles canoniques, en revanche, beaucoup

d’informations historiques peuvent être tirées, mais il est à tout jamais

«impossible de s’en servir pour reconstituer une vie de Jésus» de A à Z,

constatent les exégètes d’aujourd’hui. Tous les essais de «Vies de Jésus»

qui ont paru aux XIXe et XXe siècles reposent sur des erreurs de méthode et

des préjugés flagrants, qúaucun historien ne peut plus accepter.

Le fait majeur sur lequel l’exégète insiste est que les évangiles n’ont pas

été conçus comme biographies : ce ne sont pas des chroniques, encore moins

des reportages, mais avant tout des témoignages de foi. Ils s’inspirent

certes de traditions antérieures, et portent la marque des communautés où

ces traditions ont été cultivées, mais ils témoignent aussi d’un réel

travail de composition littéraire et théologique.

De la tradition aux évangiles

Les premières communautés chrétiennes ont vécu dans un monde dont la

culture était fondamentalement portée par la tradition orale. C’est à cette

tradition qúont puisé les évangiles canoniques. La tradition a pris des

traits variés, selon les communautés: des chrétiens d’origine juive et de

langue araméenne ne s’expriment pas comme des judéo-chrétiens de culture

grecque ni comme des chrétiens d’origine non juive. En outre, ce que les

communautés ont retenu et rapporté de Jésus n’a pas été transmis au hasard,

ni de façon neutre. Elles ont rapporté les paroles et les gestes de Jésus

en les relisant en fonction de leurs besoins : la prédication pour de

nouveaux adeptes, la prière et la liturgie, la réponse à des questions

concrètes surgies dans la vie des communautés.

Tout ce que Jésus a vécu, ses paroles et ses actes ont été relus, dès le

départ, à la lumière de l’événement de Pâques qui a mobilisé la foi des

premiers chrétiens. La traditon orale s’est élaborée d’abord pour raconter

la Passion, la mort et la résurrection de Jésus, puis pour présenter ses

paroles et ses actes. Pour raconter Jésus, les chrétiens n’ont donc pas

commencé par la naissance, mais par la mort et la résurrection. Les

évangiles semblent procéder à l’inverse, en situant d’abord Jésus par

rapport à son origine. Mais la clé de cette oeuvre nouvelle reste gouvernée

par le souci de faire découvrir Jésus ressuscité ! Car tel est le propos

ultime !

Des comparaisons entre les évangiles, Camille Focant a relevé les points

saillants de l’exégèse actuelle. Depuis le début du siècle, le consensus a

grandi parmi les spécialistes pour affirmer non seulement des sources

orales mais des sources écrites à la base des évangiles. De plus en plus

d’exégètes considèrent l’évangile de Marc (vers 65 à 70) comme le plus

ancien, car il a inspiré visiblement les évangiles de Matthieu et de Luc.

La parenté des formulations de Matthieu et de Luc a conduit également une

majorité d’exégètes à se rallier à l’hypothèse d’une autre source commune,

autre que Marc: une collection de paroles, dont le document n’a pas été

conservé. Quant à l’évangile de Jean, il a vu le jour en plusieurs étapes

jusqúà une rédaction finale, située à la fin du premier siècle.

Relectures plurielles

En conclusion, le professeur Focant invite à considérer les évangiles comme

«des relectures de la vie de Jésus», faites après Pâques et «en fonction de

choix théologiques». De plus, la vision de Jésus qui s’en dégage n’est pas

unique : elle repose pour toujours sur «une narration plurielle». Ce fait,

souligne l’exégète théologien, «est lié à l’incarnation : c’est dans le

concret que Jésus se donne à connaître».

Aujourd’hui, la recherche sur Jésus reste «inachevée», ajoute Camille

Focant. Donc, «de nouvelles reconstructions sont possibles». Ce qui

«empêche de clôturer le dossier Jésus».

16 février 1997 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 5  min.
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