du Katanga dans la politique d’expulsion des Kasaïens
Zaire: les compromissions et les silences de l’Eglise catholique (100193)
Témoignage du Supérieur provincial des Spiritains de Belgique
Bruxelles, 10janvier(APIC) Ancien missionnaire au Zaïre de 1965 à 1973,
le Père Joseph Burgraff y est retourné à la fin du mois d’octobre dernier
pour un séjour de huit semaines. Le Père Burgraff, actuellement Supérieur
provincial des Spiritains en Belgique et directeur national de Missio
(Oeuvres Pontificales missionnaires), décrit franchement la situation du
Zaïre dans une interview donnée récemment à l’agence de presse catholique
belge CIP. Mais aussi l’attitude de l’Eglise, notamment au Katanga, gravement compromise à ses yeux, dans l’expulsion et «le génocide» des Kasaïens.
En huit semaines, quelles régions avez-vous visité?
«Je me suis rendu dans cinq diocèses. A Kinshasa d’abord; puis dans
trois diocèses de l’est du pays: Kindu, Kongolo et Manono, enfin tout au
sud, à Lubumbashi, au Katanga. Sur place j’ai rencontré des évêques, des
prêtres, des religieux, des religieuses, en animant aussi des retraites
avec eux. Par ailleurs ma connaissance du swahili a facilité les contacts
avec la population locale.
Les Zaïrois se débattent depuis plusieurs années avec d’énormes difficultés. De quoi est faite aujourd’hui leur vie quotidienne?
«Partout on vit dans un monde de pauvreté, de faim, de corruption. A
travers le pays, il n’y a pratiquement plus de transport. C’est le vélo qui
devient le moyen de transport principal. Le train ne roule qu’à de rares
occcasions. Conséquence: les produits ne peuvent plus transiter d’une région à l’autre. Cette carence dans les transports ruine la confiance de
ceux qui veulent se lancer dans la production agricole. A quoi bon produire
si l’on ne peut écouler la production ?
L’enseignement fonctionne mal très depuis quatre ans. Fin décembre, les
écoles n’étaient pas encore réouvertes. Les Universités non plus. Quant aux
structures de santé, elles sont minables, à part celles qui sont gérées par
des institutions privées, surtout des organismes d’Eglises.
La monnaie zaïroise qui se dévalue sans cesse, n’est plus fiable. Les
fonctionnaires sont payés très irrégulièrement. Quand ils le sont – les
enseignants notamment – l’injection massive d’argent liquide provoque aussitôt une nouvelle dévaluation. En plusieurs endroits, à l’intérieur du
pays, on en est revenu au système du troc ou au paiement en devises étrangères, surtout en francs belges.
«Il y a près d’un an, la répression violente d’une marche pacifique des
chrétiens de Kinshasa a fortement ému l’opinion en Belgique. On a aussi
pris davantage conscience de la confiance que les Zaïrois placent dans
l’Eglise pour les aider et à sortir de leurs difficultés. Que fait l’Eglise
dans cette direction?
Les difficultés du pays obligent l’Eglise à faire quelque chose. Un grave défi. Mais je dois dire aussi que souvent on attend d’elle une réponse
qu’elle donne difficilement. De plus, cette réponse est loin d’être unanime. Ce qui dénote de sérieuses divergences sur la conception du rôle de
l’Eglise et de la mission des chrétiens. Ainsi à Kinshasa, Mgr Laurent Monsengwo joue un rôle de première importance depuis son élection à la présidence de la Conférence Nationale du Zaïre. Il assume ses responsabilités
avec beaucoup de sérénité, de fermeté et de lucidité. Il donne des raisons
d’espérer et de tenir. Il est très écouté. Mais Mgr Monsengwo n’est pas le
cardinal de Kinshasa, le cardinal Frédéric Etsou. Autre encore est la personnalité de l’archevêque de Lubumbashi, Mgr François Kabanga. Entre les
évêques du Zaïre, il y a des différences de perception. Les divergences ou
les hésitations de l’épiscopat se retrouvent au niveau du clergé diocésain
et au niveau des religieux.
L’expulsion des Kasaïens
«Au Katanga (l’ex-Shaba) l’Eglise catholique par exemple est confrontée
à un réel problème géopolitique. Invoquant un droit du sol, les Katangais
ont expulsé tous les étrangers, surtout les Kasaïens. L’archevêque de Lubumbashi leur a fourni des arguments: les deux peuples ne seraient pas
faits pour s’entendre. C’est «Cain et Abel», écrivait-il à l’automne dans
une lettre pastorale. La Conférence épiscopale du Katanga s’est penchée sur
le problème, mais sans oser trancher: dans leur lettre pastorale du 30 novembre, les évêques de la région parlent des «sinistrés» à secourir, comme
si les Kasaïens expulsés avaient été victimes d’un tremblement de terre ou
d’un orage! Pas un mot sur les responsabilités, ni sur le devoir de réparation et de restitution des biens! «Je me demande dans quelle mesure l’Eglise du Katanga est encore en communion avec celle du Zaïre», me confiait un
prêtre du diocèse de Bruges, missionnaire à Lubumbashi depuis plus de 30
ans.
L’archevêque de Lubumbashi, Mgr Kabanga, aurait donc, en quelque sorte,
«béni» et favorisé les expulsions de Kasaïens? Se rendait-il compte de la
situation? N’a-t-il pas subi des pressions?
«De bonne source, j’ai appris que les expulsions de Kasaïens résultent
d’une politique orchestrée par des amis de l’archevêque: à savoir Nguz
Karl-i-Bond, originaire de la région et ancien Premier ministre et le gouverneur du Katanga, Kyungu. Tous deux ont allumé un incendie qu’ils n’arrivent plus à maitriser. Lors d’un meeting, fin décembre Nguz-Kark-i-Bond a
tenu en public des propos orduriers contre Mgr Monsengwo, président de la
Conférence nationale du Zaïre, le traitant de «mauvais prêtre, de mauvais
évêque, de politicien de bas niveau. Ce n’est pas un homme!», a-t-il dit.
Ces jugements diffamatoires n’ont provoqué aucune réaction des évêques ni
des prêtres katangais! Au lendemain de ce meeting, le gouverneur Kyungu
s’est uni, par une parodie de mariage, à une troisième femme qui quelques
semaines auparavant avait été baptisée complaisamment dans une paroisse de
Lubumbashi!. Certes, il n’y a pas eu de mariage religieux. Mais pour les
gens ordinaires, l’équivoque est totale».
Vous parlez bien d’une «politique d’expulsion» des Kasaïens?…
«Oui, la population kasaïenne est victime d’un ’véritable génocide’. On
détruit et on incendie leurs maisons, puis on regroupe «les sinistrés» dans
une gare où ils attendent , durant des mois, un train qui ne vient pas…
Selon vous, l’Eglise locale a laissé faire?
«Si on expulsait un groupe ethnique de Kinshasa, les chrétiens de la capitale auraient tôt fait de s’organiser pour descendre dans la rue. Au Katanga, il y a un silence de l’Eglise qui est gênant. Il manque des voix
prophétiques pour dénoncer les abus, la corruption, le mensonge. Ce qui se
passe est très grave: On autorise des pillages d’habitations de Kasaïens:
Des autorités en place s’arrogent le droit de voler. Le sens civique s’est
totalement dégradé.
Comment l’Eglise catholique gère-t-elle les bien matériels? Beaucoup de
diocèses n’ont pas tellement de moyens.
«Il est vrai que la plupart des diocèses que j’ai visité sont en très
grande difficulté financière. Les rentrées sont maigres. Mais je dois dire
aussi que la gestion est mauvaise. Souvent, l’Eglise m’a donné l’impression
de vivre au-dessus de ses moyens. Elle préfère les grosses constructions ou
les gros véhicules. Bien sûr, il faut un véhicule robuste pour un long déplacement à travers le pays. Mais dans le cadre d’une paroisse, une moto ou
un vélo suffirait. Je ne connais pas de paroisse capable de payer à elle
seule ne fût-ce que le carburant d’un véhicule tout terrain: une collecte
dominicale, dans une paroisse de l’intérieur du pays, ne rapporte en moyenne que 4 millions de zaïres, soit moins de 70 francs belges! Avec des véhicules plus modestes, les agents pastoraux donneraient aussi un tout autre
visage à l’Eglise et seraient moins tentés de se servir d’un équipement
pastoral à des fins personnelles.
«A mon sens, une Eglise locale ne peut se permettre de dépassser le niveau de standig moyen du pays. Au Zaïre, j’ai parfois été surpris par la
taille de certaines églises et par les matéraiaux employés. A quoi bon consacrer un million de francs belges à la construction d’un lieu de culte,
avec des matériaux importés. Et donc irremplaçables en cas de détérioration
ou de sinistres. En utilisant par contre des matériaux traditionnels des
Africains, on peut bâtir une église pour 100’000 francs belges. Et une
église que les paroissiens pourront et voudront entretenir eux-mêmes».
(apic/cip/ba)