© Pierre Pistoletti
Homélie

Homélie du 11 juillet 2021 (Mc 6, 7-13)

P. Jean-René Fracheboud – Chapelle de La Pelouse, Bex, VD

Chers frères et sœurs,
Je me suis endormi sur le sable à mille miles de toute terre habitée. Au lever du jour, une drôle de petite voix me réveille: S’il te plaît, dessine-moi une église. 

Je saute sur mes pieds comme si j’avais été frappé par la foudre. Je frotte bien mes yeux. Je vois un petit bonhomme tout à fait extraordinaire qui me considère gravement.  Il me répète alors, tout doucement comme une chose très sérieuse:  S’il te plaît, dessine-moi une église.  

Chers amis, vous reconnaissez là une paraphrase du Petit Prince de Saint-Exupéry. J’emprunte à un confrère de la région lausannoise, décédé depuis quelques années, l’abbé Gilbert Marguet, cette savoureuse adaptation du Petit Prince.

«Dessine-moi une église!» 
Quand un mystère est trop impressionnant, on n’ose pas désobéir. Je sors de ma poche un papier et un crayon et je dis au petit bonhomme que je ne sais pas dessiner.  

Ça fait rien, dessine-moi une église, dit le Petit Prince
Alors, je dessine un clocher avec un tas de cloches. Il me regarde attentivement et me dit:  
Non non, c’est pas ça que je veux! 
Je refais mon dessin avec le clocher, une vaste nef, des fenêtres ogivales. Mon dessin est encore refusé. Il me dit:  
Celle-là est trop vieille. Je veux une église qui dure longtemps! 
Je refais une autre église avec beaucoup d’or et d’argent et toute étincelante de richesse, de beauté.  
Non non, dit le Petit Prince, celle-là est très malade. Dessine-moi une église! 

Faute de patience, je griffonne un autre dessin: je griffonne un petit enfant dans les bras de sa mère; un papa qui pose sa main sur l’épaule de la maman; un homme âgé qui s’appuie sur une canne; un jeune qui a le visage tout noir de l’Afrique; une grande fille aux yeux bridés. Je dessine un tas de monde qui se parle, se donne la main, s’écoute et sourit. Je suis bien surpris de voir s’illuminer le visage de mon petit bonhomme. Il me dit avec enthousiasme: 
C’est tout à fait comme cela que je la veux cette église!  

Frères et sœurs, c’est à nous aujourd’hui de dessiner l’église de Jésus-Christ! Vous le savez que trop…. Nos communautés, paroissiales, diocésaines, religieuses traversent actuellement des turbulences. Les révélations douloureuses de tous les abus d’autorité qui dérivent en abus sexuels nous laissent sans voix. Un cléricalisme rampant et sournois continue de ternir l’image de l’église.  

Beaucoup s’en vont et cherchent ailleurs des raisons de vivre et d’espérer. Et la pandémie que nous avons subie ne fait qu’accentuer ce qui apparaît bien comme un naufrage.  

Reconnaissons-le! Beaucoup d’autres institutions, le politique, l’économie, le culturel subissent la même érosion.  

Alors que faire? Fermer les yeux… fuir… tout laisser tomber? Non, il y a mieux à faire et à vivre. Il y a un formidable défi à relever: laisser le Christ, dans la force de l’Esprit, modeler son église, dessiner son église à travers nos vies, nos visages et nos engagements de baptisés, l’église de toujours, mais dans l’aujourd’hui de notre temps et le réalisme de ce monde bouleversé et bouleversant, et en même temps fascinant.  

La liturgie de ce dimanche, les textes proposés à notre attention priante, nous offre 3 belles balises, 3 points d’ancrage pour vivifier nos communautés et leur redonner du souffle et de l’ambition. 

Premier point essentiel: retrouver la dimension prophétique de l’évangile et de l’Église.  

A la suite d’Amos et de tous les prophètes, il s’agit de retrouver une Parole de Dieu qui à la fois ouvre un avenir de salut et à la fois dénonce vigoureusement les entraves, les scléroses, les sévices du mal. On n’aime pas les prophètes car ils dérangent. Le prêtre de Béthel, Amazias, dit à Amos: «Toi, le voyant, va-t’en d’ici, fuis au pays de Juda»… Fous le camp, va prophétiser ailleurs… 

Mais la réponse d’Amos est claire: «Le Seigneur m’a saisi quand j’étais derrière le troupeau et c’est lui qui m’a dit ›Va, tu seras prophète pour mon peuple Israël’.» 

Le Christ poussera à l’extrême cette Parole prophétique, créatrice en allant jusqu’à l’extrême de la CROIX et de la Résurrection. Est plantée à tout jamais l’insurrection de l’Amour vainqueur face aux inerties multiples des enfermements, y compris celui des religions, des liturgies sans âme et des injustices notoires.  

Aujourd’hui, plus que jamais, il y a urgence à faire retentir le cri prophétique du Christ vis-à-vis de tous les drames qui empêchent les hommes et les femmes de vivre dignement. Oui, l’église à dessiner, à esquisser, à bâtir, est une église prophétique, et le Seigneur en est l’animateur. 

Deuxième point, deuxième balise: l’église n’a pas d’autre prétention que de rendre visible l’éternel dessein d’amour de Dieu sur toute l’humanité.

C’est la fresque grandiose de la 2e lecture, l’hymne de S. Paul aux Éphésiens.  

L’église est appelée à donner à voir, dans la fragilité, la somptuosité de ce Dieu qui voit grand pour l’homme et qui s’acharne envers et contre tout à tout orienter vers une plénitude et un achèvement. Le terme de l’histoire, c’est quand tout  basculera dans l’accomplissement de l’amour en Dieu.  

Nos églises, quand bien même elles sont secouées et bien imparfaites, sont un début de réalisation de ce qui sera demain dans la beauté et la gloire de Dieu. En terme théologique, cela s’appelle la dimension sacramentelle de l’église.  

L’humble ébauche de notre manière d’être ensemble au nom du Christ Jésus, nos manières de prier, de nous engager pour les plus pauvres ne sont pas banales. Elles disent un commencement qui annonce la consécration finale de la vie, de nos vies en DIEU. Cette prise de conscience est immense. Elle est le secret de nos fidélités. Puissions-nous continuer à dessiner cette église, même dans la tourmente et les dérisions trop faciles. 

Troisièmement: l’Église à dessiner est une église riche de sa pauvreté.  

Là, nous rejoignons l’évangile du jour, l’envoi en mission des Douze «…deux par deux, il leur donna autorité sur les esprits impurs.» C’est leur unique force, la densité en eux de l’autorité d’amour du Christ.  

Par ailleurs, ils sont envoyés les mains nues, sans gadgets, sans artillerie lourde, sans moyens, sans ressources exceptionnelles. Un bâton et des sandales, c’est tout. Pas de pain, pas de sac, pas de pièces de monnaie, pas de tunique de rechange… Rien d’autre, sinon en eux, au plus profond d’eux-mêmes le rayonnement mystérieux de la grâce de leur Seigneur.  

Dans l’envoi de Jésus se dégage une perspective de réussite possible: «Si dans une maison, vous trouvez l’hospitalité, restez-y.» Mais l’éventualité d’un échec, – le non-accueil, la fermeture du cœur, l’obstination -, est aussi envisagée d’une manière réaliste. En ce cas, «…partez et secourez la poussière de vos pieds: ce sera pour eux un témoignage.» L’offre d’amour, la bonne nouvelle du Christ, ne peut se transmettre que dans la liberté.  

Les envoyés, les missionnaires sont appelés à grandir en liberté, quelle que soit l’issue heureuse ou malheureuse de leur prédication. A l’image de leur maître, le Christ, rien ne pourra les ébranler dans leur évangélisation. Le petit bonhomme est toujours là… Il m’interpelle encore et encore:
Dessine-moi une église! 

Les uns avec les autres, osons sortir de la page blanche, osons l’aventure. Osons donner de la couleur, du relief à ce dessin à esquisser jour après jour. Osons dessiner l’église de Jésus-Christ dans la chair de notre chair,

  • une église prophétique, 
  • une église qui fait signe plus que nombre, 
  • une église qui n’est pas en surplomb détenant une vérité toute ficelée,  
  • une église humble qui marche au pas de la modernité,  
  • une église en sortie, qui n’a rien à vendre et rien à prouver, 
  • une église sans complexe et sans arrogance,  
  • une église envoyée aux périphéries qui porte un trésor infini, inouï dans des vases d’argile.  

Je l’aime cette église et j’ai hâte d’y travailler, avec vous! 
Amen 



15e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE B
Lectures bibliques: Amos 7, 12-15 / Psaume 84 (85), 9ab.10, 11-12, 13-14 / Éphésiens 1,3-14 / Marc 6, 7-13

© Pierre Pistoletti
11 juillet 2021 | 09:30
Temps de lecture: env. 6 min.
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