En 2021, des millions d'hectares de forêt ont brûlé à cause de sécheresses extrêmes dans diverses régions du Globe | photo d'illustration © Pixabay
Suisse

F.X. Amherdt lance dix appels pour une éco-spiritualité intégrale

François-Xavier Amherdt, professeur de théologie à l’Université de Fribourg, lance dans le journal Le Temps du 10 août 2021, «dix appels pour une éco-spiritualité intégrale». Le prêtre invite à une conversion écologique inspirée de l’encyclique du pape François Laudato si’ (2015), qui met en exergue «une spiritualité globale branchée sur le cosmos».

Les appels de l’abbé Amherdt surviennent alors que les préoccupations environnementales sont sur le devant de la scène. Dans un été marqué par des événements météorologiques extrêmes, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a publié, le 9 août, un rapport choc. Selon ces données, le réchauffement de la planète pourrait atteindre le seuil de +1,5°C autour de 2030, dix ans plus tôt qu’estimé, menaçant l’humanité de nouveaux désastres «sans précédent». Le Groupe d’experts appelle donc à une prise de conscience et à des changements rapides dans nos sociétés humaines.

Pour François-Xavier Amherdt, Laudato si’ est l’un des documents les plus marquants de notre époque plaidant en faveur de ce changement souhaité dans notre rapport à la nature. Le prêtre dégage ainsi dix appels pour une conversion écologique intégrale inspirée de l’encyclique:

1. NOTRE «MAISON» COMMUNE

C’est parce que la terre est notre maison commune – oikos en grec, qui donne écologie – que tous les êtres humains sont concernés. Quelle planète allons-nous laisser aux générations qui nous succèdent? C’est parce que les hommes font partie de la nature qu’ils sont appelés à collaborer avec Dieu à l’œuvre créatrice qui se poursuit à chaque instant et à travailler à la sauvegarde de notre «habitat commun». Nul ne peut s’en désintéresser, à moins de déchoir de son humanité.

L’abbé François-Xavier Amherdt est professeur de théologie à l’Université de Fribourg | © Grégory Roth

2. «TOUT EST LIÉ»: POUR UNE JUSTICE CLIMATIQUE ET SOCIALE

Au sein du cosmos, tous les êtres sont interconnectés les uns aux autres, autant les personnes humaines que les autres créatures. Entendre les gémissements de la planète devant les attitudes d’exploitation utilitariste dont elle est victime, c’est en même temps percevoir les cris de tous les abandonnés de la terre, car la plupart du temps, les atteintes à l’environnement se répercutent dans les injustices sociales. La culture du déchet et de l’ultra-consommation va de pair avec la mondialisation de l’indifférence et le rejet des pauvres aux quatre coins du globe.

3. POUR UN REGARD CONTEMPLATIF

Toute la réflexion de François s’enracine donc dans la reconnaissance d’un Dieu créateur qui entretient une relation paternelle avec l’ensemble des créatures. C’est pour cela que l’être humain, modelé à l’image de son Seigneur (Genèse 1,26-27), prend part à l’exercice de la souveraine bonté de celui-ci sur le monde. Il est donc invité à porter un regard «mystique» et contemplatif sur la nature parce que tout l’univers matériel est un langage de l’amour de Dieu, de sa tendresse pour nous. «Le sol, l’eau, les montagnes, tout est caresse de Dieu» (LS, n. 84).

4. POUR UNE RÉFLEXION PHILOSOPHIQUE ET THÉOLOGIQUE COMMUNE

En plus de s’appuyer sur les compétences de nombreux climatologues, l’encyclique a bénéficié des apports de théologiens et philosophes de différentes confessions chrétiennes (dont celles du patriarche orthodoxe «vert» Bartholomée de Constantinople). Il est donc primordial que les penseurs apportent leur contribution à cette mutation indispensable du regard de l’ensemble de la population sur la nature dans laquelle nous sommes insérés.

5. UN CHANGEMENT DE MODÈLE ANTHROPOLOGIQUE

L’homme postmoderne transhumaniste est victime de son illusion de toute-puissance: il désire prendre la place de Dieu. Victime de son ubris post-nietzschéenne, il se situe au-dessus ou en dehors de la nature, au lieu d’assumer son rôle de collaborateur vers ce que le dernier livre de la Bible, l’Apocalypse – Révélation, appelle «les cieux nouveaux et la nouvelle terre» (21,1). Ce pragmatisme utilitariste se fonde sur le paradigme de la raison instrumentale engendré par le fantasme d’un triomphe des techniques et des sciences sur «la loi naturelle» inscrite par Dieu en tout être et le rêve prométhéen du règne de l’homme sur l’ensemble de la réalité. Et quand l’homme se substitue ainsi à son Seigneur, il «finit par provoquer la révolte de la nature» (LS, n. 117). Pas de conversion écologique donc sans conversion anthropologique et sans saine compréhension de la vulnérabilité et de la fragilité constitutives de la personne humaine.

6. TOUS RESPONSABLES: IL Y A URGENCE!

Le document pontifical en appelle à la responsabilité écologique de chacun·e, car il y a urgence parce que «la maison brûle» et que le diagnostic est sombre. Aussi le pape réclame-t-il de ses vœux une gouvernance environnementale mondiale, tant au niveau de la politique internationale que des engagements nationaux et locaux, pour une transparence dans les processus et prises de décision et un dialogue entre instances politiques et économiques. Ce n’est que par une convergence des avis scientifiques, juridiques, philosophiques et théologiques qu’il sera possible de convaincre les dirigeants les plus climato-sceptiques et de remporter la bataille du climat.

7. POUR UNE ÉDUCATION À LA SOBRIÉTÉ

La vertu chrétienne de tempérance prend ici toute sa consistance, dans le contexte d’une éducation à un changement de style de vie. Il s’agit partout de faire l’éloge de la modération volontaire et de l’heureuse maîtrise de soi, en une sorte de carpe diem évangélique: savoir déguster chaque jour, chaque repas, chaque paysage, chaque rencontre. Car aucun geste n’est anodin, puisque tout se tient. Les trois vœux de la vie religieuse de pauvreté, chasteté et obéissance ne servent-ils pas à leur manière d’indicateurs pour une libération de la concupiscence, de l’égocentrisme et de l’exacerbation de l’autonomie repliée sur elle-même?

8. DES INITIATIVES CONCRÈTES, Y COMPRIS CHRÉTIENNES

Selon la visée biblique, le chrétien est «écologique» par nature. C’est ce à quoi s’emploient des organismes confessionnels ou œcuméniques tels Justitia et Pax, Caritas, les Centres sociaux protestants, Action de Carême-Pain pour le prochain. L’association helvétique Oeku-Œco, prônant le développement durable sous toutes ses formes, décerne un label «paroisses vertes» à celles qui adoptent une charte écologique concernant leur gestion de l’énergie.

9. POUR UNE SPIRITUALITÉ ÉCOLOGIQUE

La conversion écologique intégrale est donc véritablement de l’ordre de la spiritualité: il s’agit d’une «transition intérieure». Elle se tisse d’attitudes telles que la conscience amoureuse d’être connecté au cosmos, la sobriété heureuse selon la conviction que «moins est mieux que plus», la gratuité et la joie de l’espérance. Elle rejoint la devise monastique de saint Benoît (VIe siècle): «Ora et labora», c’est-à-dire «apprends à toucher le sol de tes mains pour planter et de tes genoux pour prier».

10. POUR UNE ATTITUDE D’ACTION DE GRÂCE

L’éco-spiritualité confère aussi une valeur particulière à notre hygiène de vie: apprendre à respecter les rythmes de notre être corporel, plutôt que de vouloir les brimer à tout prix, s’avère une attitude essentielle à une «vraie écologie humaine» (LS, n. 155). A cet égard, l’action de grâce pour les bienfaits de la terre culmine dans la liturgie chrétienne par laquelle les éléments de la nature, «le pain et le vin», deviennent médiations réelles de la vie surnaturelle, «en un acte d’amour cosmique qui unit le ciel et la terre» (LS, n. 236).

François-Xavier Amherdt, Professeur de théologie à l’Université de Fribourg, paru dans le journal Le Temps, 10 août 2021

(cath.ch/lt/ag/rz)

En 2021, des millions d'hectares de forêt ont brûlé à cause de sécheresses extrêmes dans diverses régions du Globe | photo d'illustration © Pixabay
10 août 2021 | 14:26
par Rédaction
Temps de lecture: env. 5 min.
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