Célébrée en langue italienne, la messe au Saint-Gothard devient une tradition télévisuelle | capture d'écran RTS
Homélie

Homélie du 1er août 2022, fête nationale (Lc 10, 8-12)

Mgr Valerio Lazzeri, évêque de Lugano – Col du Saint-Gothard

(Traduction)

Chers amies, chers amis,

« Pourquoi pleures-tu ? Pourquoi ne manges-tu pas ? Pourquoi ton cœur est-il triste ? Et moi, est-ce que je ne compte pas plus à tes yeux que 10 enfants ? » (1 Sam 1, 8).

Il y a quelque chose de grandiose et de pathétique dans les mots que, dans la première lecture, Elcana adresse à sa femme Anne, humiliée par le sort qui l’a rendue stérile.

Il y a aussi, dans l’Évangile d’aujourd’hui, une situation de provocation qui propose encore une opportunité malgré toute adversité.

Même dans le pire des cas, les 72 disciples de tous les coins de la terre devront répéter : « Sachez que le royaume de Dieu est proche ». Les disciples, envoyés par le Seigneur doivent le répéter même face au rejet et à l’adversité.

Et enfin il y a en nous, en ce premier août 2022, un sentiment fort, complexe et, à bien des égards, difficile à cerner. Nous aimerions trouver les termes adéquats pour dire ce que nous avons vécu au cours des deux dernières années, dans lesquelles nous avons dû renoncer à ce rendez-vous sur le Saint-Gothard.

Nous aimerions pouvoir embrasser tous ceux qui ont souffert de la pandémie, ceux qui sont aujourd’hui meurtris par la guerre et tant d’autres facteurs.

Nous aimerions pouvoir honorer l’engagement et la générosité de ceux qui ont tant fait et qui travaillent encore, à tous les niveaux, en particulier dans notre pays, pour soulager les souffrances, avant tout des plus faibles et démunis.

Tracer ensemble un chemin fraternel et solidaire

Cependant, par-dessus tout, nous voudrions exprimer en ce moment la possibilité que Dieu nous donne encore, – à partir de ce coin de terre, que nous habitons avec gratitude et fierté –, de tracer ensemble un chemin de sens, humain, fraternel et solidaire.

Nous voulons croire que nous pouvons recevoir, en l’invoquant, le don d’En-Haut, qui nous permet de travailler ensemble à mettre fin aux conflits.

Pour promouvoir la coexistence civile entre les peuples, et pour apporter notre contribution active à la garde de la maison commune de la famille humaine.

Voilà pourquoi nous sommes une fois encore réunis ici en ce jour de Fête nationale : c’est un endroit de notre pays âpre et inaccessible, mais c’est un lieu qui, pendant des siècles, a été aussi l’emblème du passage possible entre le Nord et le Sud, de la communication indispensable entre les différentes cultures, de la recherche inlassable du lien qui unit plus que des différences qui nous séparent et nous éloignent.

Dans ce contexte, ce que nous avons entendu en première lecture nous parle. Le cri d’Anne nous rappelle la dimension humainement inconsolable que nous portons en nous, la blessure inouïe de notre condition sur cette terre.

Ce que nous pouvons faire par nos propres forces, les uns pour les autres, n’est pas suffisant pour le cœur humain. On nous donne le droit de transmettre la vie, mais nous ne pouvons en aucun cas la compenser lorsque la stérilité devient une condamnation.

Cela doit nous faire réfléchir. Nous sommes parvenus en Suisse à un niveau de vie encore inaccessible pour la grande majorité des habitants de cette planète.

Même les crises de tous ordres qui s’emparent de l’humanité aujourd’hui n’ont pas encore réussi à nous ôter complètement notre confiance dans les ressources dont nous disposons pour l’avenir.

Pourtant, quelque chose en nous comprend parfaitement l’âme amère d’Anne, qui commence à « prier le Seigneur, en pleurant abondamment » (1 Sam 1, 10).

Nous ne possédons pas par nous-mêmes notre existence terrestre. Et aucune technique ne nous permet de d’en avoir la maîtrise ou de la transmettre comme nous le voudrions !

Avec toutes nos connaissances et tous les moyens que nous avons mis au point, nous ne sommes pas capables de maîtriser le mystère de la vie,

et cela ne manque pas de laisser sourdre en nous un ressentiment. C’est pourquoi nous devons apprendre des plus pauvres la bonne posture à adopter.

Recevoir la vie de la Source

En fait, nous ne pouvons vraiment bénéficier de la vie que lorsque nous la recevons de la Source inépuisable, ce qui nous rend également capables de la donner.

À cet égard, nous sommes frappés par la lucidité de l’appel d’Anne : « Si tu n’oublies pas ton esclave, si tu donnes un fils à ton esclave, je l’offrirai au Seigneur pour tous les jours de sa vie » (1 Sam 1, 11).

Anne ne demande pas à devenir mère juste pour mener à bien son propre projet individuel. Elle ne cherche pas un enfant pour se compléter subjectivement. Elle invoque Dieu pour accéder à la dignité de pouvoir offrir à son tour son enfant : qu’il vive devant le Seigneur, avec une mission précieuse et unique, en faveur de ses frères et sœurs.

Voici le seul déblocage que nous pouvons espérer pour cette civilisation qui est la nôtre, très avancée mais malade, Il y a un mouvement essentiellement intérieur à partir duquel recommencer ; il y a une dynamique fondamentale de la vie : nous la recevons toujours en abondance, dès que nous acceptons de la donner, de la perdre, de la laisser couler sans réticence. C’est le secret divin par lequel la vie reste la vie et cesse d’être juste une bataille épuisante et vaine pour éloigner la mort.

C’est la raison profonde pour laquelle, à chaque époque, les annonciateurs du Royaume de Dieu envoyés par Jésus ne peuvent s’empêcher de mettre chaque cité, chaque collectivité humaine, devant une option fondamentale. Ce n’est pas un choix d’intérêt ou de calcul, mais une question de vie ou de mort pour chacun de nous.

Il nous faut comprendre si, pour nous la vie continue d’être ce miracle quotidien qui nous remplit d’étonnement et de gratitude et nous rend filiaux et fraternels, ou si, peu à peu, notre « être au monde » se réduit au seul souci de préserver des biens ou des privilèges, destinés fatalement, tôt ou tard, à la décomposition et à la perte.

« Le règne de Dieu est proche de vous » (Lc 10, 9).

Or près de nous, nous avons de quoi être étonnés par le retour de la guerre en Europe, et consternés par les nombreux conflits et foyers de violence et d’injustice qui ensanglantent la terre. Ils nous rendent inquiets du sort de l’humanité et de la création dans son ensemble.

Mais il est proche aussi ce passage étroit mais réel qui peut nous conduire de la mort à la vie, qui nous fait passer de l’opposition stérile entre différents fronts à la découverte de la vérité de chacun dans sa fragilité désarmante et désarmée.

Aucun d’entre nous n’a le moyen de sortir du labyrinthe dans lequel nous avons le sentiment d’être perdus. Il n’y a pas de recettes prêtes à l’emploi et permettant d’obtenir le résultat souhaité.

Patrie, liberté, paix : des réalités à accueillir avec humilité

Patrie, liberté, paix, ce ne sont pas des entités toutes faites, conservées à jamais dans la sécurité de nos systèmes civils. La proche actualité nous le confirme ! Ce sont des réalités à accueillir avec humilité. Notre tâche est de les mettre en pratique, avant d’en faire une théorie.

D’ailleurs, ceux qui nous ont précédés ne sont pas partis de définitions abstraites ou de grandes déclarations pour constituer le premier noyau de la Confédération. Ils ont commencé par faire les pas possibles du moment, en vivant ensemble, mais différemment de ce qui était tenu pour acquis.

Que saint Nicolas de Flüe, notre patron et artisan de paix, nous aide à redécouvrir le chemin de la paix aujourd’hui. Engageons-nous chaque jour à faire de chaque frontière qui sépare la possibilité de surmonter tout orgueil de l’isolement. Travaillons à surmonter en nous-mêmes la stérilité des conflits. Reconnaissons ensemble, sur la terre qui nous a été donnée et que nous aimons, la proximité du Royaume de Dieu.

Dans cette Eucharistie, nous pouvons en avoir un avant-goût, certes encore dans le mystère, mais vraiment avec toute l’intensité et la force du mystère pascal de Jésus ressuscité d’entre les morts. La transformation des cœurs est toujours possible !

Lectures bibliques : 1 Samuel 1, 1-11; Psaume 115; Luc 10, 8-12

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1 août 2022 | 11:00
Temps de lecture : env. 5  min.
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