Le cardinal Marc Ouellet est accusé de gestes "intrusifs et inappropriés" sur une agente pastorale | © AP Photo/Gregorio Borgia/Keystone
Vatican

Affaire Ouellet: le Vatican n’a pas suivi ses propres règles

Le cardinal Marc Ouellet a été mis en cause pour des gestes «inappropriés et intrusifs» envers une agente pastorale, alors qu’il était archevêque de Québec, ont révélé le 16 août 2022 les médias canadiens. Le média catholique québécois Présence information religieuse relève un certain nombre de manquements de la part du Vatican dans le traitement de cette affaire.

En mai 2019, avec la promulgation du motu proprio Vos estis lux mundi, Rome rappelait aux évêques et prélats du monde entier qu’ils pouvaient eux aussi faire l’objet de mesures disciplinaires en cas d’inconduite ou d’abus sexuels. Le but était de mettre fin à toute forme d’impunité à l’intérieur de l’Eglise.

De pieuses intentions qui semblent subir actuellement une phase de «test» avec la récente affaire qui touche l’archidiocèse de Québec, alors qu’une des figures les plus en vue de la Curie est concerné: le cardinal Marc Ouellet, préfet du Dicastère pour les évêques. Son nom apparaît en effet dans l’action collective de plainte pour abus sexuels révélée le 16 août 2022 contre l’archidiocèse de Québec.

Trop grande familiarité

Une enquête menée par Présence information religieuse explique la chronologie des événements et met le doigt sur des aspects problématiques de la réponse du Vatican.

Le point de départ se situe en janvier 2021, lorsque les membres du Comité-conseil pour les abus sexuels envers mineurs et personnes vulnérables de l’Église catholique de Québec reçoivent un signalement rédigé par une agente pastorale. Elle est appelée F. dans les documents déposés dans le cadre du recours collectif contre l’archidiocèse.

«Chaque fois que le cardinal Ouellet était présent, j’avais le droit à des embrassades avec des caresses du dos»

Dans sa longue lettre, F. allègue avoir été victime de gestes répréhensibles de la part d’un prêtre diocésain. Elle évoque toutefois, avant d’en venir aux faits principaux, différents événements, déplacés ou déplorables, vécus depuis qu’elle travaille en Église, soit une quinzaine d’années. Elle raconte notamment qu’en 2008, l’archevêque de Québec lui-même, à l’époque Mgr Marc Ouellet, se serait montré trop insistant envers elle. Alors qu’elle était une jeune stagiaire, il serait allé jusqu’à lui masser les épaules publiquement à leur toute première rencontre.

«J’étais figée devant cette intrusion inusitée dans mon intimité. Je ne savais comment réagir», a-t-elle expliqué au comité diocésain puis aux avocats qui représentent les victimes du recours collectif. «Chaque fois que le cardinal Ouellet était présent, j’avais le droit à des embrassades avec des caresses du dos. Cette trop grande familiarité m’a mise tellement mal à l’aise que je redoutais ces événements.»

Pas d’abus sexuel

Dans sa missive au comité diocésain, F. n’a dénoncé aucun abus sexuel commis par le cardinal. «J’ai seulement parlé de gestes intrusifs ou inappropriés et, surtout, du malaise que j’ai éprouvé, identique à celui qu’éprouverait tout jeune employé envers un employeur qui agirait de la même manière.» Son intention était plutôt d’attirer l’attention du comité diocésain sur ces gestes qui peuvent sembler anodins pour certains, mais qui se révèlent néanmoins blessants ou humiliants pour des femmes qui œuvrent en Église et qui n’osent pas se plaindre.

«Plusieurs fois, il me dit qu’il ne sait pas trop quoi faire avec ma plainte»

Après avoir lu son témoignage, la responsable du comité diocésain sur les abus l’a encouragée à inscrire tous les faits liés au cardinal Ouellet dans une lettre qui serait envoyée directement au Vatican. Vos estis lux mundi stipule en effet qu’après avoir été informé d’allégations d’abus ou d’omission, le Vatican a trente jours pour faire connaître «les instructions nécessaires sur la manière de procéder dans le cas concret». Un enquêteur est nommé et doit, selon l’article 12, recueillir toutes les informations pertinentes aux faits énoncés dans la plainte.

Visioconférence cordiale

Le 23 février 2021, l’agente de pastorale reçoit un courriel d’un prêtre jésuite qui réside à Rome, le Père Jacques Servais. Il lui annonce qu’il a été délégué par le pape pour étudier sa lettre de janvier. Il souhaite qu’elle lui propose quelques dates afin qu’ils puissent se rencontrer prochainement en visioconférence. F. répond positivement à la requête du jésuite, mais demande si elle peut être accompagnée par une personne du comité-conseil diocésain. Le Père Servais lui explique qu’il n’a pas d’objection à cette présence mais qu’elle n’a pas à s’inquiéter. La rencontre prévue se tiendra «entre bons chrétiens», lui fait-il savoir.

La rencontre a lieu le 4 mars 2021. Tel qu’entendu, un membre du comité diocésain assiste à tout l’entretien. F. souligne que le ton de la conversation a été cordial, sympathique même. Mais certains propos du Père Servais la déstabilisent. «Plusieurs fois, il me dit qu’il ne sait pas trop quoi faire avec ma plainte. Il va même jusqu’à demander à mon accompagnateur ce qu’il ferait à sa place. Puis il nous confie que le pape lui a demandé, pas plus tard que la semaine précédente, s’il m’avait finalement rencontrée.»

F. se souvient aussi que l’enquêteur ne lui a pas posé beaucoup de questions sur les faits évoqués dans de sa lettre. Il voulait savoir si elle était au courant d’autres gestes similaires posés par l’évêque. Il a cherché à connaître quelles étaient ses intentions en rédigeant sa lettre.

Conflits d’intérêts?

Malgré les malaises que ressent F. lors de sa rencontre avec l’enquêteur, les règles du motu proprio semblent être bien respectées. Notamment concernant la nomination de l’enquêteur, au plus tard dans les 30 jours.

«Le Père Servais n’a jamais accusé réception des demandes formulées par le journaliste»

Un élément dérange toutefois F.: elle soupçonne le Père Servais d’être proche du cardinal Marc Ouellet. Elle n’a pas tort, confirme Présence information religieuse. Les deux hommes se connaissent bien. Ils se fréquentent notamment au sein de l’Association Lubac-Balthasar-Speyr que préside le jésuite. En février 2022, ils ont collaboré à un symposium international sur le sacerdoce, une rencontre qu’a dirigée le cardinal.

Or, dans son motu proprio, le pape François a pourtant bien édicté, à l’article 13, que «toute personne qui assiste le Métropolite dans l’enquête est tenue d’agir avec impartialité et sans conflits d’intérêts». «Il est tout de même curieux que la garde rapprochée du pape n’ait pas informé ce dernier des liens qu’entretiennent les deux hommes», relève le média québécois.

Silence gênant

Vos estis lux mundi stipule aussi que «les enquêtes doivent être conclues dans un délai de quatre-vingt-dix jours», bien qu’une demande de prorogation puisse toujours être déposée «en présence de motifs justifiés». Mais, depuis mars 2021, F. n’a plus eu de contacts avec l’enquêteur nommé par le pape. Elle ne sait pas s’il a complété son rapport ou s’il a demandé une prorogation. Le Père Servais n’a pas non plus répondu aux questions de Présence information religieuse, envoyées d’abord en juin 2021, puis en février 2022. Il n’a donc jamais confirmé s’il avait reçu un mandat du pape ou s’il avait terminé la rédaction de son rapport d’enquête. En fait, le jésuite n’a même jamais accusé réception des demandes formulées par le journaliste.

La crédibilité de la réponse aux abus en jeu

Le média québécois rappelle aussi l’article 17 de Vos estis lux mundi, qui stipule que «le Métropolite, sur demande, informe la personne qui affirme avoir été offensée, ou ses représentants légaux, du résultat de l’enquête». Or, en date, aucune conclusion concernant les plaintes contre le cardinal Marc Ouellet n’a été transmise à F., précise la requête judiciaire déposée le 16 août.

Le recours collectif contre l’archidiocèse de Québec, lorsqu’il sera plaidé, permettra d’en savoir davantage sur les résultats de l’enquête lancée par le Vatican, souligne Présence. A cette occasion, des explications arriveront peut-être de la part du Saint-Siège sur les éléments non conformes de la procédure. En jeu, la crédibilité de la politique de «tolérance zéro» promue par le pape François. (cath.ch/presence/arch/rz)

Selon une information parvenue le 18 août 2022, au soir, le pape François a déclaré qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments pour ouvrir une enquête canonique pour agression sexuelle par le cardinal Ouellet contre la personne F., annonce un communiqué du Saint-Siège. IMEDIA

Le cardinal Marc Ouellet est accusé de gestes «intrusifs et inappropriés» sur une agente pastorale | © AP Photo/Gregorio Borgia/Keystone
18 août 2022 | 17:00
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture: env. 6 min.
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