Cadeau!

Qu’est-ce qui se cache derrière les cadeaux que nous ne pouvons pas nous empêcher d’échanger au moment des fêtes de fin d’année? Qu’est-ce qui fait la valeur d’un cadeau? Qu’est-ce, au fait, qu’un vrai cadeau?

Chaque année c’est la même chose, une tension extrême entre le sens de la Fête et sa marchandisation. Noël dévoyé devient une anti-fête de la consommation. Les cadeaux deviennent une avalanche chaotique. On ne sait plus qui a donné quoi et on se retrouve au final avec une alignée de gadgets plus ou moins utiles et une montagne de papier cadeau déchiré.

Cette frénésie « altruiste » dans les pays riches, si on la regarde à l’échelle de la terre entière est bien plutôt une frénésie d’accaparement injuste des ressources de la planète et du travail d’humains fantomatiques qui travaillent pour trois fois rien afin que nous puissions multiplier les achats dérisoires. Interpellant cette capacité qu’a cette période de l’année d’amplifier nos intentions altruistes en masquant nos incohérences.

«Donner c’est un acte qui vise à créer du lien gratuitement»

Mais pourquoi fait-on cela? Un entraînement par la tradition, une remémoration nostalgique de Noëls d’antan plus fantasmés que réels? …Peut-être aussi a-t-on perdu le sens du don gracieux. Pour offrir quelque chose qui ait de la valeur, on pense qu’il faut nécessairement l’avoir acheté. On reporte alors sur l’objet transmis l’entier de la signification du don. Mais si, dans le cadeau, la matérialité de ce qui se donne était secondaire? Si le vrai cadeau n’était pas là?

Donner c’est un acte qui vise à créer du lien gratuitement. Or, c’est le don qui crée le lien et non la valeur matérielle du cadeau. Celui-ci n’est que le médium de l’intention de celui qui donne et de la capacité de reconnaître et d’accepter cette intention chez celui qui reçoit. Ce qui est voulu c’est le lien comme intentionnalité positive. Quand on se focalise sur l’objet offert, on oublie qu’il n’est qu’un moyen imparfait et maladroit pour arriver à un lien qui aurait aussi pu s’exprimer d’une autre manière.

Pour que le don soit complet, il faut qu’il soit reçu. Celui qui reçoit et qui reconnaît l’intention profonde du donateur offre l’hospitalité à celui-ci. Et l’hospitalité c’est être capable de recevoir l’autre au-delà de l’objet, avec tout ce qui, en lui, me plaît et me plaît moins.

«Le cadeau que nous échangeons c’est moi, c’est toi, c’est le lien qui se crée ou se renforce»

Finalement, le don appelle la réciprocité, cela fait partie de sa structure fondamentale. Celui qui reçoit est appelé à donner à son tour, à re-donner. Mais là encore, la matérialité du cadeau nous piège et nous laisse penser qu’il s’agit d’une réciprocité d’échange où nous devrions faire à notre donateur un cadeau équivalent au sien. Or, redonner n’est pas rendre. Celui qui sait recevoir le don qui est au-delà du cadeau va être transformé en profondeur pour devenir à son tour un « donnant ».

On voit bien que tout cela va largement au-delà du cadeau matériel et qu’on s’est laissé piéger en mettant ce dernier au centre. Le cadeau que nous échangeons c’est moi, c’est toi, c’est le lien qui se crée ou se renforce. Il est là le don gracieux, gratis, sans prix parce que d’un prix infini. Alors bien sûr il faut du matériel. Ce peut être un livre, un jeu, une fleur, une bouteille de vin ou un bijou … ou rien de tout cela, simplement un sourire, un petit mot écrit, une présence aimante.

Piège terrible dont on ne sait pas comment se dépêtrer depuis des années tant on s’est laissé inculquer l’idée que le paquet-cadeau est une preuve d’amour.  Je vous gâche la Fête me direz-vous. Non j’aimerais qu’on en retrouve le vrai sens et qu’on oublie les petits bonhommes en plastique ou les T-shirts roses et qu’on se fasse les uns aux autres le cadeau de vraies présences aimantes. Mais j’ai comme un doute parce que même en écrivant cela, j’ai une petite voix dans ma tête qui me dit: «Oui, mais on ne peut quand même pas ne rien leur offrir!». Et quand on va m’offrir un cadeau qui a une valeur marchande, je me trouverai sûrement un peu bête avec mon sourire.

Joyeux Noël, vraiment !

Thierry Collaud

15 décembre 2022