Homélie du 19 mars 2023 (Jn 9, 1-41)
Chantal Rapin, pasteure de Gland, Vich, Coinsins – Eglise Saint-Jean-Baptiste, Gland
« Rabbi qui de lui ou de ses parents a péché pour qu’il soit né aveugle ».
C’est par cette interrogation des disciples à Jésus que débute notre récit. Leur question découle de la théologie de la rétribution qui considère la maladie comme la conséquence du péché. Ici, soit par les parents de l’aveugle de naissance soit par l’embryon lui-même dans le ventre de sa mère. Une telle interprétation de la maladie possède pour tous ceux qui ne sont pas concernés quelque chose de rassurant. Ainsi la maladie ne serait pas le fruit du hasard mais bien la conséquence d’une manière d’être au monde. Pour l’éviter, il suffirait de ne pas pécher.
Ce lien de causalité entre le péché et la maladie Jésus ne le cautionne pas : « -Ni cet homme ni ses parents n’ont péché dit-il. Et Jésus de poursuivre : « – C’est pour que les œuvres de Dieu se manifestent en lui ». Une phrase énigmatique sur laquelle je reviendrai.
Dès lors, la guérison de notre aveugle est le début d’une histoire dans laquelle chacune des rencontres qu’il fait le conduit à découvrir peu à peu le voile sur l’identité tant de celui qui l’a guéri que de la sienne, nouvelle. Plus le brouillard se dissipe pour notre homme plus celui des pharisiens s’épaissit ; eux qui restent comme pétrifiés dans un passé représenté par la loi de Moïse, qui désormais doit être mesuré à l’aulne de la venue du Christ.
Deux questions
Au cœur des échanges, deux questions reviennent comme un refrain. Elles constituent le fil rouge du récit et de sa compréhension. La première porte sur la manière dont la guérison a été effectuée ; quant à la seconde elle a à voir avec l’identité de Jésus et paradoxalement avec celle de l’aveugle guéri. Comme si la guérison avait eu comme conséquence de modifier quelque chose tant du côté de son auteur que de celui qui en bénéficie. D’ailleurs, eux qui l’ont toujours connu aveugle sont les premiers à le ressentir, ils s’exclament à la vue de notre homme :
« – C’est lui dit l’un ! »
« – il lui ressemble !», crie un autre.
« C’est moi » répond notre homme »
Chacun dit vrai, car une des conséquences de la guérison effectuée est bien de l’ordre de la modification de l’être profond tant de celui qui la donne que de celui qui la reçoit. Quant au, questionnement des voisins il concerne autant le comment de la guérison que l’identité de son auteur. Ils souhaitent rencontrer, Jésus mais il a disparu.
Aussi, ils conduisent l’ex-aveugle vers les pharisiens ; la guérison a eu lieu le jour du shabbat. Elle en signe la transgression ; or un bon juif se doit de respecter la loi de Moise qui veut que ce jour-là aucun travail ne soit effectué. Procéder à une guérison, c’est de fait devenir pécheur. Jésus l’est pour eux. Mais leur constat pose davantage de question qu’il n’en résout. Comment comprendre que Jésus, un pécheur a pu guérir notre aveugle né sans être un envoyé de Dieu ?
Un questionnement qui fait débat
Et ce questionnement fait débat entre les personnes présentes. A ce moment de l’histoire précisons que Jésus représente un danger suffisamment important pour que les pharisiens menacent d’exclusion de la synagogue quiconque reconnaît en Jésus, le Christ. Il suffit de se rappeler leur puissance pour réfléchir à deux fois avant d’oser les défier. Dès lors tant la prudence des voisins qui ont conduit l’aveugle guéri auprès d’eux que celle dont témoignent les réponses de ses parents sont compréhensibles.
Quant aux pharisiens, c’est bien la question de l’identité de celui qui l’a opérée qui les préoccupe En témoignent les questions qu’ils posent à notre homme :
« Pour toi qui est-il ? »
Lui d’’affirmer « – C’est un prophète ».
Dans ce temps-là les prophètes sont nombreux, aussi notre homme ne prend que peu de risques.
Sa réponse ne suffit pas aux pharisiens qui doutent toujours de la réalité de la guérison. Bien que nés voyants ils sont toujours dans l’obscurité. Pour y voir plus clair, ils font venir les parents de l’infirme de naissance.
« – Est-ce bien votre fils ? Celui qui est né aveugle ? Comment se fait-il qu’il voie maintenant ? » Si pour les parents il est aisé de témoigner qu’il s’agit de leur enfant, il leur est plus délicat d’expliquer le comment de la guérison, au vu de la crainte qu’ils éprouvent face aux pharisiens.
Aussi se montrent-ils très réservés. Comme leur fils est adulte, ils les renvoient vers lui pour en savoir davantage.
Lors de ce second échange, les pharisiens se montrent plus incisifs dans leur dialogue avec notre ancien aveugle. Rapidement après avoir répété leur fidélité à Moïse, ils posent un jugement sur Jésus. Ecoutons -les :
« Donne gloire à Dieu, nous savons nous que cet homme est un pécheur ».
Face au savoir inébranlable des pharisiens sur la nature pécheresse de Jésus, notre homme oppose son ignorance :
« Je ne sais pas si cet homme est pécheur dit-il » et lui de témoigner de ce qu’il connait pour l’avoir vécu :
« – Je sais une chose : j’étais aveugle et maintenant je vois ».
Sa réponse leur déplaît. Ils lui demandent de raconter une nouvelle fois comment la guérison s’est déroulée. Mais notre homme prend de l’assurance. « – Auraient-ils oublié qu’il leur a déjà tout expliqué ? » Il fait même de l’ironie et sous-entend que si certains sont aveugles de naissances d’autres pourraient connaître des problèmes de surdité.
« – Se pourrait-il qu’ils veuillent eux aussi devenir des disciples de ce Jésus ? » ? et il poursuit :
« Dieu n’entend pas les prières des pécheurs et jusqu’à ce jour personne n’a guéri un aveugle de naissance, alors comment pouvez-vous être à ce point aveugle pour ne pas voir que cet homme vient de Dieu ? ».
Cette provocation est de trop pour les pharisiens qui le jettent dehors.
Confession de foi qui résulte d’un cheminement personnel
Ayant appris la nouvelle, Jésus vient à sa rencontre. Leur échange lui donne l’occasion de confesser sa foi dans le fils de Dieu, par qui les œuvres de Dieu sont manifestées. C’est à genoux que notre aveugle guéri dira : « -Seigneur, Je crois. ».
Sa confession de foi résulte d’un cheminement personnel qui n’a rien à voir avec celui des pharisiens qui s’enferment dans leur savoir.
Notre aveugle de naissance n’avait rien demandé et pourtant il a été guéri par Jésus. Devenu voyant, il n’en était pas moins dans le brouillard tant sur ce qui lui était arrivé que sur l’identité de Jésus. Les questions qui lui sont posées le conduisent à murir sa réflexion sur l’identité de son sauveur. Après l’avoir désigné comme un prophète (parmi d’autres) puis prenant de l’assurance il défie les pharisiens en les traitant successivement d’aveugles puis de sourds. Plus tard face à Jésus c’est naturellement qu’il confesse à genoux sa foi dans le fils de l’homme, son Seigneur. Ce que son cœur resté dans le noir ne pouvait voir, alors même qu’il a quitté le monde de la nuit, les questionnements de ceux qui l’entourent le conduisent à révéler la lumière de Dieu en lui.
Au début de ce message après avoir réfuté toute implication des parents de l’aveugle de naissance ou de l’infirme lui-même, Jésus poursuivait avec cette phrase sur laquelle j’ai promis de revenir vu son enjeu. « – c’est pour que les œuvres de Dieu soient manifestées en lui. » a dit Jésus. Nous faut-il comprendre que Dieu possède quelque chose de sadique et que la maladie, le mal, la souffrance serait imposée à l’être humain pour que Dieu puisse montrer sa puissance et ainsi intervenir dans nos vies ?
Certes non ! Ce que ce verset veut nous dire est de l’ordre de la direction vers laquelle nous devons regarder pour voir pointer la lumière de la Vie. Regarder en arrière, s’obstiner à vouloir trouver l’origine, l’explication de ce qui nous arrive lorsque nous sommes touchés par la maladie ou que le malheur s’abat sur nous, ne sert à rien. Nous ne pouvons ainsi que renforcer la nuit dans laquelle nous nous trouvons. Appliquant comme Jésus de la boue sur nos yeux déjà aveuglés par le chagrin et l’incompréhension. Parvenir à nous tourner non malgré, mais bien avec tout ce notre vie peut contenir comme incompréhension et souffrance vers un avenir qui est au-devant de nous, c’est ouvrir la porte à tous les possibles. C’est aller nous laver les yeux à la piscine de Siloé et voir peu à peu la lumière de l’amour de Dieu se manifester en nous à travers notre chemin vers demain. Ainsi les œuvres de Dieu sont complètes. Amen
4e Dimanche de Carême, de Laetare
Lectures bibliques : 1 Samuel 16, 1-13; Psaume 22; Ephésiens 5, 8-14; Jean 9, 1-41
Les droits de l’ensemble des contenus de ce site sont déposés à Cath-Info. Toute diffusion de texte, de son ou d’image sur quelque support que ce soit est payante. L’enregistrement dans d’autres bases de données est interdit.