Actualité: Il y a trente ans Ernesto «Che» Guevara tombait sous les balles des militaires boliviens. Aujourd’hui les ’fidèles’ vont en pèlerinage sur les lieux de sa mort. Reportage à Vallegrande.
APIC – REPORTAGE
Bolivie: Il y a trente ans, «Che» Guevara tombait sous les balles
Hommages entre le commerce d’une image
et une utopie qui refuse de mourir
De Bolivie, Pierre Rottet, de l’Agence APIC
Vallegrande, 8 octobre 1997 (APIC) Souvenirs, gadgets, littérature, vidéos et posters ont envahi les rues de la petite ville de Vallegrande, à 750 kilomètres au sud est de la Paz, capitale de la Bolivie. Commerce joyeux de l’image de «Che» Guevara, entre deux chansons révolutionnaires, deux discours et une pensée pour faire revivre l’espace d’une commémoration celui qui, il y a trente ans, tombait sous les balles des «rangers» américanos-boliviens commandés par le colonel américain Shellton.
Entre 4 et 5’000 personnes – dont Danielle Mitterrand – sont venues rendre hommage à une légende pour les uns, à un envahisseur pour les autres. Et si la presse locale ne peut faire autrement que de consacrer ses titres à l’événement , d’autres comme les possédants et le nouveau gouvernement de l’ex-dictateur Banzer revenu récemment au pouvoir ont une toute autre lecture de cette commémoration. D’autant plus que rien n’a vraiment changé depuis trente ans pour la population bolivienne. Sinon que les pauvres sont toujours plus pauvres et les riches toujours plus riches.
Et comme pour démontrer qu’effectivement rien n’a changé, à l’heure ceux qui continuent à rêver d’un monde plus juste se rassemblement à Vallegrande, quelque 2’500 militaires convergent vers Camiri, à quelques heures de là, dans la région qui fut à l’époque le centre des opérations des forces armées. Le président Banzer, dont la férocité de la dictature est restée dans les mémoires, y décorera les soldats qui mirent fin aux jours du guérillero et de ses compagnons.
Dans les rues de La Paz, hormis quelques portraits géants du «Che» devant les universités nationales, rien, sauf quelques manifestations syndicales et de mineurs maîtrisées et canalisées par l’armée, ne vient troubler l’apparente quiétude de la ville. Des villes devrions-nous écrire: celle des miséreux perchée sur les hauteurs à plus de 4’000 mètres d’altitude, et celle des nantis planté là ou l’air est plus respirable, là où le terrain ne menace pas de vous ensevelir à la saison des pluies.
«Trente ans après, c’est un peu fade»
Pour le jésuite Jose Gramount, directeur de l’agence bolivienne de nouvelles «Fides», les manifestations de Vallegrande ne sont qu’un show destiné à «idéaliser de façon naïve les révolutions de l’Amérique latine portées par les ’intellos’ du Boulevard St-Michel à Paris, confortablement assis devant un petit blanc alors qu’on se tirait dessus ici». L’armée, comme ceux qui tentent de faire revivre cette époque ’erronée’, ont tort. C’est un peu fade, trente ans après, même si les choses n’ont pas vraiment changé dans le pays et en Amérique latine, reconnaîît celui qui, le premier, avait donné au monde la nouvelle de l’assassinat du «Che».
Un avis que ne partage de loin pas Loyola Guzman, la seule femme bolivienne à avoir participé à la guérilla aux côtés de Che Guevara. Le regard porté vers les 33% de gens qui vivent en dessous du seuil de pauvreté, elle se souvient des autres guérilleros. «Je ne peux pas me repentir de mon action dans la guérilla. Je pense au «Che» et à tous les compagnons avec tristesse, mais aussi avec fierté, si l’on songe que trente ans après, malgré les tentatives d’effacer l’histoire, le «Che» et ses compagnons sont toujours présents.
Sous un soleil chaud, les «pèlerins» de Vallegrande se pressent à la «Lavanderia», là où fut exposé à la population le cadavre de Guevara. Ils se bousculent pour voir l’endroit où il a été enterré. Caché plutôt jusqu’en juin dernier, avant que l’on ne retrouve son corps transporté depuis à Cuba.
Jésus, la Vierge et le «Che»
Le lieu-dit «La Higuera» où furent retrouvés les restes du guérillero blancé dans une fosse commune avec six de ses compagnons, s’est transformé peu à peu en un sanctuaire. Dans les maisons de l’endroit, l’effigie du «Che» côtoie les images de Jésus et de la Vierge. On y allume des bougies sous chacun des portraits.
La terre de la fosse commune révèle encore les empreintes des corps des sept ’martyrs’. Le jour de la Toussaint, l’institutrice qui avait apporté son dernier repas au «Che» posera devant cette fosse le même plat que le guérillero avait mangé ce jour-là. «A la Toussaint, explique Samuel, un professeur universitaire, les familles des disparus ont coutume de placer sur les tombes et à la maison les plats et les boissons préférés des défunts. Elles imaginent que les âmes de leurs bien-aimés viendront chercher ce qu’ils aimaient de leur vivant.»
Samuel avait quinze ans au moment des faits. «Je ne comprenais pas ce qui ce passait. Le gouvernement d’alors justifiait son action en disant qu’il fallait abattre l’envahisseur étranger. Ce n’est que plus tard que nous avons compris que le véritable envahisseur avait pour nom Etats-Unis et que c’est contre eux que la guérilla se battait.» En 1978, Samuel fut emprisonné pour son action sociale, comme sa femme Thérésa, enlevée et emprisonnée après 19 jours de grève de la faim. «Je dois à Dieu de ne pas figurer aujourd’hui sur une liste de ’disparus’».
Pour la jeune journaliste bolivienne, Maggy Tavalero, les militaires se sont trompés en jetant le corps du Che et de ses compagnons dans une fosse commune. «Ils n’ont jamais réussi à se libérer de la figure de «Che» Guevara. A Vallegrande, le barbu a cessé de passer pour terrible, lui qui est vénéré aujourd’hui comme un saint. «Si quelqu’un a finalement contribué à alimenter le mythe de Guevara c’est bien l’armée, beaucoup trop occupée à garder secret le lieu de la tombe d’un homme qu’ils n’ont jamais cessé de craindre, même après sa mort.»
Commentaires, commentaires… la droite bolivienne tire à boulets rouges sur les manifestations de Vallegrande. Sauf sur un point. Les bénéfices de ces manifestations estimés à quelque 200’000 dollars pourraient contribuer à alimenter le fonds d’aide aux familles des 54 soldats morts dans la guerre contre la subversion.
Rêve fracassé il y a trente ans pour les uns, relance naïve d’un rêve des années 60 dans un monde orphelin d’utopies pour les autres, l’action de l’homme au béret, compagnon de Fidel Castro, est redevenue, l’espace de quelques jours, un symbole de solidarité. Et d’espérance face à un modèle néo-libéral sans scrupules. «Il y a huit mois, témoigne une assistante sociale du plus grand hôpital de La Paz, un camion bourré de médicaments, escorté par le président lui-même – accompagné bien sûr des médias écrits et télévisés – a déchargé son contenu. Il était 11 heures du matin, sous les feux des caméras. A midi, une heure plus tard, le camion rechargeait les médicaments. Sans la TV cette fois…» (apic/pr/mp)