Actualité: Le Père Tisssa Balasuriya, religieux du Sri Lanka excommunié par le Vatican, était de passage en France à l’invitation de la revue contestataire «Golias»

APIC – Interview

Paris: Rencontre avec le théologien srilankais Tissa Balasuriya

Dieu n’est pas seulement Jésus de Nazareth

Paris, 30 septembre 1997 (APIC) Invité par la revue contestataire française «Golias», le théologien de la libération srilankais Tissa Balasuriya, Oblat de Marie Immaculée (OMC) auquel le Vatican a signifié son excommunication en janvier dernier, a rencontré quelques journalistes à Paris. Il revient sur la notion de Salut et de Rédemption qui, à ses yeux, dépasse la personne de Jésus de Nazareth. Jésus est Dieu, mais Dieu n’est pas seulement Jésus de Nazareth, estime-t-il.

Quelle impression avez-vous de votre passage en France ?

Tissa Balasuriya : En revenant en France après y avoir fait mes études en 1962-63, je comprends mieux pourquoi nous avons des problèmes théologiques. En Asie, la société tout entière baigne dans une ambiance religieuse. Les diverses traditions sont très présentes avec leurs rites et leurs livres sacrés. Elles s’auto-imprègnent. En Occident, on est chrétien ou non. L’alternative est tranchée. Le christianisme se présente d’abord comme un ensemble de dogmes, de formules qui doivent être acceptés. Ce qui évidemment a une forte incidence sur l’Asie.

Comment ?

T.S. : Nous devons repenser le christianisme en fonction de notre contexte. Ce qui suppose de retourner au Christ lui-même, à l’Evangile, aux premiers siècles. Il faut libérer le christianisme de Constantin (l’empereur qui en 313 fit du christianisme la religion de l’empire romain ndlr), laisser Dieu être Dieu, ne pas chercher à le monopoliser. Dieu est Dieu et le salut est pour tous.

Je distingue deux types d’apartheid. L’apartheid spirituel qui consiste à dire : «le salut est pour nous et nous le contrôlons.» Et l’apartheid économique : l’Occident a conquis l’univers et le domine laissant peu de place aux autres. J’ai centré mes travaux, après le Christ et l’Eucharistie, sur Marie qui précisément a conscience de la religiosité utilisée pour tuer son fils, de sa combinaison avec le pouvoir politique.

Ce sont précisément vos livres et vos thèses sur Marie qui ont suscité la controverse. Ne la présentez-vous pas trop comme quelqu’un d’assoiffée de justice, qui monte au créneau ?

T.S.: Les protestants eux-mêmes peuvent admettre Marie interprétée ainsi. L’enjeu pour nous est de repenser Marie dans sa vie en tant qu’elle appartient à un peuple exploité par l’étranger. Je vous renvoie à ma prière à Marie l’Asiatique. «Nous qui sommes Asiatiques revendiquons Marie comme une femme de l’un de nos peuples, de notre vieil héritage, de notre vie de famille. Nous avons un certain droit à en refaire une image, en relisant la Bible et en connaissant notre culture».

Certains aimeraient voir Marie proclamée co-rédemptrice…

T.S.: Qu’est-ce que la Rédemption ? De quelle situation sommes-nous sauvés ? Par qui est comment ? Il est trop facile de dire : «par la Croix» ou «par la vie donnée de Jésus». Il faut savoir ce qu’est le péché originel, quelle est la contribution de Jésus rédempteur et ce que nous devons faire à notre niveau pour être sauvés. On ne peut pas réduire la Rédemption à quelque chose de mécanique par le baptême, à un «sauvetage». Elle est liée au processus de divinisation. Nous sommes appelés à être plus «divins» davantage insérés dans le plan de Dieu. Jésus nous a donné le message de l’amour. Ce qui peut nous sauver, c’est ce message de l’amour, c’est le message du salut. Jésus l’a prêché et en a donné témoignage jusqu’à la mort. Il a commencé un mouvement de l’histoire dont les vibrations doivent aller partout dans le monde.

Mais Jésus de Nazareth n’est pas le seul à avoir délivré ce message. C’est dans le sens où elle est associée à ce message que Marie est co-rédemptrice, mais elle n’est pas l’unique.

Nous devons distinguer entre Jésus de Nazareth et le Christ, deuxième personne de la Trinité. Sinon comment expliquer le salut avant Jésus de Nazareth ? En bref, purifions notre conception de la Rédemption. Jésus est Dieu, mais Dieu n’est pas seulement Jésus de Nazareth. Ne perdons pas de vue que nous ne pouvons pas définir Dieu totalement dans nos mots. Dieu est plus grand que l’Eglise et que toutes les religions. Le salut aussi.

En janvier dernier une notification du Vatican vous signifiait votre excommunication «latae sententiae» c’est-à-dire automatique…

T.S. : Ce que l’on m’a fait comprendre de manière abrupte se résume à ceci : «Vous avez tort, on vous punit. C’est sans appel». Les nouvelles normes de procédures pour l’examen des doctrines présentées fin août par le cardinal Joseph Ratzinger apportent quelques améliorations, mais on ne peut toujours pas faire appel. Le nouveau règlement prévoit en outre une procédure extraordinaire, ce qui représente un net recul par rapport à la version précédente. Il faut respecter le droit canonique et Vatican II : c’est par loyauté et fidélité à l’Eglise que nous devons combattre ces nouvelles dispositions, faire savoir qu’elles sont injustes.

Quel est votre statut actuel ?

T.S.: Je suis déclaré excommunié, mais je ne l’accepte pas. Je demande un examen de mon dossier. Les Oblats de Marie Immaculée du Sri Lanka me soutiennent de même que des milliers de lettres. Du reste je me sens davantage en communion avec l’Eglise. Ma congrégation essaye de résoudre le problème, mais le dialogue n’a pas encore commencé. Il se fait d’une certaine manière par la presse. C’est une bonne chose. L’Esprit-Saint parle aussi par les médias. (apic/jcn/mp)

10 avril 2001 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 4  min.
Partagez!