Pays-Bas: Le dominicain Edward Schillebeeckx, un théologien «triste»
En Hollande, ce qui vient de Rome n’intéresse plus personne
Milan, 2 juillet 1997 (APIC) «En Hollande, les gens ne s’intéressent plus à ce qui se passe dans l’Eglise, surtout si cela vient de Rome; cette attitude s’observe aujourd’hui en Belgique, qui a heureusement des évêques de valeur». Le dominicain flamand Edward Schillebeeckx dresse, dans une interview au bimensuel catholique italien «Il Regno», un tableau pessimiste de la situation de l’Eglise catholique aux Pays-Bas.
Auteur d’une oeuvre théologique abondante (plus de 400 livres et articles) qui a exercé une influence décisive au lendemain du Concile Vatican II, le théologien d’origine anversoise est âgé de 82 ans. Ancien professeur de Nimègue, il craint aujourd’hui pour l’avenir de la Faculté de théologie de l’Université catholique locale, «l’école rouge», qui risque d’être supprimée.
Les dernières nominations épiscopales ont fait l’unanimité
Interrogé sur «les interventions systématiques de Rome dans tous les champs de la réflexion théologique» ces dernières années, le théologien constate que «les choses sont en train de changer». Et de préciser: «La Hollande est moins intéressée par ce qui se passe dans l’Eglise, et, surtout, ce qui vient de Rome ne l’intéresse plus du tout». Il observe aussi un changement chez les évêques, qui sont «plus sensibles et plus attentifs». Les dernières nominations épiscopales ont rencontré «une approbation unanime», et Mgr Muskens (Breda) se révèle «un évêque courageux» face au gouvernement, se faisant l’avocat des pauvres, même si ceux-ci ne sont pas très nombreux.
Climat d’indifférence
«En Hollande, ajoute Edward Schillebeeckx, les gens ont cessé de suivre les recommandations qui viennent de Rome. Tout ce que nous avons expérimenté et vécu ces dernières années est en train de se réaliser dans d’autres pays voisins, comme la Belgique, qui a encore la chance de disposer d’évêques de valeur, comme le cardinal Danneels, un homme diplomate, sensible et ouvert. Mais je m’interroge: qu’est-ce qui est préférable: l’indifférence ou le débat ? Personnellement, cette situation me paraît négative, et cela me déplaît que nous soyons tombés dans ce climat d’indifférence.»
La Faculté de théologie de Nimègue menacée
Le théologien flamand prête au cardinal Simonis, archevêque d’Utrecht et président de la Conférence épiscopale néerlandaise, l’intention de mettre les théologiens au pas, de «bloquer la théologie», en empêchant la nomination de professeurs, «surtout à Nimègue».
«A une époque, nous avions cinq Facultés de théologie, dit-il, aujourd’hui il en reste trois et il semble que ce soit encore trop, si bien qu’on peut supposer qu’on va en supprimer une autre. On pense même à la Faculté historique de Nimègue.» On allègue un manque de subventions publiques.
«En fait, quelques-uns de nos meilleurs professeurs ont déjà préparé leurs valises pour Utrecht et Tilburg, et Nimègue n’a plus son rôle d’antan, déplore E. Schillebeeckx. Elle est de plus en plus marginalisée, si bien que sa suppression semble imminente. L’Université catholique de Nimègue serait ainsi privée d’une Faculté de théologie, ce qui est une absurdité, mais la pression pour faire taire ’l’école rouge’ est forte.»
Après l’excommunication d’un «enfant terrible»
A propos de l’excommunication, au début de cette année, du théologien asiatique Tissa Balasuriya, un oblat du Sri Lanka, Edward Schillebeeckx ne se prononce pas sur le coeur de sa théologie, qu’il ne connaît pas de manière approfondie. Il sait qu’il est un «enfant terrible» (en français dans le texte). «J’ai demandé à quelques canonistes connus, ajoute-t-il, un avis sur l’excommunication et ils m’ont répondu que Rome a franchi les limites de son pouvoir. C’est aussi mon avis. J’ai plutôt l’impression qu’on veut prendre pour cible la théologie en Asie et en bloquer le cheminement. Et cela me fait souffrir.»
Malheureux, le dominicain de Nimègue ? «Sous certains aspects, je suis encore un théologien ’heureux’, mais pour d’autres je suis un théologien ’triste’, car certaines choses qui surviennent dans l’Eglise me causent une profonde tristesse. Je vois que l’âme, l’esprit de Vatican II sont en train de s’affaiblir. Pour ne rien dire de tout notre travail théologique. Qu’en reste-t-il ? C’est vraiment dommage – ou un péché ?»
Une nouvelle approche de la théologie des sacrements
Le théologien des sacrements poursuit ses recherches, en se concentrant toujours plus sur la «métaphore», non en relation avec le domaine de la connaissance, mais une «métaphore de l’action»: que signifie faire des «gestes» qui sont métaphores ? Tous les gestes en effet sont parlants et portent au-delà d’eux-mêmes une signification qui les dépasse.
«Les gestes visualisent les réalités eschatologiques, explique le dominicain. Dans tous les sacrements, il y a une dimension «humaine», sociale, politique, et une dimension «religieuse». Les deux plans doivent coexister. Il ne peut par exemple y avoir de célébration eucharistique sans le partage historique du pain. Dans tous les sacrements, je mets en évidence ces deux plans. J’y recherche la composante humaine, qui sous-tend le sacré.
Prenons l’exemple du sacrement de l’ordre: quand une communauté se réunit, il y a la figure du leader naturel. C’est une figure sociologique, qui peut devenir une figure ministérielle.» Toute la Bible est remplie d’»actions métaphoriques», d’actes prophétiques, rappelle le théologien, et pas seulement de «symboles», qui peuvent donner l’impression de ne pas signifier totalement la réalité. Il note que ce sont surtout les anthropologues qui mettent en évidence l’importance de l’action métaphorique, les théologiens étant plus absents dans ce domaine. C’est pourquoi il souhaite que son prochain ouvrage sur les sacrements puisse servir de fondement de toute la conception des sacrements.
La structure sacramentaire n’est pas achevée
C’est à la lumière de cette «métaphore de l’action» qu’il faut voir l’institution divine des sacrements, estime E. Schillebeeckx: «L’origine des sacrements, on la trouve dans la vie des premières communautés chrétiennes. Des actes et des gestes humains nés sous l’action de l’Esprit et guidés par lui. Les communautés chrétiennes vivent et agissent dans l’histoire, et on ne peut donc dire de la structure sacramentaire qu’elle est ’achevée’. Il y a des actes et des gestes qui, du plan humain, peuvent passer au plan religieux. L’attention à l’action de l’Esprit est nécessaire.» (apic/cip/be)