Immeuble de Londres: aucun élément contre Enrico Crasso?
«Ce procès, à l’égard de M. Crasso, a été construit sur des éléments absolument sans fondement», a affirmé Luigi Panella, l’avocat de l’accusé de 75 ans. Il s’exprimait lors de la 77e audience du procès dit ‘de l’immeuble de Londres’, le 10 novembre 2023 au Vatican.
Assurant que son client n’avait pas mal géré les fonds de la secrétairerie d’État ni trompé l’institution, l’avocat a conclu sa plaidoirie initiée la veille en demandant qu’Enrico Crasso et les entreprises à son nom soient acquittés de toutes les charges pesant sur eux.
Enrico Crasso est un banquier romain résidant en Suisse. Principal gestionnaire du patrimoine de la secrétairerie d’État entre 1993 et 2020, il est aujourd’hui accusé de fraudes, détournements de fonds, d’abus de pouvoir, de corruption, de blanchiment d’argent et d’extorsion. Le promoteur de justice du Vatican a notamment requis à son encontre neuf ans et neuf mois de réclusion, une interdiction perpétuelle de l’exercice de la charge publique et 18’000 euros d’amende. Trois de ses sociétés – Prestige Family Office, Sogenel Capital Investement et HP Finance – sont aussi visées par la justice vaticane. Le promoteur a requis pour chacune d’entre elles une amende de 150’000 euros et trois ans d’interdiction de contrats avec l’administration publique.
600 millions d’euros réclamés
Après avoir remis en cause la procédure judiciaire durant l’audience du 9 novembre 2023, Luigi Panella a critiqué les demandes de certaines parties civiles, notamment la secrétairerie d’État, l’Institut des œuvres de religion (IOR) et l’Administration du patrimoine du siège apostolique (APSA). Au total, ces trois entités de la Curie romaine réclament plus de 600 millions d’euros pour des préjudices patrimoniaux ou réputationnels.
Luigi Panella a affirmé qu’il y avait eu une «multiplication» des demandes des parties civiles sans pour autant que ces dernières aient montré «un rapport immédiat et direct entre le dommage et la demande d’indemnisation». Il a cité en exemple la Secrétairerie d’État qui réclame 178 millions d’euros pour préjudice réputationnel sur la base d’une simple revue de presse élaborée par une agence tierce, et qui a coûté 40’000 euros. Ce travail aurait consisté, selon l’avocat, à répertorier les articles portant sur le procès sur la période d’octobre 2019 à avril 2023, et non, souligne Luigi Panella, a évaluer les faits contestés.
Déconstruction des chefs d’accusation
«C’est l’Église qui a voulu ce procès», a lancé l’avocat, considérant que le tapage médiatique n’était pas à mettre sous la responsabilité de son client. Concernant une autre partie civile, l’avocat a jugé que l’APSA ne devrait pas pouvoir demander de préjudices patrimoniaux – elle réclame aujourd’hui 270 millions d’euros – parce qu’elle n’a reçu la charge des biens mobiliers et immobiliers de la Curie romaine qu’après une réforme du pape datant de décembre 2020. Or, les faits reprochés à son client et à d’autres accusés portent sur une période précédente.
Comme la veille, Luigi Panella a de nouveau souligné qu’il n’y avait eu aucune promesse d’argent ni aucune forme de complicité entre son client et un autre accusé, Gianluigi Torzi. Il a consacré une grande partie de l’audience à déconstruire un par un les chefs d’accusation portant sur son client, notamment ceux concernant les sociétés et fonds d’Enrico Crasso qu’il aurait utilisés pour gérer les investissements de la secrétairerie d’État.
L’émotion d’Enrico Crasso
Dans sa plaidoirie, l’avocat a voulu prouver, chiffres à l’appui, que son client avait toujours agi conformément aux règles dans sa gestion des fonds de la secrétairerie d’État, soulignant au passage qu’il disposait d’une certaine autonomie quant à la gestion des investissements. Luigi Panella a affirmé qu’Enrico Crasso avait rapporté des plus-values à la secrétaire d’État, comme par exemple à travers le fonds Centurion qui aurait généré 5 millions d’euros de plus-values. «Les inquisiteurs de Galilée avaient plus d’éléments que n’en a le promoteur de la justice à ce jour contre M. Crasso», a déclaré Luigi Panella dans sa plaidoirie.
À la fin de l’audience, Enrico Crasso, visiblement ému, a pris brièvement la parole pour retracer son parcours, insistant sur son origine sociale modeste et l’énergie consacrée pour devenir un homme d’affaires. L’homme de 75 ans a notamment regretté les effets de cette affaire sur sa famille. «Je demande surtout pardon au Saint-Père pour la douleur que l’effet médiatique de cette affaire a créée», a-t-il déclaré.
Les audiences se poursuivront le 20 novembre avec la plaidoirie de la défense de Mgr Mauro Carlino, suivie par celle de Gianluigi Torzi, le 21 novembre, et par celle du cardinal Angelo Becciu le 22 novembre. (cath.ch/imedia/ic/rz)
Le procès dit de ‘l’Immeuble de Londres’ est l’aboutissement de plus de deux ans d’une enquête menée par le Vatican concernant l’achat par la Secrétairerie d’État d’un immeuble à Londres pour un montant de 350 millions d’euros entre 2014 et 2018. Le Vatican maintient que la transaction était problématique et conçue pour escroquer des millions d’euros à la Secrétairerie d’État. L’investissement, initié en 2013, a été financé avec l’argent du fonds de gestion du Denier de Saint-Pierre, soit les dons des fidèles. Les accusés prétendent que leurs actions étaient légales et que les autorités du Vatican étaient au courant.
Depuis 2021, le Vatican intente une action en justice contre les personnes impliquées dans la transaction de Londres – et d’autres personnes accusées de délits financiers – au nom des parties lésées: le Saint-Siège, la Secrétairerie d’État et l’IOR (communément appelée la «banque du Vatican»).
Il s’agit du plus grand procès de l’ère moderne pour des délits financiers au Vatican, avec 10 accusés (dont l’avocat suisse René Brülhart et le cardinal italien Angelo Becciu) et une longue liste de chefs d’accusation, parmi lesquels le détournement de fonds, le blanchiment d’argent, l’abus de fonction, l’extorsion et la fraude (à noter que tous les accusés ne sont pas concernés par tous les chefs d’accusation). C’est également la première fois qu’un cardinal est jugé par des magistrats laïcs au tribunal du Vatican.
Avant d’être destitué, en novembre 2020, le cardinal Becciu était le deuxième fonctionnaire de la Secrétairerie d’État du Vatican, le puissant département curial au centre de l’enquête sur les malversations financières. Il a toujours nié tout acte répréhensible.
Toutes les accusations ne sont pas strictement liées à cette transaction. Le cardinal Becciu est soupçonné d’avoir envoyé de l’argent du Vatican à une organisation caritative dirigée par son frère, en Sardaigne. Dans ce cadre, il aurait payé une autre accusée du procès, Cecilia Marogna, pour établir des dossiers compromettants sur des membres du personnel du Vatican. RZ