Le cardinal Becciu, impliqué dans l'affaire de l'immeuble de Londres, clame son innocence | © Vatican Media
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«On a dépeint le cardinal Becciu comme un monstre»

«Notre exigence d’une peine juste ne peut se traduire que par un acquittement», a affirmé la défense du cardinal Angelo Becciu, le 22 novembre 2023. Les avocats s’exprimaient à l’occasion de la 80e audience du procès de l’affaire dite ‘de l’immeuble de Londres’. Dans leur plaidoirie, qu’ils doivent conclure le 6 décembre prochain, les avocats ont dénoncé une procédure «dépourvue de preuves» et visant à «dépeindre le cardinal comme un monstre».

Le cardinal sarde, ancien substitut de la secrétairerie d’État de 2011 à 2018, est au centre du procès, qui concerne non seulement l’acquisition et la gestion d’un immeuble de la secrétairerie d’État à Londres, mais aussi les conditions d’embauche d’une «experte», Cecilia Marogna, par le cardinal, ainsi que le versement de 125’000 euros à une association de son diocèse d’origine qu’il a autorisé.

L’ancien préfet de la Congrégation pour les causes des saints (2018-2020) est accusé de détournement de fonds, d’abus de pouvoir, et de subornation de témoin. Le promoteur de justice a requis à son encontre sept ans et trois mois de réclusion, une interdiction perpétuelle de l’exercice de la charge publique et 10’329 euros d’amende. Il a requis également la confiscation de près de 15 millions d’euros.

Le Saint-Siège a investi dans le pétrole par le passé

Les avocats du cardinal, Fabio Viglione et Maria Concetta Marzo, ont pris leur temps – près de six heures – pour s’attaquer au réquisitoire du promoteur Alessandro Diddi, qu’ils décrivent comme un «enchaînement insoutenable de suppositions erronées».

Maria Concetta Marzo a méthodiquement expliqué le rôle joué par le cardinal dans la gestion de l’immeuble londonien de Sloane Avenue. Elle a affirmé que le crédit lombard contracté pour acheter l’immeuble respectait les normes d’investissement de la secrétairerie d’État, citant notamment des lettres des cardinaux secrétaires d’État Tarcisio Bertone (2006-2013) et Pietro Parolin.

L’avocate a aussi affirmé que Mgr Alberto Perlasca, ancien chef du Bureau administratif et responsable des investissements de la secrétairerie d’État, portait la responsabilité des choix en matière d’investissement, et que le cardinal Becciu lui avait toujours fait confiance. Elle a assuré qu’il n’y avait pas de preuve que l’argent versé par l’Institut des œuvres de religion – la banque «privée» du Vatican – à la secrétairerie d’État avait été utilisé dans l’investissement londonien.

Maria Concetta Marzo est enfin revenue sur la proposition d’investissement dans une entreprise pétrolière angolaise apportée par le cardinal Becciu en 2012. Elle l’a justifiée en affirmant qu’au début du XXIe siècle, la secrétairerie d’État avait effectué des investissements similaires dans le secteur pétrolier.

Fabio Viglione a particulièrement insisté sur les «accusations infondées orchestrées par des personnages dépourvus de toute crédibilité». Il a réservé ses traits les plus durs au témoin clé, Mgr Perlasca, qu’il accuse d’avoir livré au promoteur un témoignage inexact sur lequel toute la «machination» a été bâtie. Il aurait, selon lui, agi sous l’influence de deux personnalités hautes en couleur, Genoveffa Ciferri Putignani et Francesca Immacolata Chaouqui.

«Pas un seul centime» dans la poche du cardinal

Outre ces influences qui ont perturbé le déroulement du procès, les deux avocats ont souligné que «pas même l’accusation» ne contestait le fait que le cardinal n’avait pas touché «un seul centime» dans les affaires pour lesquelles il est mis en cause.

Un désintéressement qui s’appliquerait aussi, selon Fabio Viglione, à la famille du cardinal. Cette dernière est mise en cause dans le ›volet sarde’ de l’affaire, qui porte sur un potentiel détournement de 125’000 euros par la SPES, une association liée à l’organisation caritative du diocèse d’Ozieri, dont est originaire le haut prélat. L’avocat a insisté sur le fait que le projet caritatif financé sur accord du cardinal Becciu est «réel», contrairement à la thèse défendue par le promoteur de justice.

Maria Concetta Marzo est revenue sur les 500’000 euros potentiellement détournés par Cecilia Marogna, une experte en «diplomatie informelle» embauchée par le cardinal pour libérer une religieuse. L’avocate a considéré que si cet argent a été utilisé «pour des dépenses personnelles et non pas humanitaires, le cardinal est le premier à avoir été trompé». Elle a insisté sur le fait que l’opération avait été validée par le pape.

Les prochaines audiences se tiendront les 4 et 5 décembre avec l’intervention des avocats du banquier Raffaele Mincione. Puis, le 6 décembre, la défense du cardinal Becciu et celle du fonctionnaire de la secrétairerie d’État Fabrizio Tirabassi concluront leur plaidoirie. Les dernières audiences du procès se tiendront les 11 et 12 décembre, avec un verdict attendu les jours suivants. (cath.ch/imedia/ic/cd/rz)

Le procès dit de ‘l’Immeuble de Londres’ est l’aboutissement de plus de deux ans d’une enquête menée par le Vatican concernant l’achat par la Secrétairerie d’État d’un immeuble à Londres pour un montant de 350 millions d’euros entre 2014 et 2018. Le Vatican maintient que la transaction était problématique et conçue pour escroquer des millions d’euros à la Secrétairerie d’État. L’investissement, initié en 2013, a été financé avec l’argent du fonds de gestion du Denier de Saint-Pierre, soit les dons des fidèles. Les accusés prétendent que leurs actions étaient légales et que les autorités du Vatican étaient au courant.

Depuis 2021, le Vatican intente une action en justice contre les personnes impliquées dans la transaction de Londres – et d’autres personnes accusées de délits financiers – au nom des parties lésées: le Saint-Siège, la Secrétairerie d’État et l’IOR (communément appelée la «banque du Vatican»).

Il s’agit du plus grand procès de l’ère moderne pour des délits financiers au Vatican, avec 10 accusés (dont l’avocat suisse René Brülhart et le cardinal italien Angelo Becciu) et une longue liste de chefs d’accusation, parmi lesquels le détournement de fonds, le blanchiment d’argent, l’abus de fonction, l’extorsion et la fraude (à noter que tous les accusés ne sont pas concernés par tous les chefs d’accusation). C’est également la première fois qu’un cardinal est jugé par des magistrats laïcs au tribunal du Vatican.

Avant d’être destitué, en novembre 2020, le cardinal Becciu était le deuxième fonctionnaire de la Secrétairerie d’État du Vatican, le puissant département curial au centre de l’enquête sur les malversations financières. Il a toujours nié tout acte répréhensible.

Toutes les accusations ne sont pas strictement liées à cette transaction. Le cardinal Becciu est soupçonné d’avoir envoyé de l’argent du Vatican à une organisation caritative dirigée par son frère, en Sardaigne. Dans ce cadre, il aurait payé une autre accusée du procès, Cecilia Marogna, pour établir des dossiers compromettants sur des membres du personnel du Vatican. RZ

Le cardinal Becciu, impliqué dans l'affaire de l'immeuble de Londres, clame son innocence | © Vatican Media
23 novembre 2023 | 10:52
par I.MEDIA
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