Une année diplomatique intense pour le cardinal Parolin
‘Le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’État du Saint-Siège, a gagné en visibilité au cours de cette année 2023 en tant que ‘premier diplomate’ du pape. Avec tact et modération, il a contribué à amortir certaines crises, notamment dans le contexte de la guerre en Terre sainte. Sur un plan interne au Vatican, il est demeuré relativement en retrait dans le procès de l’immeuble de Londres qui a mis en lumière des irrégularités dans les investissements de la secrétairerie d’État. Sa position de fermeté face au Synode allemand a par ailleurs renforcé sa position comme garant d’un certain équilibre institutionnel face au risque de polarisation de l’Église catholique.
Modération, équilibre, ouverture au dialogue avec toutes les parties: quitte à frustrer certains acteurs et observateurs dans le climat souvent passionnel des relations internationales, la diplomatie pontificale a tenu en cette année 2023 une doctrine intangible, sous la conduite du cardinal Pietro Parolin, qui a discrètement franchi en octobre dernier le cap des dix ans de charge en tant que secrétaire d’État du Saint-Siège.
À 68 ans, le cardinal originaire de Vénétie, au timbre de voix discret, est demeuré un pivot indispensable pour la reconnaissance internationale du Saint-Siège comme entité incarnant une forme de permanence et de stabilité dans un monde de plus en plus fracturé et polarisé. Entre un Occident perdant des positions qui semblaient autrefois acquises et un ‘Sud global’ qui monte en puissance – porté notamment par l’alliance entre la Russie et la Chine -, le Saint-Siège, avec des moyens limités, tente de porter une voix singulière dans le concert des nations pour laisser une chance au dialogue et à la médiation.
Peu après l’attaque du Hamas en territoire israélien, le 7 octobre, les visites successives du cardinal Parolin dans les ambassades d’Israël et de Palestine ont ainsi manifesté la sollicitude du Saint-Siège pour les deux populations concernées. Le 16 décembre, à l’occasion d’une réunion tenue au Vatican avec une représentante de la Ligue arabe et avec les ambassadeurs de Palestine, d’Irak, d’Égypte et du Liban, le cardinal Parolin a rappelé le ferme soutien du Saint-Siège à une solution à deux États et à un statut spécial pour Jérusalem, des conditions préalables pour «une paix durable dans la région», selon une position traditionnelle de la diplomatie pontificale.
Sauver ce qui peut l’être
Le pape François a cependant tenté de sortir des canaux habituels en choisissant une personnalité extérieure à la diplomatie du Saint-Siège – le cardinal Matteo Zuppi, archevêque de Bologne et président de la conférence épiscopale italienne – pour une délicate mission de paix pour l’Ukraine qui l’a conduit à Kiev, Moscou, Washington et Pékin, afin notamment de plaider pour les enfants ukrainiens transférés en Russie.
Tout comme Jean Paul II le fit en confiant de nombreuses missions internationales au cardinal Etchegaray, le pape François a voulu s’appuyer sur les expériences de médiation menées dans le cadre de Sant’Egidio par le cardinal Zuppi pour tenter d’établir des contacts, notamment avec l’Église orthodoxe russe, afin de plaider en faveur des enfants ukrainiens déportés en Russie.
L’initiative a été menée en bonne intelligence avec la secrétairerie d’État, avec des résultats mitigés. «Le mécanisme mis en place à la suite de la mission du cardinal Zuppi est en train d’être affiné, ce qui promet de meilleurs résultats», confiait le cardinal Parolin début décembre au sujet du rapatriement des mineurs ukrainiens.
Sur de nombreux dossiers, l’action de la diplomatie pontificale a suscité des incompréhensions. Les Ukrainiens, confrontés à l’offensive russe, et les Arméniens, qui ont perdu l’enclave du Haut-Karabakh reprise par l’Azerbaïdjan, s’attendaient à un soutien explicite de Rome. Les déclarations du pape, se limitant à des appels humanitaires en évitant le plus possible de nommer les belligérants, ont frustré de nombreux observateurs.
Mais, du point de vue de la tradition diplomatique du Saint-Siège, cette prudence est une condition pour pouvoir parler aux deux parties, et sauver ce qui peut l’être, notamment la vie des prisonniers. Le silence est en ce sens une ‘croix à porter’, dans une logique de recherche d’un plus grand bien… ou d’un moindre mal.
Avec le cardinal Gugerotti, la tradition du réalisme diplomatique
Le cardinal Parolin a par ailleurs trouvé un nouvel allié de poids au sein de la Curie en la personne du cardinal Claudio Gugerotti, préfet du dicastère pour les Églises orientales entré en fonction à la mi-janvier, et membre du Sacré Collège depuis le consistoire du 30 septembre. Né en 1955 comme lui, le cardinal Gugerotti est un ami de longue date du cardinal Parolin, depuis leurs jeunes années de séminaire et de prêtrise. Leurs diocèses d’origine (Vérone pour le cardinal Gugerotti, et Vicence pour le cardinal Parolin) font partie de la même province ecclésiastique, celle de Venise.
Les deux cardinaux se situent dans la filiation du cardinal Achille Silvestrini (1923-2019), qui fut longtemps le numéro deux du cardinal Agostino Casaroli, incarnation de l’Ostpolitik du Saint-Siège dans les années 1970-80. Rompant avec la radicalité du pontificat de Pie XII, la diplomatie pontificale s’était orientée sous les pontificats de Jean XXIII et Paul VI vers une ligne pragmatique et réaliste qui visait à établir des contacts réguliers avec les régimes communistes d’Europe de l’Est, afin de rétablir un certain encadrement institutionnel, même imparfait, et garantir la survie des communautés catholiques.
Le pari chinois et ses fruits incertains
Cette ligne de recherche conciliante a été poursuivie, avec un certain succès, avec le Vietnam, où l’Église catholique a pu se développer de façon spectaculaire depuis l’an 2000. Mais la situation est beaucoup plus difficile avec la République populaire de Chine, où la double reconduction de l’Accord provisoire de 2018 sur les nominations épiscopales n’a pas porté les fruits escomptés.
Le cardinal Parolin avait fait l’objet de violentes critiques après la signature de cet accord, notamment de la part du cardinal Joseph Zen, ancien évêque de Hong Kong et figure de la contestation contre les atteintes à la démocratie dans l’ex-colonie britannique. Le secrétaire d’État italien a néanmoins poursuivi une ligne de recherche de compromis avec le régime chinois, avec l’appui du pape François.
En juillet dernier, après la régularisation de la situation canonique de l’évêque de Shanghai, formellement nommé par le Saint-Siège 3 mois après avoir été installé par les autorités communistes, le cardinal Parolin a précisé la position de Rome. Assurant que le Saint-Siège entend mener «un dialogue ouvert et une confrontation respectueuse avec la partie chinoise», le cardinal Parolin expliquait que pour que «Jésus-Christ puisse ›se faire chinois avec les Chinois’, il est nécessaire de surmonter la défiance envers le catholicisme, qui n’est pas une religion à considérer comme étrangère, tout au contraire, à la culture de ce grand peuple».
Les échanges menés en 2023 entre l’évêque de Pékin et l’évêque de Hong Kong, Mgr Stephen Chow, créé cardinal le 30 septembre dernier, ont ouvert de nouveaux canaux de discussion, non plus seulement entre Rome et Pékin mais à l’intérieur d’un catholicisme chinois offrant un paysage contrasté et complexe. Mais il faudra plusieurs décennies pour savoir si le pari chinois du pape François et du cardinal Parolin permettra à l’Église catholique chinoise de se reconstituer et de trouver une nouvelle vigueur.
De nombreux voyages internationaux
Des Journées Saint-François de Sales à Lourdes en janvier au Forum mondial sur les réfugiés organisés à Genève, en passant par le couronnement du roi Charles III à Londres, le cardinal Parolin a multiplié les déplacements internationaux en 2023. Il a naturellement accompagné le pape François dans l’ensemble de ses voyages apostoliques – République démocratique du Congo, Soudan du Sud, Hongrie, JMJ de Lisbonne, Mongolie, Marseille – mais l’a aussi remplacé pour la COP28 à Dubaï, où la venue du pape a été annulée en raison de son état de santé.
Le secrétaire d’État du Saint-Siège a aussi maintenu le lien avec des régions du monde qui n’ont pas encore été visitées sous ce pontificat. C’est le cas de l’Afrique de l’Ouest, une région stratégique tant sur le plan du dialogue interreligieux que sur ceux du développement économique et social et de la lutte contre le changement climatique. La venue du cardinal Parolin au Sénégal, du 7 au 10 décembre, a ainsi été l’occasion de mettre en valeur le soutien du pays au pluralisme religieux, avec la cérémonie de consécration d’un nouveau sanctuaire national marial dans la ville de Popenguine, une ville côtière située à quelques kilomètres au sud de Dakar.
Par ailleurs, sa ligne de prudence sur le dossier sensible du Synode allemand lui a valu l’estime du milieu conservateur, notamment en Afrique et aux États-Unis. Dans une note adressée le 23 octobre à l’épiscopat allemand, le cardinal Parolin a ainsi fixé des lignes rouges, avertissant que la question de l’ordination de femmes prêtres et celle de la doctrine morale de l’Église catholique sur les actes homosexuels ne pourraient pas entrer en discussion lors des réunions prévues en 2024 entre les responsables de la Curie et les dirigeants de l’épiscopat allemand. Le secrétaire d’État apparaît ainsi comme le garant d’une certaine continuité du magistère entre Jean Paul II, Benoît XVI et François.
Entre discrétion et omniprésence
Sur la scène italienne, le cardinal Parolin conduit personnellement les échanges réguliers avec la présidente du Conseil Giorgia Meloni et les responsables politiques impliqués dans l’organisation du Jubilé 2025. Le secrétaire d’État intervient régulièrement, à Rome, en Italie et au-delà dans toutes sortes de conférences, dans des ambassades, des universités, des cercles de réflexion… « l est partout, il accepte toutes les invitations», remarque un prêtre français installé à Rome, qui apprécie son humanité et sa fidélité dans les relations.
Contrairement à ses prédécesseurs Angelo Sodano et Tarcisio Bertone, le cardinal Parolin se montre souvent disponible aux questions des journalistes. Des guerres en Terre sainte et en Ukraine aux féminicides en Italie, le secrétaire d’État a répondu aux questions des journalistes l’interpellant sur des sujets d’actualité au terme des conférences auxquelles il était invité. Contrairement au pape François qui ne les a presque jamais utilisés, le secrétaire d’État utilise régulièrement les médias du Vatican pour des interviews plus formelles, notamment avant chaque voyage apostolique.
Après l’affaire de l’immeuble de Londres, une secrétairerie d’État affaiblie
L’engagement intensif du cardinal Parolin sur la scène internationale a quelque peu compensé la diminution de l’influence de la secrétairerie d’État sur le plan ›politique’ interne vis-à-vis de la Curie romaine. La perte de son autonomie financière, en décembre 2020, a en effet retiré à la secrétairerie d’État son rôle traditionnel de ›tour de contrôle’ de l’ensemble des activités du Saint-Siège, pour lesquelles elle accordait des lignes budgétaires négociées au cas par cas, en fonction de ses fonds propres et des priorités des pontificats successifs, mais sans véritable instance de contrôle interne ni externe.
Désormais, l’Administration du patrimoine du Siège apostolique (APSA) et le secrétariat pour l’Économie (SPE) sont impliqués dans toutes les décisions impliquant des dépenses, notamment les embauches, les voyages et les investissements.
C’est une suspicion de fraude sur un investissement de la secrétairerie d’État lui ayant fait perdre entre 139 et 189 millions d’euros qui a conduit au procès fleuve de l’affaire dite de ‘l’immeuble de Londres’, qui s’est étalé de juillet 2021 à décembre 2023. Ce procès a abouti à la condamnation à cinq ans et demi de prison du cardinal Giovanni Angelo Becciu, ›numéro deux’ de la secrétairerie d’État de 2011 à 2018.
Le cardinal Parolin n’a finalement pas été appelé à la barre, bien que le juge Giuseppe Pignatone ait annoncé en décembre 2022 sa comparution comme témoin le mois suivant. La presse italienne avait révélé en 2021 qu’il avait signé en mars 2019 une lettre appuyant une demande de prêt de 150 millions d’euros émise par le substitut, Mgr Edgar Peña Parra, à l’Institut pour les Œuvres de Religion (IOR), la banque privée du Saint-Siège. Dans sa lettre, il invoquait des «raisons institutionnelles» qu’il qualifiait de «valables» et insistait sur l’importance de protéger «la confidentialité» de l’investissement.
Ce n’est pas finalement pas le cardinal Parolin mais Mgr Peña Parra lui-même qui a été écouté les 16 et 17 mars pour clarifier ce volet de l’affaire. Il a affirmé avoir tout fait pour «perdre le moins d’argent possible», expliquant avoir été trompé par un des accusés, l’avocat Nicola Squillace. Le cardinal Parolin est donc resté en retrait de toute cette procédure et n’est pas apparu en première ligne dans la chaîne de responsabilités ayant conduit à ce fiasco patrimonial. (cath.ch/imedia/cv/rz)