Malgré des mécontentements au Vatican, «la réforme économique ne fait que commencer», a cependant prévenu en novembre dernier le pape François | © Vatican Media
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Il y a dix ans, le pape lançait sa réforme économique au Vatican

Le 24 février 2014, le pape François créait le secrétariat pour l’Économie, le conseil pour l’Économie et le bureau du Réviseur général, trois organismes censés porter la réforme économique et financière du Saint-Siège. Retour, dix ans plus tard, sur ce chantier difficile, mené tambour battant, mais non sans heurts, par le pape.

En 2013, les cardinaux qui ont élu le pape François ont été marqués par le scandale de Vatileaks, une fuite d’informations confidentielles survenue en 2012 qui avait révélé des irrégularités dans le fonctionnement économique du Saint-Siège. L’affaire avait terni la fin du pontificat de Benoît XVI et le nouveau pape reçut pour mission de la part des cardinaux de mener à bien une réforme économique des institutions du Vatican.

Ce chantier, qu’avait lancé Benoît XVI en créant l’Autorité d’information financière (AIF), commence dès 2013 par le renforcement des pouvoirs de cette institution en charge de la lutte contre le blanchiment d’argent. Le pontife argentin crée dans le même temps une commission (la COSEA), qui a pour mission de planifier les prochaines réformes.

Le pape Benoît XVI avait lancé le chantier des réformes économiques | © Bernard Bovigny

Les travaux de cet organisme aboutissent le 24 février 2014 à la publication du motu proprio Fidelis dispensator et prudens. Celui-ci permet la création de trois nouvelles entités économiques au Vatican: le conseil pour l’Économie, le secrétariat pour l’Économie et le bureau du Réviseur général.

La supervision et la direction générale de l’économie vaticane sont confiées au conseil pour l’Économie, dirigé par le cardinal allemand Reinhard Marx. Le secrétariat pour l’Économie, dont le premier préfet est le cardinal australien George Pell, s’assure du contrôle et de la mise en œuvre des directives du conseil dans les entités vaticanes – reprenant ce rôle à l’Administration du patrimoine du Siège apostolique (APSA), dont la mission est circonscrite à celle de banque centrale du Vatican. Enfin, le bureau du Réviseur général est chargé de faire un audit annuel des structures vaticanes pour informer le conseil et le secrétariat.

Une réforme difficile à mener

Cependant, dès 2015, la fuite de nouveaux documents confidentiels – par d’anciens membres de la COSEA – fait éclater le scandale «Vatileaks 2». Bien que de moindre ampleur que les fuites de 2012, cette affaire lève le voile sur les tensions internes importantes que suscite la réforme économique menée notamment par le cardinal Pell.

Les frictions, affirmait ce dernier, décédé en 2023, sont montées d’un cran quand le haut prélat australien a tenté de remettre en cause l’autonomie des finances de la secrétairerie d’État, l’administration centrale du Saint-Siège. Il affirme s’être alors retrouvé confronté à la résistance de cette dernière, habituée à contrôler plus qu’à être contrôlée. Il a alors bataillé avec celui qui était le substitut de la secrétairerie d’État à cette époque, l’Italien Mgr Angelo Becciu.

La secrétairerie d’État l’emporte: le pape François confirme son autonomie économique en 2016, puis limoge le réviseur général Libero Milone, un proche du cardinal australien, pour espionnage interne en 2017. Milone affirme aujourd’hui avoir été piégé par certains responsables de la Curie – dont Mgr Becciu – qui ne voulaient pas qu’il mette son nez dans leurs affaires. En première instance, la justice vaticane a cependant retoqué sa plainte pour licenciement abusif le 24 janvier dernier.

Acquitté par la Haute Cour de justice australienne, le Cardinal Pell est sorti de prison | © keystone

Mais le principal coup d’arrêt est la mise en cause du cardinal Pell, cheville ouvrière de la réforme, après les révélations en 2016 d’une affaire d’abus sur mineurs dans son ancien diocèse en Australie. En 2017, il décide d’abandonner son poste pour aller se défendre et est finalement condamné en 2019 en première instance.

Incarcéré pendant plus d’un an avant d’être acquitté par la Haute Cour de justice australienne en 2020, le cardinal ne reprendra jamais sa mission. Il laissera plusieurs fois entendre qu’il a été victime d’un complot, visant expressément le cardinal Becciu.

Rationalisation, transparence et modernisation

Malgré ces revers, le pape François a maintenu son train de réforme des institutions économiques, insistant sur trois transformations nécessaires: la rationalisation, la transparence et la modernisation.

La rationalisation du fonctionnement de la Curie doit permettre plus d’efficacité, mais aussi de supprimer des dépenses jugées superflues, qui pèsent sur les finances alors que le Saint-Siège présente chaque année un budget déficitaire. Le pape décide ainsi de la fusion de plusieurs entités en des «superdicastères», comme celui de la Communication (2015), ceux du Service du développement humain intégral et des Laïcs, de la famille et de la vie (2016) et ceux de la Culture et de l’éducation, et de l’Évangélisation (2022). En 2021, pour faire face aux conséquences économiques de la pandémie de Covid-19, il décide de procéder à une baisse de l’ensemble des hauts salaires de la Curie, une première.

Une autre valeur défendue dans les réformes économiques du pontife est la transparence, promue dans un environnement souvent considéré comme opaque. Le but affiché est de créer des «gardes fous» pour mettre fin à toute forme de clientélisme ou de fraude. Pour cela, le pape a aussi renforcé l’arsenal judiciaire du Vatican contre ce type d’abus. Le pape réforme par ailleurs en profondeur le fonctionnement de la Cité du Vatican et de son gouvernorat avec trois motu proprio qui mettent en place un véritable système d’appel d’offres pour les marchés publics.

Enfin, la réforme économique du Vatican se veut aussi une modernisation et une professionnalisation de l’appareil économique du Saint-Siège. Sont particulièrement notables l’adhésion du Saint-Siège à la Convention de Mérida en 2016 et la poursuite des inspections des équipes de l’autorité européenne anti-blanchiment Moneyval en 2020. Plusieurs motu proprio promulgués par le pape visent à répondre aux normes internationales que promeuvent ces entités. C’est le cas notamment des réformes en 2019 de l’Institut pour les œuvres de religion (IOR), la banque privée du Vatican, de l’AIF qui devient l’ASIF (Autorité de surveillance et d’information financière) en 2020, et du Bureau du réviseur général en 2023, dont l’autonomie et la mission sont renforcées.

L’affaire de l’immeuble de Londres

En 2019 éclate la plus importante affaire financière du pontificat de François, celle dite «de l’immeuble de Londres». Elle concerne de graves irrégularités observées dans le cadre d’un investissement immobilier de la secrétairerie d’État en 2014 qui a entraîné une lourde perte pour le Saint-Siège, estimée par la justice vaticane à une somme proche de 200 millions d’euros.

Avant même que la justice vaticane ait ouvert un procès, le pontife décide en 2020 de retirer à la secrétairerie d’État toutes ses prérogatives financières, revenant sur l’autonomie accordée en 2016. Le pape obtient aussi la démission du cardinal Becciu et rend possible sa convocation par le tribunal du Vatican en levant l’immunité judiciaire qui protégeait jusqu’alors les cardinaux.

Angelo Becciu est le premier cardinal à être condamné par un tribunal du Vatican | © Keystone

Le procès s’est ouvert en 2021 et a duré plus de deux ans. Plus que le rôle du seul cardinal Becciu, condamné à cinq ans et demi de prison en première instance en décembre dernier, ou des huit autres condamnés, cette procédure sans précédent aura permis de montrer les limites d’un système administratif souvent archaïque et qui tend à diluer la responsabilité et favoriser les irrégularités. Des limites qui ont finalement souvent été anticipées par le pape dans ses réformes des divers organismes impliqués.

«La réforme économique ne fait que commencer»

Ces changements sont parachevés avec la promulgation de la Constitution apostolique Praedicate Evangelium en 2022. Cette dernière encadre l’ensemble de l’architecture générale du Saint-Siège et permet notamment d’intégrer définitivement le fonctionnement du nouveau pôle économique mis en place par François. La Constitution permet en outre de créer un nouveau Comité pour les investissements qui doit «garantir la nature éthique» des placements financiers du Vatican ainsi que «leur rentabilité, leur pertinence et leur niveau de risque».

Les réformes ont cependant un coût, et elles semblent avoir été souvent difficiles à encaisser par certains employés du Vatican (ils sont plus de 4500). On reproche notamment un virage managérial dépourvu de réelle politique de ressources humaines et l’alourdissement d’une bureaucratie déjà pesante. Beaucoup pointent du doigt la désormais toute puissance du secrétariat pour l’Économie. Une certaine tension s’est installée, comme le laissait transparaître le préfet du dicastère pour les Églises orientales, le cardinal Claudio Gugerotti, lors d’une rencontre récente à Rome: «Il ne vaut mieux pas parler de l’aspect économique en cette période.»

«La réforme économique ne fait que commencer», a cependant prévenu en novembre dernier le pape. Et il a même pensé à la bonne transmission du fruit de ses efforts: pendant la période de Sede Vacante, le coordinateur du conseil pour l’Économie, le préfet du secrétariat pour l’Économie et le réviseur général feront partie des rares responsables à rester en poste. Le premier sera même automatiquement désigné cardinal-assistant du Camerlingue, un rôle qui devrait lui permettre de présenter l’avancée de la réforme et l’état des finances vaticanes aux cardinaux en charge de désigner un nouveau pape. (cath.ch/imedia/cd/bh)

Malgré des mécontentements au Vatican, «la réforme économique ne fait que commencer», a cependant prévenu en novembre dernier le pape François | © Vatican Media
25 février 2024 | 09:46
par I.MEDIA
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