Rencontre du 4 avril 2024 - de g. à d.: Sofia Maruri, professeure de droit de l'Université Montevideo, Bernard Garcia Larrain, coordinateur de la Déclaration de Casablanca, Matthias Maurel, le pape François, Olivia Maurel, Vincenzo Bassi, président de la de la Fédération des associations familiales catholiques de France | © CasablancaDeclaration
Vatican

Le pape reçoit une militante française anti-GPA

Dans la matinée du 4 avril 2024, la Française Olivia Maurel, née d’une gestation pour autrui (GPA) et qui milite aujourd’hui pour l’interdiction de cette pratique, a été reçue avec une délégation par le pape François. Depuis Rome, la porte-parole «athée et féministe» de la Déclaration de Casablanca –qui demande l’abolition universelle de la GPA – revient avec l’agence I.MEDIA sur cette rencontre.

Votre histoire personnelle a le mérite de partir de l’expérience de l’enfant. Pourquoi ne souhaitez-vous pas que d’autres vivent ce que vous avez vécu?
Olivia Maurel: Je ne trouve pas ça juste d’infliger cela à un enfant. Mon expérience personnelle, douloureuse, ne sera pas celle de tous les enfants. Évidemment il y a de belles histoires: on les entend à la télévision, on les voit un peu partout sur les réseaux sociaux. Le souci, c’est qu’il y a beaucoup d’enfants aujourd’hui qui ne peuvent pas et ne vont pas parler parce qu’il y a une pression qui est énorme. D’abord de la part de nos familles, mais aussi de la part du lobby pro-GPA qui est autour et qui veut mettre une pression sur ces personnes. Je reçois des insultes tous les jours.

En tant que mère de trois enfants, je pense que le lien mère-enfant est sacré. On ne naît pas pour être abandonné, c’est quelque chose de tragique. On peut essayer de le redorer avec toutes les belles histoires qu’on veut. Cela reste traumatisant pour un enfant: la crise liée à l’identité que cela génère est une réelle difficulté pour un enfant. Et je rappelle que le droit à être élevé par ses parents est un droit reconnu sur le plan international.

Vous avez pu échanger ce matin avec le pape François, qui vous a reçus dans son bureau au Vatican. Que vous a-t-il dit?
C’était une rencontre extraordinaire. Le pape était de très bonne humeur et nous avons beaucoup ri tout au long de l’entretien. Nous avons discuté de la Déclaration de Casablanca [voir encadré plus bas], de mon histoire personnelle. Il a rappelé à plusieurs reprises que la GPA était un marché et qu’il nous soutenait dans notre démarche pour son abolition universelle. On voyait que le sujet lui tenait à cœur. Il a aussi souligné quelque chose qui m’a marqué venant d’un chef d’État comme lui: quand une femme est enceinte d’un enfant, l’enfant donne des cellules à la mère, qui garde des traces de cet enfant dans son corps pendant longtemps – près de 30 ans en réalité. Il a voulu rappeler ce lien scientifique entre la femme et l’enfant.

«En tant qu’athée, je suis venue ici rencontrer un chef d’État, pas un chef religieux»

Le pape nous a aussi déclaré qu’il appréciait que nous soyons venus en couple, avec mon mari Matthias, et a pris des nouvelles de nos enfants. Et il a insisté sur l’importance de l’humour dans ce contexte très difficile, quelque chose que nous partageons!

Comment êtes-vous entrée en contact avec le pape François?
Je lui avais envoyé une lettre le 11 décembre dernier, dans laquelle je lui raconte mon histoire. Je lui explique que je suis athée. Je lui avais aussi raconté dans ma lettre avoir été choquée par l’entretien accordé par Radio Cope, qui est pourtant la radio des évêques espagnols, à l’actrice Ana Obregon. Cette femme de 68 ans est allée s’acheter un enfant en Floride. Elle a pour cela utilisé le sperme de son fils, décédé auparavant, avec un don d’ovocyte d’une autre femme. Ce qui fait qu’elle est mère, mais à la fois grand-mère de l’enfant. Tout le monde avait été choqué, parce qu’on s’attendait qu’une telle radio promeuve la voix de l’Église, qui est contre la GPA.

Pour ne rien vous cacher, quand j’ai envoyé ma lettre au pape, j’avais en tête de le rencontrer. Je m’étais promis d’aller à la messe une fois par semaine si cela arrivait!

Hier, vous avez aussi rencontré le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’État, qui est responsable de la diplomatie vaticane. Comment jugez-vous l’action du Saint-Siège sur la question de la GPA?
Je pense que le pape a répondu indirectement à ma lettre dans son discours au corps diplomatique [NDLR, dans son discours du 8 janvier, le pape avait clairement condamné «la pratique de ladite mère porteuse, qui lèse gravement la dignité de la femme et de l’enfant», la décrivant comme «fondée sur l’exploitation d’une situation de nécessité matérielle de la mère» et avait demandé son interdiction au niveau international].

«Le marché de la GPA est estimé à 130 milliards d’euros pour 2032»

En tant qu’athée, je suis venue ici rencontrer un chef d’État, pas un chef religieux. Le Vatican, en tant qu’État, peut aujourd’hui être à l’initiative pour l’interdiction de la GPA, en rassemblant les autres États pour commencer à parler d’une convention internationale.

Sentez-vous que ce combat rencontre aujourd’hui un intérêt au sein de la communauté internationale?
Oui, clairement. Nous pensons qu’il est déjà possible de rassembler tous les États qui interdisent aujourd’hui la GPA. C’est tout l’objet de notre démarche, de la déclaration de Casablanca. Nous avons pu, sur invitation du Saint-Siège, nous exprimer aux Nations unies le 20 mars dernier devant une salle comble. Lors de notre rencontre avec le cardinal Parolin, ce dernier a insisté sur la capacité qu’a le Saint-Siège à promouvoir des traités, par exemple contre l’arme nucléaire etc. Il nous a mis en contact avec Mgr Miroslav Wachowski, sous-secrétaire en charge des relations avec les États et les organisations internationales, pour que nous puissions avancer dans ce sens-là.

Quels sont vos objectifs désormais?
Le marché de la GPA pesait plus de 14 milliards d’euros en 2022, et il est estimé à 130 milliards pour 2032. Notre idée est de trouver une solution pour mettre fin à ce marché global. Il faut donc une réponse globale, qui ne peut passer que par un traité international.

Ne craignez-vous pas que les enjeux économiques très importants poussent à la légalisation?
On l’a fait avec l’esclavagisme! Je pense que c’est très faisable avec la GPA. J’ai tendance à comparer ces deux phénomènes, et je constate qu’avant d’abolir l’esclavagisme, cela a pris des années. Mais à la fin on l’a aboli. C’est parce qu’il n’y a pas de barrière que ce marché progresse aujourd’hui.

Donc nous croyons en l’abolition de la GPA. Mais cela peut prendre du temps en effet. Le cardinal Parolin a insisté sur l’importance de lancer des processus. Peut-être que nous ne connaîtrons pas l’abolition de la GPA – nous espérons que oui – mais nous croyons que cela finira par arriver. (cath.ch/imedia/cd/rz)

La Déclaration de Casablanca
Signée au Maroc le 3 mars 2023 par 100 experts interdisciplinaires – juristes, médecins, universitaires, militants féministes… – de 75 nationalités différentes, ce texte est un appel lancé aux États pour une abolition universelle de la GPA.
Ce groupe apolitique et aconfessionnel demande de refuser toute valeur juridique aux contrats de GPA, des sanctions contre les personnes physiques ou morales qui se proposent comme intermédiaire entre les mères porteuses et les commanditaires, des sanctions contre les commanditaires, que ce soit au sein ou en dehors du territoire national, et la création d’un instrument juridique international pour faire appliquer l’abolition. Il demande enfin, en vue de ces objectifs, le lancement d’une convention internationale sur ce thème. CD

Rencontre du 4 avril 2024 – de g. à d.: Sofia Maruri, professeure de droit de l'Université Montevideo, Bernard Garcia Larrain, coordinateur de la Déclaration de Casablanca, Matthias Maurel, le pape François, Olivia Maurel, Vincenzo Bassi, président de la de la Fédération des associations familiales catholiques de France | © CasablancaDeclaration
4 avril 2024 | 17:37
par I.MEDIA
Temps de lecture : env. 5  min.
Audience du pape (138), Bioéthique (52), Enfants (139), GPA (12)
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