Vérone: pour le pape, l’individualisme est «la racine des dictatures»
L’individualisme est un «venin» qui menace ceux qui exercent des charges publiques, a lancé le pape François le 18 mai 2024 aux Arènes de Vérone. Le pontife, pour la deuxième étape de sa visite pastorale à Vérone, participait au rassemblement «Arena di Pace – Giustizia e Pace si baceranno » (»Arène de Paix – Justice et Paix s’embrasseront»).
Le pape a été accueilli par une foule de 12’500 personnes, rassemblées sous un soleil estival, en contraste avec les graves intempéries qui avaient frappé la région cette semaine. Malgré la chaleur et le dense programme de sa journée, le pontife de 87 ans, venu en fauteuil roulant, s’est exprimé d’une façon relativement fluide, sortant largement de ton texte et suscitant de nombreux applaudissements du public.
Interrogé par une journaliste afghane sur la façon de vivre un «leadership juste», le pape a remarqué que la culture est fortement marquée par l’individualisme et non par la dimension de la communauté. Il a considéré que «la racine des dictatures» se trouve dans cette culture qui conduit souvent à un exercice solitaire du pouvoir.
François a invité à relier «autorité» et «responsabilité», dans la vie de toutes les institutions, s’inquiétant du «venin» individualiste qui menace ceux qui exercent des charges publiques. Si un responsable agit comme «un solitaire au-dessus des autres», il s’agit d’une vision «appauvrissante» qui «stérilise» la communauté.
Le pape a rappelé que «l’idéalisation» est une forme d’agression, selon les psychiatres. Aucun responsable ne doit donc être idéalisé. Inversement, dans une perspective réaliste et pragmatique, l’autorité saine «est en mesure de situer ses propres points forts et ses limites, et de savoir à qui s’adresser» pour recevoir de l’aide et «situer le bien en chacun», offrant la possibilité à tous de participer.
L’appel d’Edgar Morin, hospitalisé
Un message vidéo d’Edgar Morin a été diffusé. Depuis son lit d’hôpital, l’intellectuel de bientôt 103 ans s’est attristé de la multiplication des guerres, invitant à prendre conscience de «la nécessité d’élaborer ensemble des mouvements pour la paix». Visiblement très affaibli, il a fait l’effort de s’exprimer en italien et a salué le pape François comme «l’unique conscience fondamentale de l’humanité aujourd’hui».
Interrogé sur le soin à apporter aux migrants et aux exclus, le pape a expliqué que, dans les Évangiles, Jésus met «les plus petits au centre» et les présente «comme les témoins d’un changement possible». Il a rendu «visibles les personnes que la société de son époque cachait et méprisait». «J’aime quand je vois des personnes avec des limites physiques qui participent à des rencontres comme aujourd’hui, car jésus ne les cachait pas. Chacun d’entre nous a sa propre voix», a insisté François, regrettant que de nombreuses personnes passent leur journée au téléphone, négligeant le sens du contact direct.
Beaucoup d’entre nous pourraient «recevoir le prix Nobel du Ponce Pilate, car nous sommes maîtres dans le fait de se laver les mains», a-t-il remarqué dans un trait d’humour teinté d’amertume. «Le premier pas, c’est de comprendre que nous ne sommes pas au centre», a-t-il insisté, tout en reconnaissant que «les petits nous incommodent».
Dénonçant une nouvelle fois le poids du commerce des armes dans l’économie mondiale, le pape s’est attristé de voir «une fatigue» globale dans la société, invitant chacun à se mobiliser pour la paix, qui est une «révolution» nécessaire, qui suppose d’aller «à contre-courant», avec «patience». «Il faut prendre soin de la paix, qui ne s’invente pas d’un jour à l’autre», car sinon surviennent des guerres, «grandes ou petites», a-t-il averti.
Assumer le conflit pour mieux le dépasser
Les conflits sont normaux dans une société normale, a expliqué François. «L’absence de conflictualité ne signifie pas forcément la paix, mais que l’on a arrêté de vivre, de penser, de se dépenser pour ce en quoi l’on croit». Rendant hommage à la pensée de Romano Guardini (1885-1968), théologien natif de Vérone et dont il venait de recevoir une copie de l’acte de baptême, le pape a invité à résoudre les conflits en allant «sur le plan supérieur», comme un «levain» pour transformer la culture. Une société qui ne sait pas intégrer ses tensions et ses conflits «se suicide», a-t-il averti.
Le pape a donc invité à «se laisser interpeller par les conflits, se laisser provoquer par les tensions, pour se mettre en recherche». «N’ayez pas peur des conflits», a–t-il demandé, remarquant qu’il est normal de «partager la pluralité», à l’échelle des familles comme à l’échelle des nations.
Parmi les personnalités qui ont participé à cette rencontre figuraient notamment le prêtre italien Luigi Ciotti, figure de la lutte contre la mafia, le fondateur de Sant’Egidio Andrea Riccardi, ainsi que Maoz Inon, un Israélien dont les parents ont été tués par le Hamas lors de l’attaque du 7 octobre 2023, et Aziz Sarah, un Palestinien dont le frère à été tué par l’armée israélienne. Ces deux entrepreneurs, très émus lors de leur intervention, ont été longuement applaudis lors de leur étreinte.
Interrogé sur la façon d’être «entrepreneur de paix» dans un contexte dramatique, le pape, lui-même ému, a salué ces deux hommes qui ont eu «le courage de s’embrasser». Le pape a demandé à la foule d’observer un temps de silence, demandant à chacun de «prendre une décision intérieure pour en finir avec les guerres».
Le programme de la visite pastorale du pape François à Vérone se poursuit à midi avec sa visite à la prison de Montorio, où il doit déjeuner avec les détenus, avant la messe célébrée à 15h au stade Bentegodi. (cath.ch/imedia/cv/bh)
Pour son 38e voyage pastoral, le pape s'est rendu à Vérone, en Italie le 18 mai 2024. Voici les temps forts de cette journée dense qui a commencé par une rencontre avec 800 prêtres et religieux.


