Le Saint-Siège et l'Église en Chine veulent tirer les leçons du passé
«Le Seigneur, en Chine, a gardé la foi du peuple de Dieu tout au long de son chemin», a affirmé le pape François, le 21 mai 2024. Il s’exprimait dans un message vidéo envoyé aux participants d’un séminaire organisé par le Saint-Siège à Rome sur les 100 ans du Concilium Sinense, premier synode chinois.
Au printemps 1924 s’est tenu dans la cathédrale de Shanghaï le premier et unique Concile de l’Église catholique en Chine, aussi connu comme le ’Synode de Shanghaï’. Le but de cette entreprise, souhaitée par le pape Benoît XV dans sa lettre apostolique Maximum Illud en 1919, était d’accélérer l’autonomie et la pénétration dans la société chinoise d’une Église alors entièrement dirigée par des missionnaires étrangers, mais aussi de la soustraire à l’influence des puissances étrangères.
Pour fêter le centenaire de cet événement, le Saint-Siège, avec l’Université pontificale urbanienne, a organisé cette journée de conférence, en partenariat avec l’Institut des religions mondiales de l’Académie chinoise de sciences sociales. Située dans le grand amphithéâtre du campus de l’Urbaniana, sur une colline faisant face aux murailles vaticanes, cette rencontre se voulait une nouvelle étape dans le rapprochement significatif opéré par le Saint-Siège vis-à-vis de Pékin depuis la signature des accords sur la nomination des évêques en Chine en 2018.
Vers une représentation diplomatique en Chine?
Interrogé sur les prochaines étapes de ce processus en marge de la rencontre, le cardinal Parolin, principal artisan de ce tournant diplomatique, a confié que le Saint-Siège espérait «pouvoir avoir une présence stable en Chine, même si dans un premier temps elle n’a pas la forme d’une représentation papale, d’une nonciature apostolique».
Le cardinal italien a insisté sur le fait que la «forme» de cette représentation pouvait être «différente» et sur son désir d’augmenter les contacts. Il a enfin exprimé la volonté du Saint-Siège que l’accord pastoral temporaire de 2018, prolongé en 2020 et 2022, «puisse être renouvelé et que certains points puissent être développés».
Les «fruits féconds pour tout le peuple chinois»
Un certain optimisme était perceptible dans le message vidéo sous-titré en chinois du pape François qui a été diffusé en début de rencontre. Le pontife a insisté sur «l’occasion précieuse» que représentait ce séminaire pour contempler le «sillon» tracé par l’Église dans son histoire en Chine, depuis la mission du jésuite Matteo Ricci du XVIe siècle jusqu’à aujourd’hui. Selon lui, le Concile de Shanghaï a permis de «balayer dans l’oubli les approches erronées qui avaient prévalu» jusque là. En particulier les compromissions de l’Église avec les puissances colonisatrices, et a ainsi porté des «fruits féconds pour tout le peuple chinois».
Dans cette perspective historique, le pape n’a mentionné que par allusion des «temps de patience et d’épreuve» et des «chemins imprévus» qu’ont connus les catholiques chinois, notamment après 1949. Il a en revanche vanté les mérites du concile centenaire, le donnant même comme un modèle de «chemin synodal» qui a été et demeure capable de suggérer «à toute l’Église de nouvelles voies».
Dans son intervention, le pontife a aussi insisté sur l’importance pour les Chinois d’être «en communion avec l’évêque de Rome», afin de pouvoir véritablement contribuer au bien non seulement de la société chinoise, mais plus largement, à une «coexistence sociale» des peuples. Apparaissant sur la vidéo à côté d’une reproduction de la Vierge de Sheshan, le pape argentin a enfin déclaré qu’il gravirait «en esprit» la colline de ce grand sanctuaire marial de Shanghaï le 24 mai prochain. Cette date a été établie par Benoît XVI comme journée mondiale de prière pour les catholiques de Chine en 2007.
Les torts des colons occidentaux
Après le pape, est intervenu l’évêque de Shanghaï, Mgr Joseph Shen Bin, qui était venu exceptionnellement à Rome – les déplacements de prélats chinois étant rares et contrôlés par le pouvoir communiste. Président de la conférence épiscopale chinoise depuis 2022 et membre actif de l’Association patriotique – organe de contrôle de l’Église par Pékin -, Mgr Shen Bin a été nommé évêque de Shanghaï sans autorisation du pape en avril 2023. Le Saint-Siège avait protesté, avant d’autoriser cette nomination en juin 2023, dans un esprit d’apaisement.
Dans son intervention, Mgr Shen Bin a rappelé l’humiliation de la guerre de l’opium de 1840 puis de la signature de «traités inégaux» imposés par les puissances étrangères, et comment ces dernières avaient été soutenues par certains missionnaires au «fort sentiment de supériorité culturelle», notamment par le biais du système des «patronages». Il a dénoncé les discriminations perpétrées alors contre les prêtres indigènes et les préjugés du clergé européen contre la société et la culture traditionnelle chinoise. Il a affirmé que ces torts ont été à l’origine de la «haine du peuple à l’égard de l’Église catholique», à mesure que progressait le sentiment nationaliste chinois.
Le catholicisme garde l’étiquette de «religion étrangère»
L’évêque chinois a en revanche loué la prise de conscience par le Saint-Siège «des dangers liés aux liens de l’Église avec les puissances occidentales», saluant les interventions des papes Grégoire XVI (Sur le clergé indigène, 1845) – et surtout de Benoît XV (Maximum Illud, 1919), qui fut l’instigateur du Synode de Shanghaï. Il a aussi approuvé l’esprit de ce synode, notamment l’action de Mgr Celso Costantini, alors représentant du pape. Il a cependant affirmé que les recommandations de cette réunion n’avaient été appliquées que marginalement par la suite, le catholicisme gardant dès lors «l’étiquette de ›religion étrangère’».
«Depuis la fondation de la nouvelle Chine en 1949, l’Église dans le pays est toujours restée fidèle à sa foi catholique, bien qu’elle ait fait de grands efforts pour s’adapter constamment au nouveau système politique», a ensuite assuré l’évêque de Shanghaï. Il a affirmé que Pékin n’avait aujourd’hui «aucun intérêt à changer la foi catholique», mais espérait «seulement que le clergé et les fidèles catholiques défendront les intérêts du peuple chinois». Il a alors fait allusion à la «politique d’hostilité du Vatican» dans le passé à l’égard du régime chinois.
Désormais, «le développement de l’Église en Chine doit s’inscrire dans une perspective chinoise», a insisté Mgr Shen Bin. Une expression reprise du président Xi Jinping sur la place des religions en Chine. Les prêtres chinois, a-t-il insisté, doivent «lier étroitement le développement de l’Église au bien-être du peuple», mais aussi aider à la sinisation de l’Église locale. Pour cela, il a plaidé pour l’intégration d’éléments de culture traditionnelle chinoise dans l’art sacré et la liturgie.
Pas de tiédeur à l’égard de l’Église catholique en Chine
La conférence a été conclue par le cardinal philippin Luis Antonio Tagle, pro-préfet du dicastère pour l’Évangélisation et d’ascendance chinoise. Il a assuré qu’il ne s’agissait pas de faire le procès des missionnaires du passé, mais de faire en sorte que le clergé désormais chinois puisse récolter leurs fruits. Devant Mgr Shen Bin, à qui il s’est adressé en chinois, il a insisté sur l’importance, pour l’Église en Chine, de «l’ouverture à l’Église universelle et aux autres Églises locales».
Le cardinal a enfin reconnu qu’il pouvait y avoir «des problèmes, des incompréhensions, des incidents» dans le dialogue du Vatican avec les fidèles de Chine, mais a insisté sur le fait qu’il n’y avait «jamais de tiédeur ou d’indifférence à l’égard du chemin de l’Église catholique en Chine». (cath.ch/imedia/cd/rz)





