Des membres de l’Union chrétienne internationale de la Vallée de Joux ont organisé, en juillet 1915, le premier camp romand au château de Vaumarcus: une première à l’époque! Aujourd’hui, les adolescents et les adolescentes -admises depuis trois ans au «Ca

APIC – Reportage

Suisse romande: 150 jeunes au «Camp junior» 1998 de Vaumarcus

L’imagination au pouvoir

Alain Bader, agence APIC

Vaumarcus, 10 août 1998 (APIC) L’orée de la forêt est propice aux confidences. Mélanie, nez orné d’un piercing et chevelure ambrée d’henné, se confie à Désirée, d’origine antillaise: «Nous vivons à quelques kilomètres l’une de l’autre depuis des années, en institution pour enfants de divorcés, sans se connaître. Nos histoires sont si proches pourtant. Ouf, grâce à ce camp nous nous sommes rencontrées». Le «Camp junior», camp chrétien de tradition réformée, apprend à des jeunes de 11 à 18 ans à vivre ensemble dans une société multiculturelle et multireligieuse. La première semaine d’août, 60 filles et 90 garçons, venus de Romandie et de France voisine, ont ainsi profité du cadre paradisiaque de la propriété que la Fédération romande des Unions chrétienne (FRUC) a acquise à Vaumarcus en 1924. Un univers un brin déjanté où se côtoient protestants, catholiques, jeunes en recherche, agnostiques et autres incroyants.

Harmonieuses par leur différences, près d’une vingtaine de bâtisses, à l’architecture de styles panachés, sont disséminées sur les 10 hectares, dont la moitié en forêt, de ce «lopin» de terre entre ciel et lac. Le camp s’adosse, en effet, à une forêt de hêtres dont la lisière monte, comme une crinière dressée, sur la colline plus haute d’où les bois s’étalent, d’étages en étages, jusqu’à la croupe du Mont-Aubert. En face, la prairie s’avance comme une terrasse au-devant du ciel et du lac de Neuchâtel jusqu’à la plage. La vigne descend si rapidement qu’on ne l’aperçoit pas.

Le thème comme fil conducteur du «Camp junior»

Un «Joyeux NON Anniversaire» tagué sur une bénarès décore une façade. De nombreuses baskets squattent les fenêtres. Le bâtiment préfabriqué abrite la tribu no 1, celle des 11 à 12 ans. Elle s’est dénommée: les Poussins. «Dans Alice aux pays des merveilles, les formules sont inversées. Autant souhaiter une seule fois un non anniversaire dans l’année pour que tous les autres jours soient vécus comme un jour de fête» explique Sébastien.

Le ton et le temps ont été donnés par les membres du staff (une quarantaine de responsables bénévoles du camp). En effet, c’est déguisés en Hobbits, Elfes et autres lutins qu’ils ont accueilli les participants le premier jour en décrétant de suite une heure de décalage horaire entre le camp et le monde extérieur.

«Cette année, on a estimé que l’imagination et le rêve sont des éléments nécessaires à la vie. Il faut les développer et les entretenir pour construire notre monde. L’imagination et le rêve permettent aux adolescents de réaliser leurs créations dans les divers ateliers proposés durant le camp. Quant au pouvoir, c’est le pari que l’imagination est capable d’agir sur notre monde et de l’influencer. Les jeunes l’ont dans le sens qu’ils élaborent librement les textes de leurs sketches, par le choix des musiques qu’ils décident, par exemple, une soirée disco comme ce soir», commente David Allison, théologien et membre du Système D. Cet organe, composé de quatre anciens responsables, -dont deux doivent être théologiens-, outre la direction du camp, est responsable de l’intégrité physique, psychologique et spirituelle des participants. Il loue les installations à la FRUC dont le «Camp junior» est indépendant.

Crée ce que tu seras !

Au milieu de la pelouse s’élève un mât au sommet duquel flotte une flamme blanche portant en or le monogramme du Christ. La fontaine se dresse tout près. C’est un bassin circulaire, taillé dans du granit, à l’ombre de deux somptueux bouleaux, encadré de bancs. Les campeurs y discutent longuement, à deux ou trois, face à l’infini. Edouard Curchot, dit Bouée, participe à son 61ème camp. Sa mémoire remonte le temps: le docteur Jelker, de La Rochelle, et l’avocat Béguin montaient à dos d’homme les tentes des premiers camps. Mémoire des lieux aussi: «La Mairie», «La Chocolatière» ou «L’Abricotier», une des premières constructions en bois du camp. Prévue pour y réduire les récolte du jardin potager, elle servait surtout, en cas d’orage, de gîte improvisé à un campeur paralysé en chaise roulante nommé Cottier, d’où son nom.

A 78 ans, ce marbrier veveysan a déjà conté moult histoires à ses cinq enfants et six petits enfants qui participent avec lui à ces vacances familiales. «Ils attendent deux événements importants dans l’année: Noël en hiver et le camp en été» confie l’heureux aïeul. En définitive, la réussite du «Camp junior» dépend de l’égrégore que les participants y créent. Vu la durée de l’expérience, la recette doit forcément conduire au succès. Le premier camp de «Bouée» et de ses 208 camarades en 1930 avait pour thème: «Ce que tu seras».

De la création à la réalisation

Ambiance juvénile mais sérieuse chez «Popol la bricole». L’enseigne de l’un des nombreux ateliers de création est accrochée à la façade en claires-voies du «Bûcher», découpée en trois voûtes. Son toit recouvert de tuiles «Jura» abrite une fourmilière d’artisans en herbe. Etape importante, celle qui mène de la création par la pensée à la réalisation dans la matière.

Le passeur, orfèvre en la matière, court d’un établis à l’autres pour conseiller celui qui perce un élément du «casse-tête», jeu en bois, qu’il fabrique patiemment de ses propres mains ou encore pour éviter qu’une autre ne se blesse en découpant du bois croisé pour son puzzle. Son petit pouce en dessous de la table ne lui est guère visible. Concentrée, la tête penchée en avant laisse ses mèches blondes voiler son regard. Elle ne devine pas les dents de la scie qui se rapprochent goulûment de sa main. Tel Zorro, Popol est arrivé…

La forêt: exemple de tolérance

Quelques membres des tribus Viagra et Hip-hop mélangés sont réunis en lisière de la forêt. Des volutes de fumée bleutée s’élèvent dans le bruissement des feuilles. Non, point de calumet de la paix, mais de la simple herbe à Nicot. On ne fume pas dans l’enceinte du camp, à l’exception du sous-bois. Les adolescents de 16 à 18 ans raffolent du romantisme que dégagent les rayons du soleil perçant la fragile floraison.

Assis sur un tas de troncs, Virginie a posé une main délicate sur l’épaule, non de Paul, mais de Nicolas. «C’est beau l’amour, mais le temps sera long pour vous jusqu’à l’année prochaine», constate avec une pointe d’ironie un solitaire de la même tribu. Qui peut s’imaginer ce qui se passe dans la tête d’un Roméo si proche d’une furtive Juliette ? L’attitude prise en penseur de Rodin par le jeune soupirant est une réponse en soi-même.

La tolérance est de mise au camp. L’exemple des fumeurs dans la forêt est une porte sur la réciprocité: aucun mégot n’est décelable dans le camp. Pour l’ingénieur Thierry Chollet, de la tribu mère Système D, «c’est la tolérance dans le respect des traditions qui a permis au «Camp junior» de durer. Il faut aussi éveiller les esprits des jeunes par la tradition orale. Cette dernière est vivace, c’est elle qui crée la fidélité».

Spiritualité, es-tu là ?

La cloche, venue d’Alsace en 1922, jette sur toute la colline son appel clair et paisible. Il est midi et quart, heure locale. L’espace s’anime et de toutes parts surgissent campeurs et campeuses pour entendre le message. Tous convergent vers le terrain de football où les attend patiemment Béatrice. Choisie parmi le staff, la pasteure de l’Eglise réformée évangélique de Neuchâtel propose une réflexion sur la main. Main refermée, signe de repli sur soi. Comme si Dieu était mis en boîte.

A l’opposé, la main ouverte, qui attend dans l’humilité du mendiant. Celle là même qui peut aussi prodiguer des caresses. Ce côté actif de donner et de recevoir de la chaleur, ne faut-il pas la même attitude face à Dieu. Demain, dernier jour du camp, elle parlera de la main levée, signe de bénédiction et d’adieu, dans le sens s’en remettre à Dieu.

Autre moment fort, le feu de camp qui clôt la journée. Tous les participants s’y retrouvent chaque soir. Là aussi un message est proposé en méditation aux adolescents. «Nul ne connaît le fruit récolté par chacun lors de ces moments de réflexion à l’exception de celui qui le vit. En tous les cas, la qualité d’écoute des adolescents est bonne», observe le théologien David Allison.

De la gaufre à la chapelle en passant par la sono

L’homme vit aussi de pain. La gaufre et le falafel parfume l’atelier friandises. Son responsable, Pierre-Alain Bonzon, a quitté ses livres d’enseignant, pour les recettes de cuisine. Il prépare la pâte à base de poix chiches cuits et moulus, épicée. «Je laisse au campeur gourmand le soin de confectionner sa falafel. Après avoir rempli le moule cylindrique de la masse verdâtre, il élimine les bavures sur les côtés et par simple pression sur le fond du moule l’immerge dans l’huile bouillante. Il la ressort quand il l’estime dorée à point, la paye avec des bons – l’argent suisse n’a pas cours sur un territoire occupé par 10 tribus différentes -, et la déguste avec la satisfaction gourmande du travail bien fait», explique-t-il en une seule phrase.

Un peu plus loin, à l’ombre de la rédaction de l’imagique quotidien édité a Vaumarcus, le Junior Matin, Sandrine tape le carton avec deux copines dans l’espace réservé aux loisirs non créatifs. Sa partenaire de droite semble bien jeune. La Poussin- elle ne veut pas féminiser en poussine le nom de sa tribu – avec une sûreté de shérif déclare «que sa camarade Aurélie, malgré ses 8 ans, fait partie du staff. D’ailleurs son papa aussi». Effectivement ce dernier, Frédéric Aeberhard, est responsable de l’éclairage des soirées. Soirées de qualité puisque la «sono» est confiée à un expert: Valdo Sartori, metteur en onde à la Radio suisse romande. Il répond aux désirs musicaux de générations fort différentes depuis quarante ans de fidélité au camp de Vaumarcus.

Une propriété partagée

Signe de partage, la propriété de la FRUC est à cheval sur deux cantons. «L’eau est fournie par la commune neuchâteloise de Vaumarcus, tandis que l’électricité nous est distribuée par le réseau de la Compagnie vaudoise d’électricité depuis Concise», relève Martial Debely, responsable du camp pour la FRUC.

Si la forêt est en terre vaudoise, la chapelle se situe à l’opposé sur territoire neuchâtelois. C’est à la demande de campeurs que le discret cuisinier, permanent de la FRUC, l’a aménagée dans deux anciennes chambres de la Maison Zwingli (1930). Sur le plafond, une saignée de teinte plus claire laisse apparaître les cicatrices de la transformation.

Depuis deux ans, les galets amenés du lac au pied de la croix en sapin et le Christ représenté simplement par trois clous forgés, fruits du travail collectif, révèlent, dans le silence de ce lieu où musulmans, catholiques, protestants et autres se recueillent, le secret du succès des «Camp junior»: le partage dans la création. (apic/ab)

10 août 1998 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 8  min.
Partagez!