Rome: Le Vatican publie le document «Nous nous souvenons, réflexion sur la shoah»:
Plus jamais de semences d’antisémitisme dans le cœur de l’homme
Rome, 16 mars 1998 (APIC) Au-delà de la nécessaire repentance face au drame indicible de l’extermination des juifs, le Vatican a lancé lundi un appel à l’engagement contraignant de ses fidèles. «Pour que l’on ne permette plus jamais aux germes infectés d’antijudaïsme et d’antisémitisme de pousser leurs racines dans le cœur de l’homme». Les préjugés anti-juifs présents chez nombre de chrétiens n’ont-ils pas facilité la persécution nazie, se demande le Vatican.
Dans un document de 13 pages intitulé «Nous nous souvenons, réflexion sur la shoah», l’Eglise catholique, à l’aube du 3ème millénaire, regrette «profondément les erreurs et les manquements de ses fils et filles» qui n’ont pas été assez forts pour élever leur voix pour protester contre la déportation et l’extermination des juifs par les nazis. Ce lourd fardeau de la conscience doit être un appel à la pénitence. L’Eglise catholique exprime donc dans ce nouveau document ses «profonds regrets» et sa «repentance-conversion».
Le cardinal Edward Idris Cassidy, président de la Commission vaticane pour les Rapports avec le Judaïsme, Mgr Pierre Duprey, Vice-président, et le P. Rémi Hoeckman, Secrétaire, ont présenté lundi à la presse un document sur la «shoah», disponible seulement en anglais (langue originale) et en italien pour le moment. La Commission dépend du Conseil pontifical pour l’unité des Chrétiens, également présidé par le cardinal Cassidy.
Le document (d’une quinzaine de pages) avait été annoncé en août 1987. La lenteur de sa publication s’explique, dit le cardinal Cassidy, par la nécessité d’une «maturation» de «l’ensemble» de l’Eglise, avant qu’un tel document puisse être publié. Et d’autre part, il précise que des épiscopats ont eux aussi voulu faire des déclarations, préalables à un document de et pour l’Eglise universelle (Allemagne, Pologne, France, etc). Car le document s’adresse à toute l’Eglise, du fait de ses relations avec le judaïsme, même dans des pays dont l’histoire et la culture n’ont pas été en contact direct avec la communauté juive.
La volonté du pape Jean Paul II
Ce document est dû à la demande expresse de Jean Paul II, affirment les intervenants, et a bénéficié de l’expérience personnelle du pape. Jean Paul II a en effet lui-même écrit la préface du document, en date du 12 mars dernier. Pour le pape, ce document est une étape vers le Grand Jubilé. L’Eglise en marche vers l’an 2000 «encourage ses fils et ses filles à «purifier leurs cœurs, écrit le pape, à travers la repentance des erreurs et des infidélités du passéé». «Elle les appelle, continue le pape, à se mettre humblement devant Dieu et à s’examiner sur la responsabilité qu’ils ont eux aussi dans les maux de notre temps».
La shoah, une tache indélébile dans l’histoire de l’humanité
Le pape souhaite aussi que cet examen de conscience contribue à la construction d’un avenir où «l’indicible iniquité de la shoah ne soit plus jamais possible». Pour le pape, la shoah est en effet une tache «indélébile» dans l’histoire de l’humanité: «Le crime qui est connu sous le nom de la shoah reste une tache indélébile dans l’histoire du siècle qui s’achève», écrit en effet le pape.
Du point de vue des relations avec le judaïsme, il regarde vers l’avenir et souhaite que le document «aide véritablement à guérir les blessures des incompréhensions et les injustices du passé». «Au terme de ce millénaire, dit le document, l’Eglise catholique désire exprimer ses profonds regrets pour les manquements de ses fils et de ses filles à toutes les époques. Il s’agit d’un acte d repentance (»Teshuva» – en hébreu dans le texte: conversion/changement de cap, NDLR): en tant que membre de l’Eglise, nous partageons en effet soit les péchés soit les mérites de tous ses enfants».
Une déclaration de repentance qui engage pour l’avenir
Cette déclaration de repentance, insiste le texte implique un engagement pour l’avenir, elle est «contraignante». «Il ne s’agit pas de simples paroles, mais d’un engagement contraignant», dit le texte, en citant le discours de Jean Paul II pour la commémoration de l’Holocauste le 7 avril 1994: «L’humanité ne peut permettre que cela se produise de nouveau».
Un acte de repentance qui engage aussi de nouvelle relations de l’Eglise catholique avec le judaïsme: «Nous prions pour que notre douleur pour les tragédies que le peuple juif a endurées dans notre siècle conduise à de nouvelles relations avec le peuple juif. Nous désirons transformer la conscience des péchés du passé en ferme engagement pour un avenir nouveau dans lequel il n’y ait plus de sentiments antijudaïques parmi les chrétiens ni de sentiments antichrétiens parmi les juifs, mais plutôt un respect réciproque partagé, comme il convient entre ceux qui adorent l’unique Créateur et Seigneur et ont en commun un Père dans la foi: Abraham».
Appel à toute l’humanité
Mais plus encore le texte s’achève sur un appel à «toute l’humanité» pour que la réflexion sur la shoah et l’acte de mémoire de cette souffrance du peuple juif soit le fait de toute personne de bonne volonté. «Faire mémoire de ce drame terrible signifie, conclut le document, prendre pleinement conscience de l’avertissement salutaire qu’il renferme: on ne doit plus jamais consentir à ce que les germes infects de l’antijudaïsme et de l’antisémitisme poussent leurs racines dans le cœur de l’homme».
Le mot clef du document est en effet la notion de «faire mémoire», souligne le cardinal Cassidy, parce que, comme le dit le document, ce fait de la shoah regarde encore notre «aujourd’hui». La mémoire, c’est la première partie du document. «Le siècle actuel a été témoin d’une tragédie, dit-il, qui ne pourra jamais être oubliée: la tentative du régime nazi d’exterminer le peuple juif et le massacre qui s’ensuivit de millions de juifs». Mais le document va plus loin en montrant que la shoah, ce ne sont pas seulement les morts, mais les humiliations, les mauvais traitements, les tortures et les offenses à la dignité humaine. «Quant au petit nombre de survivants, dit le texte, ils «sont restés terrorisés à vie».
L’indicible de la shoah
L’Eglise, explique-t-on, est concernée parce que liée au peuple juif. «Personne ne peut rester indifférent, souligne-t-on, et encore moins l’Eglise en raison de ses liens très étroits de parenté spirituelle avec le peuple juif et du souvenir qu’elle a des injustices du passé». Faire mémoire, mais de quoi? interroge ensuite le document dans sa deuxième partie. De l’indicible: «L’inhumanité avec laquelle les juifs ont été persécutés et massacrés au cours de ce siècle, dit le document, dépasse le pouvoir d’expression qu’ont les mots».
De fait, la mémoire dont parle le document, n’est pas simplement historique. Le document laisse aux historiens leur tâche, encore inachevée sur cette période de l’histoire. Mais le document insiste sur la nécessité d’une mémoire à la fois «spirituelle» et «religieuse», et c’est proprement le terrain où se meut le document.
Les racines de l’anti-judaïsme chrétien
C’est pourquoi il s’interroge ensuite sur les relations entre juifs et chrétiens. Une histoire «tourmentée», de deux mille ans, avec un bilan «plutôt négatif». C’est ce qu’a mis en lumière le symposium d’experts sur la question de l’antijudaïsme en milieu chrétien qui a eu lieu au Vatican en octobre-novembre dernier. Le document cite le discours du pape, reconnaissant à cette occasion (31 octobre 1997), les erreurs théologiques dans l’interprétation du Nouveau Testament, qui ont pu conduire à un antijudaïsme en milieu chrétien.
«Dans le monde chrétien – je ne dis pas de la part de l’Eglise en tant que telle- des interprétations erronées et injustes du Nouveau Testament à propos du peuple juif, et sa soi-disant culpabilité ont trop longtemps circulé, générant des sentiments d’hostilité envers ce peuple», déplorait le pape. Mais le document distingue cet «antijudaïsme» de la théorie raciste de l’antisémitisme nazi, qui niait «l’unité du genre humain», contrairement à l’enseignement biblique sur la création, rappelé par la préface de Jean Paul II.
Or, rappelle encore le document, non seulement l’Eglise en Allemagne a condamné le racisme (sermons, lettres pastorales), mais Pie XI (dans son encyclique célèbre «Mit brennender Sorge, 1937) et Pie XII (Summi Pontificatus, 1939, sur l’unité du genre humain et contre l’idolâtrie de l’Etat) (Une longue note est consacrée à l’appréciation de l’action de Pie XII pendant la guerre, de la part de juifs israéliens.)
Le cardinal Cassidy souligne combien les théories nazies étaient en opposition avec l’enseignement de l’Eglise. La shoah a donc été l’oeuvre «d’un régime moderne typique et néo-païen», explique le texte. «Son antisémitisme avait ses racines en dehors du christianisme». Il n’hésita d’ailleurs pas à «persécuter» les membres de l’Eglise, précise le texte. Mais ce n’est pas pour autant que le document dédouane l’attitude de tous les enfants de l’Eglise. «On doit se demander, si la persécution nazie contre les juifs n’a pas été facilitée par des préjugés anti-juifs présents dans les esprits et dans le cœur de certains chrétiens». C’est donc là que s’articule l’antijudaïsme en milieu chrétien et l’antisémitisme nazi.
Question: «Les chrétiens offrirent-ils toute l’aide possible aux persécutés et en particulier aux juifs?» Réponse: «Beaucoup l’ont fait, mais d’autres, non». Certains opposèrent au régime une résistance «courageuse» et «spirituelle». Mais l’action «concrète» d’autres chrétiens n’a pas été «celle que l’on aurait pu attendre de disciple du Christ». Le document parle d’un «lourd poids» sur la conscience qui doit être un appel à la «repentance».
Ferme condamnation de l’antisémitisme
C’est pourquoi le document reprend «la plus ferme condamnation» de toute forme d’antisémitisme proclamée par le Concile et par Jean Paul II, et de «toute forme de génocide» (citant les génocides de notre siècle). Jean Paul II avait déjà parlé dans ce sens à la communauté juive de Strasbourg en 1988, et au nouvel ambassadeur d’Allemagne au Vatican en 1990. Le pape donne comme principal fondement théologique à cette déclaration de «repentance» : «le respect dû à la vie et à la dignité de tout être humain, parce que nous sommes tous créés à l’image et à la ressemblance de Dieu», c’est à dire le récit biblique de la Création.
Le document souligne en outre, du point de vue théologique, d’une part la vocation du peuple juif «appelé à rendre témoignage au Dieu unique et à la Loi de l’Alliance», et nomme Abraham «père commun dans la foi». Et d’autre part, les «racines juives» de la foi chrétienne.
Il rappelle à ce propos l’identité juive de Jésus, «descendant de David», celle de Marie et des Apôtres, et que l’Eglise puise encore aux racines de l’olivier franc, selon l’image de saint Paul dans l’Epître aux Romains (ch. 11). Ce qui renvoie implicitement non seulement à la déclaration conciliaire «Nostra Aetate», mais aussi à celle sur la Révélation divine (Dei Verbum).
Pourquoi est-ce toujours à l’Eglise de demander pardon ?
Le mystère d’Israël et le mystère de l’Eglise sont liés, comme le manifeste le fait que la Commission pour le Judaïsme dépende du Conseil pour l’unité des chrétiens: «La relation de l’Eglise avec le peuple juif est différente de celle qu’elle a avec d’autres religions», souligne le texte, en citant explicitement un enseignement de Jean Paul II en 1995.
Un projet en préparation pour l’an 2000
Enfin le texte reprend l’expression de Jean Paul II à la synagogue de Rome le 13 avril 1986: «nos frères aînés». Mais, demande-t-on au cardinal Cassidy, pourquoi est-ce toujours à l’Eglise de demander pardon? Il répond: le rabbin Samuel Sirat a dit, l’an dernier, lors de la réunion œcuménique de Graz que les juifs aussi avaient à vivre leur «teshuva». Pour sa part, le cardinal insiste: «Jésus n’a pas dit: attendez les autres!» Le cardinal souligne encore que ce document ne constitue pas une fin mais le début de quelque chose. Une réunion aura lieu l’an prochain: 200 participants de toutes religions, pour préparer éventuellement l’an 2000. Pour l’an 2000, un projet est en effet en préparation, et tient à cœur au pape, au Sinaï, mais, il est, dit-il, encore trop tôt pour en préciser les détails. (apic/imedia/be)