Manifestation à Paris, le 16 avril 2025, en hommage aux 200 journalistes tués à Gaza depuis le 7 octobre 2023  | © KEYSTONE/MAXPPP/Olivier Donnars / Le Pictorium
International

Nous, journalistes de cath.ch, solidaires de nos collègues de Gaza

Les bombardements israéliens sur la bande de Gaza ont tué près de 200 journalistes palestiniens en dix-huit mois. Du jamais vu dans l’histoire de ce métier! Nous, rédaction de cath.ch, affirmons notre solidarité avec nos confrères et consœurs de cette région, en relayant et en signant à notre tour la tribune collective publiée, le 14 avril 2025, par de nombreuses sociétés françaises de journalistes.

Ce n’est pas courant pour un journaliste d’écrire son testament à l’âge de 23 ans. C’est pourtant ce qu’a fait Hossam Shabat, correspondant de la chaîne qatarienne Al-Jazeera Mubasher dans la bande de Gaza. Le jeune homme, conscient que les bombardements israéliens sur le territoire palestinien ont drastiquement réduit l’espérance de vie des membres de sa profession, a composé un court texte, à publier s’il devait lui arriver malheur.

Ces mots ont finalement été postés sur les réseaux sociaux lundi 24 mars. «Si vous lisez ceci, cela signifie que j’ai été tué: ainsi commence le message dans lequel le reporter évoque ses nuits à dormir sur le trottoir, la faim qui n’a jamais cessé de le tenailler et son combat pour «documenter les horreurs minute par minute». «Je vais enfin pouvoir me reposer, quelque chose que je n’ai pas pu faire durant les dix-huit mois passés»,conclut le reporter palestinien, tué par un tir de drone israélien sur la voiture dans laquelle il circulait, à Beit Lahiya, dans le nord de Gaza. Un véhicule qui portait le sigle «TV» et le logo d’Al-Jazeera.

200 morts en un an et demi

En un an et demi de guerre dans l’enclave côtière, les opérations israéliennes ont causé la mort de près de 200 professionnels des médias palestiniens, selon les organisations internationales de défense des journalistes, telles Reporters sans frontières, le Comité pour la protection des journalistes et la Fédération internationale des journalistes, en lien avec  le Syndicat des journalistes palestiniens (PJS). Dans l’histoire de notre profession, tous conflits confondus, c’est une hécatombe d’une magnitude jamais vue, comme le démontre une récente étude de l’Université américaine Brown.

Au moins une quarantaine de ces journalistes, à l’instar de Hossam Shabat, ont été tués stylo, micro ou caméra à la main. C’est le cas d’Ahmed Al Louh, 39 ans, caméraman de la chaîne Al-Jazeera, qui a péri dans une frappe aérienne alors qu’il tournait un reportage dans le camp de réfugiés de Nousseirat, le 15 décembre 2024. Et d’Ibrahim Mouhareb, 26 ans, collaborateur du journal Al-Hadath, tué par le tir d’un char, le 18 août 2024, alors qu’il couvrait le retrait de l’armée israélienne d’un quartier de Khan Younès. Des cas soigneusement documentés par les organisations précitées.

Des journalistes clairement identifiables

Le journaliste Hossam Shabat, tué par un tir de drone israélien | © Hossam Shabat/wikipedia/ CC BY-SA 4.0

Tous ces confrères et consœurs portaient un casque et un gilet pare-balles, floqué du sigle «Press», les identifiant clairement comme des professionnels des médias. Certains avaient reçu des menaces téléphoniques de responsables militaires israéliens ou bien avaient été désignés comme des membres de groupes armés gazaouis par le porte-parole de l’armée, sans que celui-ci fournisse des preuves crédibles à l’appui de ces accusations. Autant d’éléments qui incitent à penser qu’ils ont été délibérément visés par l’armée israélienne.

D’autres de nos collègues de Gaza sont morts dans le bombardement de leur domicile ou de la tente où ils s’étaient réfugiés avec leurs familles, comme des dizaines de milliers d’autres Palestiniens. C’est le cas de Wafa Al Udaini, fondatrice du collectif de journalistes 16-Octobre, tuée dans une frappe sur la ville de Deir Al-Balah, le 30 septembre 2024, avec son mari et leurs deux enfants. Et d’Ahmed Fatima, une figure de la Maison de la presse de Gaza, une ONG soutenue par des bailleurs européens, qui formait une nouvelle génération de journalistes.

Le 13 novembre 2023, un missile a frappé l’étage de l’immeuble où il résidait avec son épouse et leur fils de 6 ans, dans la ville de Gaza. Les parents ont réchappé à l’explosion mais l’enfant a été blessé au visage. Ahmed Fatima l’a pris dans ses bras et s’est précipité dans la rue pour l’amener à l’hôpital. À peine avait-il parcouru 50 mètres qu’un second missile s’abattait à proximité de lui et le tuait. Six jours plus tard, le 19 novembre, le fondateur et directeur de la Maison de la presse, Bilal Jadallah, mourrait à son tour dans le tir d’un char israélien sur son véhicule.

D’autres ont survécu, mais dans quelles conditions? Le journaliste reporter d’images Fadi Al Wahidi, 25 ans, est paraplégique depuis qu’une balle lui a sectionné la moelle épinière, le 9 octobre 2024, alors qu’il filmait un énième déplacement forcé de civils, ainsi que l’a rapporté le média d’investigation Forbidden Stories. Wael Al-Dahdouh, célèbre correspondant d’Al-Jazeera à Gaza, a, quant à lui, appris la mort de sa femme et de deux de ses enfants dans un bombardement, en plein direct, le 25 octobre 2023. Pour les journalistes palestiniens, «couvrir» la mort d’un collègue ou d’un proche fait désormais partie d’une macabre routine.

Black-out médiatique sur Gaza

Nous déplorons également la mort des quatre journalistes israéliens qui ont péri dans l’attaque terroriste menée par le Hamas le 7 octobre 2023, ainsi que celle de neuf confrères libanais et d’une consœur syrienne lors de frappes israéliennes. Mais l’urgence est aujourd’hui à Gaza. Pour tous les défenseurs des droits humains, un constat s’impose: l’armée israélienne cherche à imposer un black-out médiatique sur Gaza, à réduire au silence, autant que possible, les témoins des crimes de guerre commis par ses troupes, au moment où un nombre croissant d’ONG internationales et d’instances onusiennes les qualifient d’actes génocidaires. Cette volonté de faire obstacle à l’information se traduit également par le refus du gouvernement israélien de laisser la presse étrangère pénétrer dans la bande de Gaza.

N’oublions pas la situation en Cisjordanie occupée, où l’on commémorera, dans quelques jours, les trois ans de la mort de Shireen Abu Akleh. La correspondante vedette d’Al-Jazeera a été abattue à Jénine, le 11 mai 2022, par un soldat israélien qui n’a eu aucun compte à rendre pour son crime. Hamdan Ballal, coréalisateur de No Other Land, Oscar 2025 du meilleur documentaire, a été agressé par des colons, le 24 mars, puis a été arrêté par des soldats dans l’ambulance qui l’emmenait se faire soigner : cela témoigne de la violence à laquelle s’exposent ceux qui tentent de raconter la réalité de l’occupation israélienne. Cela révèle aussi l’impunité offerte quasi systématiquement à ceux qui cherchent à les faire taire.

En tant que journalistes, viscéralement attachés à la liberté d’informer, il est de notre devoir de dénoncer cette politique, de manifester notre solidarité avec nos collègues palestiniens et de réclamer, encore et toujours, le droit d’entrer dans Gaza. Si nous demandons cela, ce n’est pas parce que nous estimons que la couverture de Gaza est incomplète en l’absence de journalistes occidentaux. C’est pour relayer et protéger, par notre présence, nos confrères et consœurs palestiniens qui font preuve d’un courage inouï, en nous faisant parvenir les images et les témoignages de la tragédie incommensurable en cours à Gaza.

La Rédaction de cath.ch

Liste des signataires:
Principaux syndicats de journalistes (SNJ, SNJ-CGT et CFDT-Journalistes) ; Reporters sans frontières ; Prix Albert-Londres ; Fédération internationale des journalistes (FIJ) ; Fédération européenne des journalistes (FEJ) ; Reporters solidaires ; Commission journalistes de la SCAM ; Société des journalistes de l’AFP ; Société des journalistes d’Arrêt sur images ; Société des journalistes d’Arte ; Société des journalistes de BFMTV ; Société des journalistes de Blast ; Société des journalistes de Capital ; Société des journalistes de Challenges ; Rédaction du Courrier de l’Atlas ; Société des journalistes de Courrier International ; Société des journalistes du Figaro ; Société des journalistes de France 2 Rédaction nationale ; Société des journalistes de France 3 Rédaction nationale ; Société des journalistes de France 24 ; Société des journalistes de FranceInfo TV et franceinfo.fr ; Rédaction de Là bas si j’y suis ; Société des personnels de l’Humanité ; Société des journalistes de L’Informé ; Société des journalistes de Konbini ; Rédaction de La Croix ; Société des journalistes de LCI ; Société des journalistes et du personnel de Libération ; Société des journalistes de M6 ; Société des journalistes de Mediapart ; Société des rédacteurs du Monde ; Société des rédacteurs du Nouvel Observateur ; Rédaction de Orient XXI ; Société des journalistes du Parisien ; Société des journalistes de Politis ; Société des journalistes de Premières Lignes TV ; Société des journalistes de Radio France ; Société des journalistes de Radio France internationale ; Société des journalistes de RMC ; Rédaction de Saphirnews
Société des journalistes de Sept à huit ; Société des journalistes de Télérama
Société des journalistes de TF1 ; Société des rédacteurs de La Tribune
Société des journalistes de TV5 Monde ; Société des journalistes de L’Usine nouvelle ; Société des rédacteurs de La Vie ; Société des journalistes de 60 Millions de consommateurs ; Association des Journalistes antiracistes et racisé·e·s ; Associations des journalistes de l’environnement.

La Fédération internationale des journalistes travaille en étroite collaboration avec le Syndicat des journalistes palestiniens (PJS), l’un de ses affiliés, pour vérifier les informations en temps réel et documenter les meurtres. Elle nomme sur son site 157 journalistes et professionnels des médias palestiniens.

Manifestation à Paris, le 16 avril 2025, en hommage aux 200 journalistes tués à Gaza depuis le 7 octobre 2023 | © KEYSTONE/MAXPPP/Olivier Donnars / Le Pictorium
29 avril 2025 | 15:40
par Rédaction
Temps de lecture : env. 7  min.
Partagez!