Laudato si’: réparer une Maison commune pour l’homme et la nature
Alors que Laudato si’ va fêter ses dix ans, une journée d’études à Fribourg a approfondi des aspects essentiels de l’encyclique. Notamment sa dimension sociale, qui trouve sa pleine signification en relation avec d’autres textes du pape François.
«Une Singinoise m’avait dit qu’elle ne pensait pas pouvoir un jour aimer quelque chose venant de l’Église catholique», raconte Mgr Morerod. «Mais Laudato si’, c’est bien», lui avait-elle assuré. Par cette anecdote, l’évêque de Lausanne, Genève et Fribourg (LGF) a voulu démontrer à quel point l’encyclique a marqué au-delà du catholicisme. «Pour une fois, l’Église ne se parlait pas à elle-même», a-t-il relevé en introduction du colloque célébrant les dix ans du texte sur l’écologie intégrale.
Une encyclique aussi sociale
Une quarantaine de personnes se sont réunies, le 9 mai 2025, à l’Hôpital des bourgeois à Fribourg, à l’appel de la Plateforme Dignité & Développement pour cette journée d’études intitulée «Va, répare notre maison commune!». Une douzaine de spécialistes de diverses disciplines sont intervenus, lors de cette journée conclue par une table ronde.
La journée d’études «Va, répare notre maison commune» a été organisée par l’Institut interdisciplinaire d’éthique et des droits de l’homme et la Chaire de théologie morale de l’Université de Fribourg, sur une initiative de la Plateforme Dignité et Développement, avec le soutien de la Fondation Pro Universitate Friburgensi, d’Action de Carême, et de l’Association internationale pour l’Enseignement social chrétien (AIESC). RZ
Les organisateurs ont choisi de mettre l’accent sur la dimension sociale de l’encyclique. Car Laudato si’ va bien au-delà de la sauvegarde des plantes, des animaux et des océans. Comme le reflète son slogan phare Tout est lié, le texte voit la problématique de la destruction de l’environnement dans sa globalité. Le pape François associe pleinement à la sauvegarde de la création la justice sociale, la paix et l’épanouissement humain.
La relation au cœur
Pour le Père Pierre Coulange, professeur de morale sociale à l’Institut Notre-Dame de Vie, qui a engagé une réflexion systémique de l’encyclique, l’approche intégrale du pape François est «très cohérente», notamment avec la Doctrine sociale de l’Église. Elle repose également sur des fondements bibliques solides. Laudato si’ amène ainsi à une éthique écologique inséparable de la solidarité, de la fraternité et de la compassion. Elle appelle à une «conversion également intégrale», en tant que «guérison de la relation».

Une notion qui a été amenée plus loin par Elena Lasida. La docteure en économie et théologie à l’Institut catholique de Paris a souligné que, dans Laudato si’, la relation n’était ni un moyen ni une vertu, mais la vie elle-même. «Une conception qui, loin d’être banale, est au contraire une révolution.» L’encyclique décline trois principes qui entrent en résonance: «tout est lié», «tout est donné» et «tout est fragile».
Dans nos sociétés extrêmement fragmentées, l’autonomie est perçue comme une valeur majeure, alors que pour le pape François, cette autonomie a le sens «d’être interdépendants». Au-delà de la relation instrumentale et utilitaire, Laudato si’ crée un lien de gratuité et de réciprocité.
Face à une fragilité souvent vue comme négative, l’encyclique n’appelle pas à «réparer», ce qui paradoxalement signifierait un retour en arrière, mais à en profiter pour créer du nouveau.
Renoncer à la loi du plus fort
Les principes développés dans le texte de 2015 n’étaient pas secondaires, mais bien au centre de toute la pensée du pontife. La preuve en a été l’écriture d’un second document majeur: l’exhortation apostolique Laudate Deum, publiée en 2023. Guillermo Kerber, théologien genevois spécialiste de l’écologie, a rappelé que ce texte était une réaction à la montée du climatoscepticisme et à l’inertie de la communauté internationale face à l’urgence environnementale. Le document offre ainsi des clés pour une conversion écologique individuelle qui peut être pratiquée dans la vie quotidienne.

«L’intériorisation» du changement est primordiale dans la réflexion de François. Le dominicain Luc Thomas Somme a développé cet aspect concernant «la paix». Suivant l’idée phare du pape, la paix n’est jamais uniquement extérieure mais également intérieure.
Il a souligné le lien réalisé entre la guerre et la destruction de l’environnement. Laudato si’ met en avant l’existence de la racine commune d’une harmonie entre l’humain et la nature. L’altération de l’une se reporte immanquablement sur l’autre. Pour le professeur de théologie à l’Université de Fribourg, ce qui est en jeu est la renonciation à la loi du profit, à la loi du plus fort.
«Qu’est-ce qui est nécessaire?»
La question de la fraternité, au cœur de l’écologie intégrale, a aussi été scrutée lors du colloque. Un autre dominicain, Jacques-Benoît Rauscher, s’est plus spécifiquement penché sur «l’accueil de l’étranger» dans la pensée de Jorge Bergoglio. Un thème plus particulièrement développé dans l’encyclique Fratelli tutti (2020). Le religieux a constaté que François était davantage «normatif» dans ce texte que dans des précédents tels qu’Amoris laetitia (2016) ou Laudato si’, où il distingue avec plus d’insistance entre pratiques et idéaux.
«La fraternité doit-elle s’étendre à toutes les créatures?»
Ainsi, dans un contexte d’accueil de l’étranger, se posent d’épineuses questions éthiques et politiques. «Quels sont les ‘besoins’ des individus? S’agit-il juste du vital, de conditions de vie digne, de l’éducation…?» Cette question de ce qui peut être «nécessaire» à l’individu se retrouve ainsi de manière transversale dans de nombreux textes de François.
La fraternité, un épineux principe
La notion de fraternité est en elle-même complexe. Que veut-elle dire, jusqu’où peut-elle aller? Le professeur à l’Institut catholique de Paris François Nollé l’a explorée en prenant appui sur la polémique provoquée par J.D. Vance. Le vice-président américain a tenté de justifier la politique migratoire américaine en évoquant l’ordo amoris développé par saint Augustin et Thomas d’Aquin. Selon ce principe, il serait légitime de privilégier d’abord les personnes qui sont les plus proches de nous. Le pape François, renvoyant à la parabole du Bon Samaritain, lui avait répondu que l’on ne pouvait pas concevoir la charité chrétienne selon de tels «cercles concentriques».
François Nollé constate ainsi la tension existant entre fraternité «universelle» et «particulière». Celle-ci doit-elle par exemple, comme le suggère Laudato si’, s’étendre à «toutes les créatures»? Le théologien remarque que des différences dans l’amour porté aux divers êtres vivants sont inévitables. Cette fraternité universelle se retrouve également relativisée dans la Bible.
François Nollé met ainsi en avant les apparentes incohérences qui peuvent ressortir des textes du pape François sur cet aspect alors que le défunt pontife s’est maintes fois élevé contre un certain universalisme, notamment sur le plan de la culture. Une lecture qui, pour le professeur de théologie, doit être faite à la lumière d’un des plus célèbres phrases de Thomas d’Aquin, selon laquelle «la grâce ne vient pas supprimer la nature mais la compléter». (cath.ch/rz)