Cette Bible n'est pas là pour nous pourrir la vie mais pour nous aider à avancer | © Raphaël Zbinden
Suisse

Lytta Basset: «La Bible, c'est vraiment Shalom»

La Bible contient de nombreux passages incompréhensibles ou révoltants qui rebutent beaucoup d’entre nous. Dans son dernier ouvrage, Paroles de feu (Ed. Albin Michel), la philosophe et théologienne Lytta Basset les décrypte pour en révéler le potentiel libérateur et thérapeutique.

Matthias Wirz / Adaptation: Carole Pirker

Auteure prolifique (voir encadré), la théologienne franco-suisse a cette fois choisi de se confronter aux passages difficiles et rebutants des Ecritures. Et ses alliés sont de taille pour les décrypter: son savoir d’exégète, un accès aux textes dans leur langue originelle, et sa longue expérience en accompagnement spirituel.

En déconstruisant les traductions fautives, les interprétations moralisantes ou dogmatiques, la théologienne transforme ces pierres d’achoppement en paroles à la fois éclairantes et bienfaisantes. Un chemin vers une guérison intérieure, pour une paix et un épanouissement tant personnel que collectif.

Vous avez opté pour un choix de lecture bien précis en vous confrontant aux passages difficiles de la Bible…
Lytta Basset: mon parti pris, depuis longtemps, est que cette Bible n’est pas là pour nous pourrir la vie mais pour nous aider à avancer, à guérir et à nous libérer. C’est pour cette raison que je parle souvent de la force thérapeutique des textes bibliques. Quand j’aborde un texte biblique qui est difficile et que je trouve insupportable ou incompréhensible, je me dis que ce texte biblique a quelque chose à me dire, mais c’est à moi de creuser. Il est quand même là pour me faire du bien, à moi comme à d’autres. C’est tout l’intérêt de ce parti pris. 

«Cette Bible n’est pas là pour nous pourrir la vie mais pour nous aider à avancer, à guérir.»

Mais n’est-ce pas finalement une lecture utilitariste du texte biblique?
Utilitariste… Dieu ne se limite pas à parler à travers la Bible. Mais en ce qui me concerne, c’est un canal particulièrement privilégié pour entendre cette voix divine. Elle me pousse à aller plus loin que mes enfermements.

Vous écrivez d’ailleurs que finalement, les personnes les plus réceptives à la Bible sont celles qui n’ont aucune culture chrétienne. Comme si une soif demeurait pour cette parole, même si les églises se vident…
C’est même fascinant, parce que souvent, les personnes les plus réceptives sont les moins encombrées par des catéchismes, des formatages dogmatiques traditionnels. Elles viennent avec une certaine fraîcheur. Je le dis souvent, essayons d’oublier et de mettre de côté tout ce qu’on nous a dit sur un texte comme la parabole du fils prodigue, par exemple, et essayons d’écouter le texte le plus près possible du grec ou de l’hébreu, avec des oreilles neuves, comme si c’était la première fois qu’on l’entendait. Cela produit des choses assez fascinantes. 

«Les personnes les plus réceptives sont les moins encombrées par des catéchismes, des formatages dogmatiques traditionnels.»

Quel rôle ont selon vous joué les dogmes?
Un rôle très dommageable, car le dogme, qui était enseigné dans les catéchismes et inculqué à longueur d’année aux fidèles, c’est ce qu’il fallait croire. Et si d’aventure on entendait autre chose dans le texte biblique, c’était faux, car L’Église l’avait décidé ainsi. On a comme stérilisé, chloroformé la parole divine, alors que celle-ci est vivante et ne cesse de parler autrement à chacune et chacun. Je pense que cela a beaucoup nui à la portée thérapeutique et libératrice des textes bibliques.

En même temps, on projette parfois sur Dieu une image très vengeresse ou punitive…
Beaucoup de textes donnent l’impression d’un Dieu vengeur. L’Église ne l’a pas inventé, mais elle a beaucoup contribué à n’inculquer que cet aspect-là, car bien des textes bibliques disent autre chose de Dieu. Mais comme la Bible a été écrite par des hommes, il y a comme un combat perpétuel entre ces deux visions du Divin. Or selon l’expérience et la perception que j’ai de Jésus, il ne parlait que du Père céleste, cette source inépuisable d’accueil inconditionnel, infiniment aimant. Pourtant, dans le Nouveau Testament, on retrouve toujours cette tentation de laisser entrer le Dieu vengeur, le Père Fouettard.

«L’apaisement, la libération et le bien que Dieu nous fait à travers le texte biblique se jouent dans notre grande profondeur.»

Vous nous invitez donc à revenir au texte pour en faire une lecture intime.
C’est cela. En fait, la question se résout dans le jardin secret de tout un chacun, parce que cette parole s’adresse à chacun d’entre nous dans son intériorité la plus sacrée. Je suis la seule à pouvoir travailler sur les images mortifères de Dieu. Je les trimballe peut-être depuis ma jeunesse, depuis une éducation mortifère sur le plan spirituel. Comme disait Jésus, «Que celui qui a des oreilles pour entendre entende». Ce qui signifie qu’il n’y a pas une vérité objective pour tout le monde. Donner tous les arguments qui plaident en faveur d’un Dieu infiniment aimant n’y fera rien, si je ne m’approprie pas et si je ne travaille pas cette vision au plus intime de moi. L’apaisement, la libération et le bien que Dieu nous fait à travers le texte biblique se jouent dans notre grande profondeur.

La Bible nous guérit dans certains cas. Est-ce cela que la tradition appelle le salut?
Le salut est un terme très connoté. On y associe la damnation et toutes les représentations du paradis et de l’enfer. Dans son sens originel, «sauteria» en grec, le mot renvoie à Shalom, qui ne signifie pas seulement l’apaisement ou la guérison profonde. Il désigne tout ce qu’on peut rêver d’apaisement des relations entre les humains, de libération de la parole au niveau des sociétés, d’épanouissement dans nos vies relationnelles et de joie dans notre relation à Dieu et au vivant. «Shalom» veut même dire la réussite matérielle et la santé. Qui ne rêverait pas de «Shalom»  sur la terre?  C’est parce qu’il produit du fruit au niveau tant personnel que communautaire que ce travail intérieur est si nécessaire.

Découvrez l’entretien complet dans l’émission radio Babel,
le 8 juin à 11h, sur RTS Espace 2

Mais la Bible parle aussi de la parole comme d’un glaive à double tranchant qui nous pénètre et nous fait peut-être du mal. La lire de cette manière, ce n’est donc pas juste une méthode Coué.
Tout-à-fait. Les textes bibliques ne sont pas du tout des textes bisounours. Ils peuvent être extrêmement forts. Vous parlez de l’épée à double tranchant. La parole de Jésus qui est centrale, selon moi, mais qu’on passe la plupart du temps sous silence, c’est : «Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre; je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée», et il poursuit:  «Le fils se différenciera de son père, la fille de sa mère, la belle-fille de sa belle-mère.»  Il dit qu’il est venu pour ‘défusionner’ ce qui était fusionné et qui était éminemment mortifère, parce qu’on ne peut pas vivre toute sa vie collée à un autre être humain, aussi proche soit-il. La Bible contient un appel récurrent à nous ‘défusionner’. Or ce processus de différenciation peut être très douloureux. Mais quand il est bien vécu, chacun peut suivre son propre chemin et accomplir ce pourquoi il ou elle est venu.e sur terre. Ce parti pris m’apporte donc un plus de vie. 

Paroles de feu, de Lytta Basset, Ed. Albin Michel, mars 2025, 250 p

Une théologienne et autrice prolifique
Conférencière, philosophe et théologienne protestante franco-suisse, Lytta Basset a réussi à élargir le public traditionnel de la théologie chrétienne avec des essais pourtant exigeants comme Le Pouvoir de pardonnerGuérir du malheurMoi je ne juge personne ou La Joie imprenable. En 2007, son témoignage sur le suicide de son fils, Ce lien qui ne meurt jamais, devenu best-seller, a marqué le public. Ses derniers ouvrages sont Oser la bienveillance (2014), La Source que je cherche (2017), Faire face à la perversion (2019) et Cet Au-delà qui nous fait signe (2022).CP

Cette Bible n'est pas là pour nous pourrir la vie mais pour nous aider à avancer | © Raphaël Zbinden
6 juin 2025 | 08:32
par Rédaction
Temps de lecture : env. 5  min.
Bible (170), Lytta Basset (4), Philosophie (33)
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