

La Doctrine sociale chrétienne et l’esprit du temps
Il existe de grandes différences entre l’esprit du temps, que les papes successifs ont appelé l’esprit du monde, et la doctrine sociale chrétienne. Elena Lasida, professeur à l’Institut catholique de Paris, les a soulignées récemment lors d’une conférence à Fribourg à l’occasion du 10e anniversaire de l’encyclique Laudato Si’.
Quelles sont ces différences? J’en relèverai ici trois, particulièrement significatives dans le contexte de nos vies en ce début du XXIe siècle. La première est la conception de la personne comme un être social, comme un être de relation. L’esprit du temps, à l’opposé, est fondamentalement individualiste. Il met l’accent sur des individus isolés qui se suffiraient à eux-mêmes. L’analyse économique a profondément influencé le monde à ce niveau. Le modèle d’un homo economicus rationnel, qui prendrait ses décisions seul indépendamment de son environnement, domine la pensée contemporaine. Le président Trump a transposé cette idée au niveau de la nation. Les USA pourraient vivre seuls au monde sans avoir besoin des autres pays.
Cette vision est profondément contraire à la réalité et à la vérité chrétienne. Nous sommes des êtres sociaux. À moins de vivre en ermite, nous avons quotidiennement besoin des autres que ce soit dans les domaines de la culture, de la santé, de l’information ou de la mobilité. Les pays ont créé des services publics pour répondre à cette nécessité des relations. Le Bien commun, même s’il est malmené aujourd’hui dans nos pays, ne peut être ignoré.
«Tout n’est pas monnayable. Cela serait la négation de la charité»
Pour renforcer l’individualisme, la société met en avant la notion d’autonomie, faisant de ce principe le nec plus ultra de la vie sociale. Cette autonomie est une donnée essentielle de la psychologie mais elle ne constitue pas le tout de la personne. On oublie que les enfants ne peuvent être autonomes pas plus que les personnes très âgées. Ce faisant, nous avons minoré l’amitié et les relations familiales non utilitaires pourtant nécessaires à la vie adulte.
La seconde différence est l’accent mis sur le don et la gratuité par la doctrine sociale de l’Église. La vie est donnée, la création est donnée et nous les recevons gratuitement. Dans la vie sociale les opérations d’échange et de partage sont nécessaires. Mais il y faut aussi une part de don. Que serait la vie de famille sans le don? Que serait la vie de l’Église sans le don? Celui-ci a mauvaise presse car les femmes, principales donatrices, ont souvent été exploitées pour cette raison dans les familles et dans l’Église. Il faut corriger ces exploitations par un partage des tâches et des responsabilités entre hommes et femmes. Et il faut correctement rétribuer ces tâches quand elles sont l’objet d’une transaction financière. Mais la vie sociale et l’entretien de la nature ne peuvent se passer de la gratuité. Tout n’est pas monnayable. Cela serait la négation de la charité.
«La vulnérabilité nous aide à approcher l’amour de Dieu pour nous et pour le monde»
Une troisième différence tient à la notion de vulnérabilité. La croissance économique a multiplié les richesses depuis la Deuxième guerre mondiale. C’en est au point que nous avons perdu le sens de la valeur des choses. Les rabais et les plateformes de vente nous permettent de nous procurer des objets à bas prix. Nous omettons le coût des transports et leur impact écologique pour la planète. Nous oublions la fragilité de notre terre, notre maison commune. Cette accumulation de biens nous fait oublier que nous sommes toutes et tous vulnérables. Elle nous pousse à marginaliser les personnes qui le sont davantage: les malades, les personnes handicapées et les personnes très âgées. La vulnérabilité doit être prise en compte aussi dans la gestion de nos finances publiques.
La doctrine sociale chrétienne a intégré cette notion dans sa vision de la personne et du monde naturel. Plus que nos richesses, ce sont nos manques et nos vulnérabilités qui nous poussent à agir en relation avec les autres. C’est cette vulnérabilité qui nous aide à approcher l’amour de Dieu pour nous et pour le monde. Les personnes qui ont traversé de gros soucis de santé ou des drames familiaux nous l’ont souvent témoigné.
Jean-Jacques Friboulet
11 juin 2025
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