Jean Paul II sur le terrain religieux, Ilia II sur le terrain politique

Tbilissi: Rencontre du pape et du patriarche orthodoxe de Géorgie

De notre envoyée spéciale Caroline Boüan

Tbilissi, 9 novembre 1999 (APIC) Si l’accueil réservé à Jean-Paul II dans l’après-midi du 8 novembre à la résidence patriarcale de la capitale géorgienne était chaleureux et détendu, le discours officiel du patriarche orthodoxe Ilia II, comme les commentaires de son entourage, soulignait combien la visite du pape était perçue comme «un événement politique» plutôt que comme une rencontre religieuse. Le pape et le patriarche ont lancé un appel urgent pour la paix dans le Caucase.

En s’adressant à Jean-Paul II, Ilia II a en effet surtout mis l’accent sur les difficultés de la Géorgie. En présence de plusieurs évêques orthodoxes, de diplomates et quelques personnalités, parmi lesquelles des membres de la famille royale de l’ancienne monarchie géorgienne, le patriarche a évoqué ainsi les 70 années de domination soviétique subies par son pays, ses conditions économiques très difficiles, la question de son intégrité territoriale, et les conflits du Caucase provoquant de nombreux mouvements de réfugiés notamment d’Abkhasie. Ilia II a ainsi invité Jean-Paul II à «comprendre les problèmes de la Géorgie», tout en soulignant que le Président Edouard Chevarnadze et lui-même font «de leur mieux» pour répondre à ces nécessités. «Mais les forces internationales doivent s’engager davantage pour aider notre pays», a insisté le Patriarche. «Je ne peux pas ne pas mentionner votre contribution personnelle dans le processus qui a fait tomber le système qui rejetait Dieu dans l’ancienne République soviétique», a-t-il déclaré à Jean-Paul II. «Je compte aujourd’hui encore sur votre soutien en faveur de la Géorgie, et je souhaite que les relations entre nos pays s’approfondissent».

Jean Paul II appelle à surmonter les divisions religieuses

C’est sur les relations «entre nos Eglises» que Jean-Paul II a de son côté centré son discours, en insistant sur l’importance du «défi» de l’unité des chrétiens. «J’espère ardemment et je prie chaque jour pour que la collaboration entre nos Eglises grandisse à tout niveau, comme expression éloquente et nécessaire du témoignage de l’Evangile auquel nous sommes tous appelés, orthodoxes et catholiques» a affirmé le pape. «Je désire vous assurer du respect et de l’admiration que l’Eglise catholique nourrit pour l’Eglise géorgienne.[…] Le Jubilé nous appelle à reconnaître dans un esprit de contrition les divisions surgies entre nous au cours de ce millénaire. […] Que cette rencontre et le baiser de paix que nous échangerons puissent être un pas vers une fraternité renouvelée entre nous».

Le pape a ensuite mis l’accent sur le travail théologique accompli par la Commission mixte internationale qui réunit depuis le Concile Vatican II des théologiens orthodoxes et catholiques pour étudier les questions sur lesquelles les deux confessions ont des conceptions différentes. «Depuis l’institution de cette commission j’ai suivi de près les progrès du dialogue qui revêt une très grande importance pour la cause de l’unité des chrétiens», a-t-il affirmé. «Je compte sur les documents de ce dialogue pour servir de base à une clarification de nos relations, et pour éviter des incompréhensions là où catholiques et orthodoxes vivent les uns à côté des autres». «Le travail doit se poursuivre», a encore affirmé le pape. «Chaque obstacle qui se présente sur le chemin peut être patiemment surmonté dans un esprit de fraternité et d’amour sincère de la vérité».

«Orthodoxes et catholiques ne peuvent pas prier ensemble»

Dans le même temps, le représentant du Patriarcat orthodoxe auprès du Parlement géorgien, le Père Georgi Andriadre, affirmait à I.Media que cette visite du pape était «une démarche politique sans signification religieuse». «Les orthodoxes et les catholiques ne professent pas la même foi et ne peuvent donc pas prier ensemble», insistait-il. Pour le Père Andriadre, l’exemple du patriarche roumain qui a participé à la messe célébrée par Jean-Paul II lors de la visite du pape à Bucarest en mai 1999 «n’est pas à imiter», et a mis en évidence le caractère «peu strict» de l’Eglise orthodoxe roumaine, la distinguant en cela de celles de Russie et de Grèce. «L’Eglise catholique doit renoncer aux dogmes non orthodoxes qu’elle a proclamés, si elle veut effectivement l’unité des chrétiens dans la vérité», ajoutait le Père Georgi Andriadre. «Nous sommes heureux d’accueillir le pape chez nous, et nous avons des relations amicales avec les catholiques, mais nos différences dogmatiques et théologiques subsistent».

Visite à la cathédrale patriarcale

Après leur échange de discours, Jean-Paul II et Ilia II devaient se retrouver en privé pour un court entretien avant de monter dans la même voiture pour parcourir les quelque 25 kilomètres qui les séparaient de la cathédrale patriarcale de Mtskheta, construite au XIème siècle dans l’ancienne capitale de la Géorgie, et ornée de fresques byzantines. Le patriarche et le pape – revêtu d’une large écharpe blanche pour le protéger du froid et de la pluie – ont été accueillis par plusieurs centaines de personnes – tant des catholiques que des orthodoxes – qui les ont immédiatement entourés de tous côtés, empêchant toute procession solennelle dans l’allée centrale de l’édifice, et encombrant jusqu’aux fauteuils prévus pour Jean-Paul II et les cardinaux qui l’accompagnaient, devant l’iconostase propre aux églises orientales. Tandis que le pape et le patriarche prenaient de nouveau la parole, les fidèles circulaient librement dans les allées latérales faiblement éclairées de la cathédrale, allumant des cierges devant les icônes suspendues aux murs, ou s’asseyant sur les pierres tombales pour écouter les chants entonnés par un choeur orthodoxe.

«Les relations quotidiennes sont bonnes entre catholiques et orthodoxes chez nous, et pour ma part, j’ai de bons amis orthodoxes», assurait à I.Media un jeune garçon catholique, sur le point de rentrer au séminaire. «Le patriarche orthodoxe est un personnage politique qui est en relation étroite avec le président Chevardnadze», expliquait encore le futur séminariste. «Mais il est bienveillant envers nous, comme avec les membres des autres religions».

Si l’ensemble de la rencontre s’est donc déroulé dans un climat informel et chaleureux, Ilia II affirmant «accueillir cordialement» le pape dans la cathédrale mère de l’Eglise orthodoxe géorgienne, une déclaration circulait au même moment parmi les journalistes, selon laquelle le patriarcat de Géorgie déclarait que le droit canonique orthodoxe empêchait les chrétiens orthodoxes de participer à des services religieux d’autres confessions. Il n’était toutefois pas possible de contrôler avec certitude l’origine de ce communiqué, à la veille de la messe que Jean-Paul II devait célébrer le matin du 9 novembre dans le Palais des sports de Tbilissi.

Appel urgent pour résoudre les conflits dans le Caucase

Un communiqué officiel signé à la fois par le pape et le patriarche lançait «un appel urgent» aux gouvernements, aux organisations internationales, aux leaders religieux et à toutes les personnes de bonne volonté», demandant une «action décisive» pour résoudre les conflits en Abkhasie, Nagorn-Karabakh et au nord du Caucase. (apic/imed/mp)

9 novembre 1999 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 5  min.
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