L’Espace Maurice Zundel veut redynamiser son ouverture au quartier
À l’automne 2024, l’Espace Maurice Zundel de Lausanne a traversé une importante crise d’identité. Une nouvelle programmation sera lancée en septembre 2025. Reflète-t-elle une réorientation pastorale de la city church? Entretien avec Philippe Becquart, coordinateur du centre.
«Le projet initial n’a pas changé. Il s’agit de faire de l’Espace Maurice Zundel (EMZ) une sorte de city church inspirée par la figure de l’abbé Zundel et ancrée dans le quartier sous-gare de Lausanne. Les portes d’entrées pour y arriver vont par contre se diversifier.»
Adjoint du représentant de l’évêque pour la région diocésaine de Vaud, Philippe Becquart est devenu en février 2025 coordinateur des activités de l’EMZ et responsable de l’équipe d’animation. Il a aussitôt lancé un processus de discernement impliquant tous les partenaires du projet, salariés et bénévoles. L’objectif étant de conforter une vision pastorale commune et de proposer une nouvelle programmation pour l’automne 2025.
Après quatre mois de dialogue et de réflexion, le nouveau projet a été accepté le 28 mai 2025 par le Comité de pilotage de l’EMZ, puis présenté le 16 juin 2025 à l’équipe d’animation et aux nombreux bénévoles, actifs dans le lieu.
La nouvelle proposition pastorale de l’EMZ vient d’aboutir. Peut-on parler de réorientation?
Philippe Becquart: Je dirais plutôt que nous sommes dans une deuxième étape du projet. La première, qui a pris fin en octobre 2024, a consisté en une compréhension expérimentale initiale de la mission du lieu. Elle a été principalement axée sur l’écoute, le silence, l’intériorité et l’accompagnement spirituel. Les partenaires institutionnels de l’EMZ (voir encadré) ont jugé que cette vision ne rendait pas compte de tout le potentiel du lieu, en particulier de sa dimension d’ouverture au quartier inscrite dans le projet d’origine.
L’EMZ est en effet appelé à devenir «un tiers lieu» pastoral, une expression qui désigne des centres chrétiens qui ne sont ni des paroisses ni des aumôneries, mais qui s’adaptent à la réalité et aux besoins pastoraux spécifiques d’un quartier, d’une ville.
Votre nouveau projet se veut donc plus axé sur l’accueil?
Il faut surtout redéfinir ce que nous entendons par ‘accueil’. La nouvelle programmation renforcera une dimension de fraternité dans le Christ et de bienveillance sociale inspirée de Fratelli tutti, l’encyclique du pape François. Ce deuxième pan s’ajoutera à l’axe spirituel développé jusqu’alors, à son aspect ›oasis de ressourcement’. Il s’agit de trouver un équilibre entre ces deux voies, tout comme l’a fait Maurice Zundel dont nous fêtons cette année le cinquantième anniversaire de la mort.
50e anniversaire de la mort de l’abbé Zundel à l’EMZ
30-31 août: premières de la pièce de théâtre sur la vie de l’abbé Zundel, de/par Jean Winiger;
12 et 13 septembre: colloque universitaire à l’Université de Lausanne et l’EMZ, sur la pertinence aujourd’hui de la pensée de Maurice Zundel.
Ce théologien a mis en valeur l’intériorité, la relation intime à Dieu, par la prière et le silence. C’est le fameux «Dieu plus intime que l’intime de moi-même» de saint Augustin. Zundel a saisi le mystère de Dieu et l’a présenté d’une manière non conformiste. Cet aspect de sa pensée a inspiré la première phase de vie de l’EMZ. Mais Zundel a aussi développé un sens de la charité très concret. Homme discret et généreux, à l’écoute de chacun, il donnait tout ce qu’il avait, et parfois même un peu plus au point de ne plus pouvoir payer ses impôts! Il était tourné vers les pauvres et a vécu dans une grande sobriété.
En ce qui concerne le centre, la question s’est donc posée: voulions-nous nous concentrer sur un accueil de type «oasis spirituel» ou sur un accueil axé sur la fraternité dans un contexte social fragmenté et polarisé? Nous avons décidé de vivre les deux dimensions à la fois. Nous désirons devenir un lieu plus ouvert sur le quartier, que les gens qui passent aient envie de pousser notre porte. Nous nous sommes rendu compte que très peu de gens du quartier entraient chez nous. Nous sommes un peu coupés de sa réalité, de ses pendulaires, de ses familles, des personnes isolées…
«Nous désirons devenir un lieu plus ouvert sur le quartier, que les gens qui passent aient envie de pousser notre porte»
Concrètement, comment ce changement va-t-il se manifester?
Pour commencer, nous allons faire en sorte que nos portes soient le plus possible ouvertes et mieux communiquer, par exemple en plaçant devant les fenêtres un écran visible depuis la rue pour expliquer qui nous sommes. Il nous faut aussi végétaliser le rez-de-chaussée, rendre le lieu plus chaleureux.
Nous ne devons pas attendre que les gens viennent à nous, mais aller à leur rencontre. Nous avons déjà commencé à le faire. Par exemple, la paroisse du Sacré-Cœur a pu organiser une soupe de carême ouverte à tout le quartier. Un marché se tient devant l’espace deux fois par semaine, où nous allons au contact.
Un nouvel agent pastoral, Alain Toueg, a par ailleurs été engagé en même temps que moi. Il vient de la pastorale de rue. Et avec lui sont arrivés plusieurs nouveaux jeunes bénévoles qui élargissent notre réseau.
Que proposera votre nouvelle grille d’horaire 2025-2026?
Nous y travaillons encore. Ce qui est certain, c’est que les activités du centre seront divisées en des temps bien distincts, axés soit sur le silence, l’intériorité et l’écoute, soit sur l’accueil ou des activités plus conviviales et donc aussi plus bruyantes. Car l’expérience a montré qu’il n’est pas possible de concilier les deux en même temps dans le bâtiment. Il est très beau mais très mal insonorisé!
Une journée type commencera toujours par un temps de prière et de méditation. Le reste de la matinée pourra être réservé, selon les jours, aux activités ouvertes sur le quartier: un simple café partagé, l’accueil de personnes en situation de précarité, en lien avec la pastorale solidarités.

À midi, nous aurons une autre proposition spirituelle, puis l’après-midi ce sera le retour au silence, à l’intériorité, à l’accompagnement spirituel. Enfin, à partir de 19h, des activités diverses pourront avoir lieu, des prières de Taizé, par exemple, ou des lectures.
Nous désirons aussi développer le week-end les activités jeunesse. Une fois par mois, par exemple, la formation Théophilos, qui s’adresse aux jeunes, est dispensée à l’Espace Maurice Zundel. Nous renforcerons nos relations avec le département de la formation et développerons nos offres culturelles à travers des expositions ou des événements musicaux ouvrant à la dimension spirituelle.
Enfin, nous restons ouverts aux demandes d’autres institutions, pour accueillir par exemple la Caritas ou une association de quartier qui veut se réunir chez nous. La collaboration œcuménique, en particulier avec l’EERV, sera toujours privilégiée.
La palette est large. N’y a-t-il pas un risque de dispersion?
Peut-être. Mais gardons à l’esprit que la finalité de l’EMZ et son originalité, c’est de répondre aux différentes déclinaisons que recouvre aujourd’hui la vie spirituelle. La dimension, mise en avant jusque-là, de chercheur de sens va continuer à fédérer nos activités. Le défi, ce n’est pas tant d’avoir des projets que d’entrer en dialogue avec les femmes et les hommes tout autour de nous.
«La dimension, mise en avant jusque-là, de chercheur de sens va continuer à fédérer nos activités.»
La science, l’art, la connaissance, tout concourt à la découverte de la présence de Dieu en nous. Les canaux d’entrée à la vie intérieure sont nombreux. Cela peut se faire grâce à la richesse de la tradition chrétienne et/ou par des voies plus originales ou moins connues chez nous, comme dans la tradition zen ou le yoga. Tous ces éléments pourront s’exprimer et se compléter. Ce n’est pas antinomique.
L’EMZ se trouve dans un quartier populaire, avec des gens parfois en détresse financière et/ou psychique. Comment concilier votre désir d’ouverture et cette réalité?
C’est une des difficultés du projet. Il y a du passage ici, des requérants, des chômeurs, des personnes qui font la manche. Nous leur offrons un café, les écoutons, et puis leur proposons, s’ils le désirent, de se ressourcer dans la chapelle. Certains bénévoles savent bien gérer ces situations et nous aurons à renforcer notre savoir-faire.
Une autre difficulté du projet est qu’il a plusieurs acteurs (voir encadré), qui n’en ont peut-être pas la même compréhension. Cela peut-il changer?
C’est vrai, cette situation s’est révélée plus complexe à gérer qu’imaginée initialement, et la crise de confiance de l’an passé a eu des répercussions sur les positions des différents acteurs de l’EMZ. Les partenaires institutionnels souhaitent vraiment renforcer le dialogue et relancer le projet pastoral. C’est une sorte d’exercice synodal, un processus de discernement communautaire. J’ai donc pris le temps d’écouter et de discuter avec chaque bénévole engagé dans l’accueil, ainsi qu’avec les responsables des différents ateliers ou activités. Il ne s’agissait surtout pas de plaquer un nouveau programme dans lequel ils ne se reconnaîtraient pas.
Donc, pour répondre à votre question, oui, je pense que l’on peut arriver à une meilleure compréhension commune du projet pastoral entre tous les partenaires. On apprend un peu par tâtonnements, voire de nos erreurs, mais nous espérons que notre identité en recherche va petit à petit émerger à travers notre expérience de vie. (cath.ch/lb)
* Composition du Comité de pilotage: Michel Racloz, représentant de l’évêque pour la région diocésaine Vaud, président du comité ; Marie-Denise Schaller, présidente de la FEDEC ; abbé Marc Donzé, président de la Fondation Maurice Zundel ; Jean-François Nicod, président du Conseil de paroisse du Sacré-Cœur.
Un espace de vie pastorale
L’Espace Maurice Zundel se trouve en face de la gare de Lausanne. Cette city church ou église urbaine a vu le jour en avril 2023 sous l’impulsion de la paroisse catholique du Sacré-Cœur, désireuse de valoriser la chapelle de Mon-Gré ainsi que l’héritage de l’abbé Maurice Zundel qui y a longtemps vécu. Trois ans de travaux, financés par la paroisse, ont été nécessaires pour faire de cet espace à la fois un lieu de mémoire et un espace de vie pastorale.
Le bâtiment, aux larges baies vitrées, est disposé sur deux étages. Outre un espace de rencontre au rez-de-chaussée, il abrite au sous-sol une chapelle, des salles pour la méditation, des conférences ou d’autres activités, ainsi qu’une bibliothèque.
Les autres partenaires du projet sont la Fondation Maurice Zundel et l’Église catholique dans le canton de Vaud. La gestion pastorale et l’animation de l’EMZ sont placées sous la responsabilité de la représentation pastorale de la région diocésaine de Vaud, conjointement avec la fédération ecclésiastique du canton, soit la FEDEC. Une trentaine de bénévoles et des salariés se chargent de son animation. LB
