Les chrétiens d'Iran, une présence pluriséculaire trop souvent ignorée
La présence pluriséculaire des chrétiens en Iran est souvent ignorée, d’autant plus que le pays est fréquemment vilipendé en Occident. En vous promenant dans les ruelles pittoresques de la Nouvelle-Djolfa, dans la ville iranienne d’Ispahan, vous découvrirez plusieurs églises arméniennes, dont la célèbre cathédrale Vank (Vank signifie monastère en arménien), plus connue sous son nom de cathédrale Saint-Sauveur.
Le quartier arménien d’Ispahan est appelé la Nouvelle-Djolfa. La plupart des Arméniens d’Iran, les Parskahyes, sont en effet les descendants d’Arméniens de la région de Djolfa, au Nakhitchevan (dans l’actuel Azerbaïdjan, limitrophe de l’Arménie et du nord-ouest de l’Iran) déportés en 1604 par Shah Abbas Ier (1571-1629), cinquième shah safavide de l’Iran. Ces Arméniens déplacés de force loin de leurs lieux d’origine furent réinstallés à Ispahan, où le shah voulait profiter l’habileté de ces des artisans chrétiens, spécialisés dans le travail de la soie, des peaux et des métaux, pour embellir sa nouvelle capitale.
Un haut lieu culturel des Arméniens d’Iran
Le quartier de la Nouvelle-Djolfa, haut lieu culturel des Arméniens d’Iran, est situé sur la rive sud de la rivière Zayandeh Roud. A l’heure actuelle, il resterait entre 25’000 et 35’000 Arméniens en Iran, dont la majorité vit à Téhéran. D’autres sources avancent des chiffres bien supérieurs. Dans la capitale, contrairement à Ispahan, la communauté n’est pas centralisée dans un seul quartier et est donc moins visible, selon le média britannique Middle East Eye (MEE) basé à Londres.
Cependant, certaines sources parlent de 100’000 Arméniens installés à travers le pays, mais ces chiffres sont contestés. La révolution islamique a conduit au départ d’au moins 80 % des Arméniens d’Iran, selon MEE. Dans les «clubs» arméniens interdits aux musulmans, les femmes et les hommes se mélangent et personne ne porte le hijab. Les chrétiens sont également autorisés à fabriquer de l’alcool et à en consommer s’ils n’en vendent pas aux musulmans. Les restaurants de la communauté proposent même du porc importé d’Arménie. Enfin, alors que les Iraniens de confession musulmane sont séparés par sexe jusqu’à l’université, la mixité est autorisée dans les écoles arméniennes, note MEE.
L’appel à la paix du pape Léon XIV
Le journaliste Giuseppe Caffulli, du site terrasanta.net, dépendant de la Custodie franciscaine de Terre Sainte, s’est rendu récemment en Iran. Il y a rencontré la petite communauté chrétienne à l’heure où, vu d’Israël, l’Iran est «le pays à bombarder». La Custodie franciscaine de Terre Sainte par contre préfère tisser les ponts d’une prière commune et écouter les mots du pape Léon XIV: «Que la diplomatie fasse taire les armes ! Que les nations façonnent leur avenir par des œuvres de paix, non par la violence et les conflits sanglants !»
Sur une population de quelque 90 millions d’habitants, seules quelques centaines de milliers de personnes en Iran professent la foi chrétienne. La communauté arménienne est la plus ancienne et la plus nombreuse. Son centre est situé à Ispahan, au cœur de l’Iran, note Giuseppe Caffulli.
Nombreuses églises
On y trouve la cathédrale de Vank, dédiée au Saint-Sauveur, avec ses précieuses fresques. Il y a aussi l’église de Bedkhem (Bethléem), ornée de 72 tableaux représentant la vie du Christ. Et encore l’église Saint-Nicolas, qui abrite une relique de l’ancien évêque de Myre, l’église dédiée à saint Jean-Baptiste, celle dédiée à la Vierge. «Impossible de ne pas citer l’église consacrée à saint Grégoire l’Illuminateur, l’évangélisateur du peuple arménien ! »
Ce ne sont là que quelques-uns des lieux de culte chrétiens (plus d’une douzaine) du quartier arménien de la Nouvelle-Djolfa, à Ispahan. Beaucoup remontent à l’époque de la dynastie safavide, qui régna sur la Perse du XVIe au XVIIIe siècle. Ces églises reflètent une fusion unique entre l’architecture arménienne et l’art islamique perse.
La déportation du 17e siècle
Les Arméniens sont présents sur le territoire iranien depuis des millénaires, interagissant d’abord avec l’ancien empire perse, puis avec les souverains musulmans chiites. Mais c’est au début du XVIIe siècle que le chah Abbas Ier, lors des guerres entre la Perse et l’Empire ottoman, déporta plus de 300’000 Arméniens vers sa capitale, fondant en 1606 le quartier de la Nouvelle-Djolfa (Nor Jugha en arménien).
Reconnaissant leurs talents commerciaux et linguistiques, les shahs de Perse leur ont confié le monopole du commerce de la soie, principale ressource économique de la cour. En peu de temps, la Nouvelle-Djolfa est devenue une cité prospère, où chrétiens et musulmans vivaient en harmonie. Le quartier comptait plus de 24 églises, des écoles, des maisons élégantes, des orphelinats et des hospices.
En 1636, les Arméniens ont acheté une presse typographique. De nombreux ouvrages imprimés à cette époque sont encore conservés dans le beau musée adjacent à la cathédrale de Vank.

Peintures murales représentant des scènes évangéliques à l’intérieur de la cathédrale arménienne de Vank consacrée au Saint-Sauveur © Jacques Berset
Giuseppe Caffulli rappelle qu’alors que l’Iran – et la ville d’Ispahan elle-même – était visée en juin dernier par des attaques israéliennes qui ont fait de nombreuses victimes civiles, dont des femmes et des enfants, il vaut la peine de rappeler la présence, bien que moins nombreuse qu’autrefois, d’une communauté chrétienne ancienne.
Un Frère mineur conventuel belge, Mgr Dominique Joseph Mathieu
Contrairement aux affirmations du MEE, selon Giuseppe Caffulli, aujourd’hui, on compterait encore en Iran quelque 150’000 chrétiens arméniens (apostoliques, catholiques et évangéliques), 30’000 Assyriens, 24’000 catholiques chaldéens et latins, ainsi qu’une poignée de chrétiens orthodoxes.
Le pays compte six diocèses catholiques: quatre de rite chaldéen (relevant du patriarcat de Bagdad, en Irak), un diocèse arménien (à Ispahan), et un diocèse de rite latin, confié en 2021 à un Frère mineur conventuel belge, Mgr Dominique Joseph Mathieu. Ce dernier a été créé cardinal par le pape François lors du consistoire de décembre 2024, et il a participé au conclave de mai dernier, qui a abouti à l’élection du pape Léon XIV.
Un quartier historiquement chrétien et toujours effervescent
Certaines sources signalent aussi la présence d’une communauté clandestine, composée de convertis de l’islam, majoritairement rattachés à des Églises évangéliques ou pentecôtistes. Ces fidèles pratiquent leur foi principalement dans des cadres domestiques, afin d’échapper aux restrictions imposées par le régime. Lors de la Révolution iranienne et de la prise du pouvoir par les ayatollahs en 1979, de nombreux Arméniens ont quitté le pays pour refaire leur vie ailleurs.
Toutefois, les chrétiens apostoliques arméniens demeurent aujourd’hui encore la plus grande communauté non musulmane d’Iran. Ils continuent à professer leur foi et jouent un rôle actif dans la société, avec une représentation parlementaire.
Un quart d’entre eux vit dans la région d’Ispahan, dont environ huit mille dans le quartier historique de la Nouvelle-Djolfa. Environ trois mille chrétiens arméniens résident également à Shahin-Shahr, à quelque 30 kilomètres d’Ispahan.
Les rues du quartier, autrefois animées de vendeurs ambulants proposant toutes sortes de marchandises, sont aujourd’hui asphaltées et silencieuses. Les cafés traditionnels ont laissé place à des établissements modernes et des restaurants (où l’on sert aussi du vin).
Malgré les transformations imposées par la modernité, la Nouvelle-Djolfa reste une communauté fascinante, toujours en effervescence, note le journaliste Giuseppe Caffulli. Autrefois exclusivement arménien, le quartier attire désormais aussi des musulmans, bien que beaucoup de ses anciens habitants se soient installés à Téhéran ou aient émigré à l’étranger.
Chrétiens, juifs et zoroastriens officiellement reconnus comme «minorités religieuses»
En Iran, les chrétiens, les juifs et les zoroastriens furent officiellement reconnus comme des «minorités religieuses» dans la Constitution de 1906. En 1928, il leur fut accordée une représentation parlementaire. En 1943, ils obtinrent également une autonomie en matière de droit civil concernant la famille: mariages, divorces, testaments et adoptions.
La République islamique a confirmé ces prérogatives, mais dans le respect des lois islamiques: contrôle des programmes scolaires, interdiction de consommer de l’alcool en public et de jouer à des jeux de hasard. En outre, les femmes doivent se couvrir les cheveux et renoncer aux cosmétiques (également en public).
La majorité des chrétiens arméniens d’Iran appartient à des associations caritatives, culturelles et sportives, essentielles pour transmettre l’esprit chrétien et la culture arménienne. Sur les plus de 24 écoles arméniennes qui éduquaient autrefois les enfants de la communauté, seule la moitié d’entre elles ont aujourd’hui un directeur arménien. Les autres sont dirigées par des musulmans, signe de l’ingérence de l’État dans l’éducation, relève le journaliste de la revue «Terrasanta». Et de noter que dans la République islamique d’Iran, en particulier en dehors de contextes comme celui de de la Nouvelle-Djolfa, il n’est pas simple pour les chrétiens (arméniens ou non) de préserver leur identité dans une société profondément marquée par l’islam. (cath.ch/mee/terrasanta/be)