Entre pentecôtisme et théologie de la libération

Louvain: Comment la religion se recompose en Amérique latine

Louvain-la-Neuve, 19 octobre 1999 (APIC) Les Eglises en Amérique latine tendent aujourd’hui à se développer dans deux directions opposées. Les mouvements pentecôtistes ou charismatiques ont le vent en poupe mais la théologie de la libération reste bien vivante. Tel est le principal constat des quelque 60 participants à une table ronde internationale tenue à Louvain-la-Neuve le 7 octobre sur le thème de la «recomposition du religieux» dans les sociétés d’Amérique latine.

Cette rencontre, à laquelle étaient associés plusieurs départements de l’UCL, était due à l’initiative du Groupe de recherche interdisciplinaire sur l’Amérique latine, de l’Unité d’Histoire contemporaine et du Centre Vincent Lebbe, attaché à la Faculté de Théologie de l’UCL.

Un Brésil en pleine évolution

Pour le Brésil, Oscar Beozzo, professeur à l’Université pontificale de Sao Paulo, a relevé des évolutions profondes. En cinquante ans, la population a quadruplé et le nombre des personnes implantées en ville est passé de 8 à 135 millions: soit 17 fois plus. Alors que l’Eglise catholique avait construit son influence en s’appuyant sur les campagnes, les enjeux majeurs de société se trouvent actuellement en ville. Dans le même temps, la télévision a envahi les familles: plus de 90% des foyers en sont équipés, la regardent plusieurs heures par jour et subissent ainsi l’influence d’une pluralité culturelle et religieuse très éloignée de l’homogénéité des modèles qu’ils ont connus jadis.

Les ruraux qui arrivent en ville passent d’ailleurs facilement à une autre religion que celle que leur famille a toujours pratiquée. Le mouvement «pentecôtiste», qui prétend renouer avec «l’effusion de l’Esprit» comme à la première Pentecôte, en est déjà à sa troisième vague. Il est à présent doté d’une chaîne de télévision. «Le pentecôtisme s’appuie sur trois piliers, commente Oscar Beozzo: la théologie de la prospérité, la pratique des guérisons et celle des exorcismes» Le mouvement pentecôtiste a largement fait son entrée dans les Eglises protestantes anciennes, tant chez les luthériens que chez les méthodistes. Dans le monde catholique, le mouvement charismatique s’en rapproche. Les laïcs y jouent un rôle réel, mais très en retrait des problèmes socio-politiques, note au passage Beozzo.

Dans le même temps, l’Eglise catholique connaît un développement du réseau des communautés de base, même si l’on en parle peu. On y pratique une lecture populaire de la Bible et les célébrations apparaissent comme très enracinées dans la vie. D’importantes initiatives publiques ont aussi été prises où s’exprime un lien entre la vie des gens et la foi chrétienne. Oscar Beozzo cite les grandes manifestations organisées en plusieurs endroits pour faire entendre les «Cris des exclus». Une de ces manifestations a rassemblé, le5 septembre dernier, 100’000 personnes au sanctuaire d’Aparecida. Des initiatives œcuméniques sont également prises dans ce sens: un Carême de Partage est organisé avec les Eglises protestantes qui font partie du conseil national des Eglises chrétiennes au Brésil.

Du Venezuela au Pérou, des modèles typiques

Le Brésil exerce une influence notable sur ses voisins. Cela se vérifie sur le plan religieux au Venezuela, pays à majorité catholique et comptant 20% de protestants. Rafael Avila, professeur à l’Université de Zulia, relève notamment le développement de l’Eglise pentecôtiste et des religions afro-américaines (venues aussi de Cuba et d’Haïti). Mais il note la présence de la théologie de la libération.

Au Pérou, 89% des gens se déclaraient catholiques en 1993, 7% se disaient protestants évangéliques et 4% agnostiques. Docteur en sociologie de la religion, Imelda Vega-Centeno distingue cependant deux grands modèles dans le catholicisme: l’un, plus axé sur les rites de passages; l’autre, plus autonome par rapport aux insistances pastorales et plus ancré dans la culture des classes populaires, davantage attachées, par exemple, aux fêtes patronales…

Dans l’histoire récente de l’Eglise catholique, la sociologue péruvienne distingue trois périodes. Après les efforts de l’Eglise pour concrétiser les orientations du concile Vatican II (1962-1965) avec notamment une option marquée en faveur des pauvres dès l’assemblée de l’épiscopat latino-américain à Medellin en 1968, on assisté vers 1977-1978, dit-elle, à des nominations d’évêques conservateurs et donc à une «recomposition de l’épiscopat». Actuellement, plusieurs formes du catholicisme coexistent: le mouvement charismatique paraît avoir le vent en poupe tandis que se développe la militance de catholiques ultra-conservateurs, mais la théologie de la libération reste vivante.

Chez les protestants évangéliques, le champ religieux se diversifie également, ajoute Imelda Vega-Centeno: les uns nient plutôt les réalités sociales et attendent la fin des temps; d’autres luttent aux côtés des plus pauvres et s’engagent dans la défense des droits humains. Sur le plan politique, les évangéliques défendent trois positions divergentes. Les uns voudraient générer un parti politique pour prendre le pouvoir et conduire la société au Christ. D’autres rêvent d’un modèle construit d’après une image qu’ils se font de la Corée où de nombreuses conversions dans l’Eglise méthodiste ont stimulé la prospérité; ils sont prêts à promouvoir un prosélytisme pur et dur en vue de conquérir la majorité. D’autres encore, mais moins nombreux, ont choisi de militer dans des groupes pour la défense des plus pauvres.

Colombie: entre religion d’hier et démocratie de demain

En Colombie, la religion a évolué vers des formes plurielles, constate à son tour Ana Maria Bidegain, historienne et professeur à l’Université des Andes à Bogota. L’influence des acteurs religieux classiques reste importante, dit-elle, mais un certain nombre de chrétiens sont convaincus qu’ils ont «une responsabilité sociale pour montrer qu’il faut trouver un nouveau chemin pour la société».

Ce nouveau chemin, Ana Maria Bidegain le fait voir par contraste avec la situation d’aujourd’hui, où «le peuple n’a pas la parole» mais est obligé d’entendre un «message de désespoir» qui est diffusé «pour lui faire croire à la nécessité d’une intervention armée». Ce nouveau chemin doit tourner résolument le dos à la voie de l’impunité, si courante en Amérique latine. Aussi Ana Maria Bidegain insiste-t-elle sur la collaboration des historiens, des avocats et des juristes pour un travail de mémoire et d’écriture de l’histoire, «certes avec un souci d’excellence académique, mais aussi en vue de son utilité pour la justice». (apic/cip/tg)

19 octobre 1999 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 4  min.
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