Lully, dans la commune de Bernex | © Wikimedia / Alexey M. / CC 4.0
Dossier

Lully et le trésor oublié de son église

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Nul n’entend résonner de sous la terre, les soirs de pleine lune ou de lune noire, ni même de la St-Jean, les cloches de l’ancienne église de Lully. Et pourtant, certains habitants de ce village genevois en restent persuadés: leur sous-sol abrite un «trésor» cultuel enfoui par leurs aïeux en 1536.

Les Bernois n’auront pas fait long feu à Genève. Mais l’annonce de leur arrivée a suffisamment fait paniquer les paroissiens de Lully pour que ceux-ci se décident à enterrer les «trésors» de leur église dédiée à Jean Baptiste.

Village agricole et viticole de la commune de Bernex, Lully abrite 1800 habitants environ. D’ici 2028, 500 nouvelles âmes le gagneront, dans le cadre du Plan localisé de quartier Chambert-Lully. Combien de ces nouveaux résidents entendront-ils parler du trésor enfoui de Lully?

Cette histoire a été transmise par Jean-Claude Mayor (1925-1996), alors journaliste à la Tribune de Genève, grand amateur et curieux d’histoires locales, qu’il a rapportées dans ses Contes et légendes de Genève (éd. Slatkine 1991).

La peur des Réformés et des Bernois

Nous sommes en 1536. La ville de Genève est déjà acquise à la Réforme. Quelques mois auparavant, le 1er octobre 1535, la population a chassé celui qui sera le dernier évêque de la cité, Pierre de La Baume. Mais dans ses alentours, à la campagne, les catholiques continuent à faire entendre leurs voix. Désireux de se débarrasser du duché de Savoie, qui quoique affaibli reste une menace, Genève, alliée des Confédérés, renouvelle son alliance avec Berne.

Chez les paroissiens du hameau de Lully – au nom dérivé d’un domaine gallo-romain Lulliacum – c’est l’affolement. Ils ont entendu parler de la façon dont les troupes bernoises ont conquis les terres vaudoises et craignent pillages et destructions.

Un village sous le sceau de Jean Baptiste

Sur leur coteau, au-dessus de l’Aire, se tient une ancienne église sarde consacrée à Saint-Jean-Baptiste (aujourd’hui disparue), et les fidèles sont bien décidés à protéger les objets de culte qui s’y trouvent. Leur attachement au catholicisme est en effet solide.

Les archives historiques – notamment une mention ›Prior de Lullier’ vers 1344 – indiquent que la vie du village a été organisée au Moyen-Âge autour d’une communauté religieuse. Des bénédictins, précise un article du dictionnaire historique de la Suisse. Le prieuré aurait dépendu de l’abbaye de Savigny (près de Lyon), par l’intermédiaire du monastère de Talloires (Savoie). L’église paroissiale dédiée à saint Jean-Baptiste est d’ailleurs mentionnée en 1145 dans une bulle d’Eugène III confirmant les biens du monastère de Talloires.

Des cloches, un calice et des burettes

Nos villageois de Lully, une petite trentaine probablement à l’époque des faits, décrochent alors les cloches de leur église, pour les enfouir à 15 mètres de profondeur, dans une grande fosse éloignée du bâtiment religieux. Un calice d’or ainsi que des burettes en argent les rejoignent.

Une génération succède à l’autre, et quand les Bernois s’éloignent, le souvenir du lieu exact où est enterré le trésor cultuel s’est déjà estompé. Malgré des séries de fouilles, il n’a jamais été retrouvé.

Un prêtre sourcier à la rescousse

Jean-Claude Mayor rapporte qu’en 1925 les paroissiens de Lully firent appel pour ce faire aux services de l’abbé Alexis Mermet, sourcier à ses heures. Plus précisément, c’est l’ancien curé de Bernex, Charles Guilland, qui lui demandera de retrouver les chères cloches.

Fils et petit-fils de sourciers réputés en Savoie, Alexis Mermet fut initié tout jeune à l’art de la sourcellerie. Il est ordonné prêtre à Annecy, le 6 juillet 1890, puis gagne la Suisse. Il semble qu’il faisait bénéficier ses paroissiens des revenus que lui procuraient ses activités de maître-radiesthésiste.*

Voilà donc le Père Mermet balançant son pendule à Lully, qui confirme la présence des cloches. Il y aurait sous terre «des métaux non précieux et de l’or». Mais les recherches n’aboutissent pas.

Des immeubles comme gardiens du trésor

Pendant des années, cette histoire sera enterrée avec son trésor. Mais quand des travaux de construction d’immeubles à Lully sont annoncés en 1971, les anciens du village se mobilisent. Quelques fouilles sont entreprises, dont la Tribune de Genève se fait l’écho, même si pour Marc-Rodolphe Sauter, alors archéologue cantonal, il ne s’agit là probablement que d’une légende. Aujourd’hui, pour en avoir le cœur net, il faudrait abattre les immeubles. L’affaire paraît entendue. (cath.ch/lb)

* Dans un ouvrage consacré au professeur Tournesol, Albert Algoud présente l’abbé Mermet et l’abbé Bouly comme les inspirateurs des expériences radiesthésiques menées par le personnage de Hergé.

Falaises de Saint-Jean, sentier des Saules à Genève | Photo: Guilhem Vellut / CC-BY

D’un Jean à l’autre
Non loin de là, un autre Jean est mis à l’honneur, avec le prieuré Saint-Jean-hors-les-murs qui possédait des terres à Aïre. Situé sur la rive droite du Rhône, entre l’actuel pont Sous-Terre et le sentier des Falaises, ce prieuré était lui-même rattaché à l’abbaye d’Ainay (Lyon) au début du 12e siècle. Une église et un couvent y furent bâtis il y a quelques 1500 ans, après la guérison miraculeuse par saint Romain, pèlerin de passage dans la région, de deux lépreux obligés de vivre en dehors de la ville. Le secteur pris le nom de St-Jean, lorsqu’au Moyen-Âge un croisé revenant de Palestine fit don d’un fragment d’os de saint Jean au prieuré. Le monastère a été détruit … en 1536 justement, lorsque Genève rasait ses quartiers extérieurs pour y édifier des fortifications. Mais c’est là une autre histoire… LB

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Lully, dans la commune de Bernex | © Wikimedia / Alexey M. / CC 4.0
20 août 2025 | 17:01
par Lucienne Bittar

De nombreux contes et légendes de Suisse, souvent effrayants, intègrent des éléments religieux. Pour l’été, un temps propice à la rêverie, cath.ch rappellent quelques unes de ces éminentes fantasmagories.

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