L'Abbaye d'Engelberg (OW) s'est posé la question de l'avenir des monastères | © Friedrich-Karl Mohr/Wikimedia Commons/CC BY-SA 3.0
Suisse

Les monastères, points de cristallisation de la spiritualité

Diminution des vocations, perte d’influence de la religion… de nombreuses communautés monastiques suisses envisagent l’avenir avec inquiétude. Des enjeux abordés le 13 août 2025 lors d’une table ronde à l’Abbaye d’Engelberg (OW).

Stefan Betschon, kath.ch / traduction et adaptation: Raphaël Zbinden

Des tableaux représentant le monastère isolé entre de hautes montagnes, un complexe de bâtiments à plusieurs étages avec une façade d’un blanc éclatant, accueillent le visiteur dans la salle baroque de l’Abbaye bénédictine d’Engelberg. Des toiles à l’huile réalisées au XVIIIe siècle par un certain Meinrad Keller, originaire de Baden, à la demande de l’Abbé. C’est ainsi qu’une institution socialement importante se présentait avec assurance à l’apogée de son pouvoir, alors que le village obwaldien d’Engelberg n’apparaît pas sur les tableaux.

Une riche tradition

Mais le temps ne s’est pas figé. L’abbaye est toujours là, tout en n’étant plus un facteur de pouvoir social. Le soir du 13 août, des visiteurs et quelques personnes vêtues de l’habit noir des bénédictins se sont réunis dans la salle baroque d’Engelberg pour discuter de l’avenir des communautés monastiques.

Il s’agissait de l’événement de clôture d’une série de manifestations intitulée «Kultursommer» (été culturel), qui a permis à des personnes extérieures de découvrir les coulisses de l’abbaye. La table ronde avait pour thème les relations entre le monde monastique et le village mondial.

«Comment les monastères peuvent-ils façonner leur avenir de manière active et courageuse, dans le respect de leur riche tradition, tout en restant attentifs à la société actuelle et à ses besoins?». Telle était la question centrale scrutée par Christian Meyer, Abbé d’Engelberg, Irene Gassmann, Prieure de l’Abbaye bénédictine de Fahr (AG), Emanuel Trueb, oblat d’Engelberg, Sabine Schubert-Prack, pédagogue religieuse, et Benedict Schubert-Prack, de la communauté Don Camillo.

Un édifice somptueux mais largement inoccupé

L’Abbaye bénédictine d’Engelberg est toujours un édifice somptueux. Mais de nombreuses cellules sont inhabitées. Seuls 17 moines appartiennent encore à ce monastère, dont 14 vivent actuellement sur place.

Lorsque l’Abbé Christian Meyer a annoncé ces chiffres au début de la table ronde, les visiteurs se sont préparés à passer une soirée maussade. Comme s’il s’agissait d’évaluer une perte, de retracer un déclin. Mais deux heures plus tard, alors qu’il parcourait le chemin entre la porte du monastère et la gare, il se montrait plein d’entrain et optimiste quant à l’avenir.

Besoin de sens

L’Abbaye obwaldienne a près de 1000 ans. À certaines époques, l’afflux de novices était si important que les abbés ne pouvaient répondre à la forte demande qu’en fondant des abbayes filiales en Afrique ou en Amérique.

Pourquoi aujourd’hui des ailes entières du bâtiment sont-elles vides? Une question difficile, à laquelle il n’y a pas de réponse simple. Des termes tels que rationalisation, perte du sens religieux, sécularisation, viennent rapidement à l’esprit. Mais ils ne font que nommer la perte, sans l’expliquer. Car aujourd’hui, il y a foule dans les boutiques ésotériques embaumées d’encens, dans les ashrams, où dans les retraites bien-être. Tout cela indique que la prospérité matérielle ne peut satisfaire le besoin d’appartenance – de religiosité –, que le désir d’un réenchantement du monde et l’envie de laisser le séculaire derrière soi sont toujours présents.

Panique spirituelle de dernière minute?

Dans une société offrant de multiples options, la plupart des gens veulent simplement garder toutes les options ouvertes le plus longtemps possible et ne sont plus prêts à transformer un vague désir spirituel ressenti dans leur jeunesse en une vie vécue.

Plus tard, lorsque la plupart des options se sont envolées, que les enfants ont quitté le foyer, que le partenaire de vie a changé de compagnon, beaucoup ressentent alors, à un âge mûr, le désir très pressant de rejoindre une communauté soudée, d’inspiration religieuse. Le monastère pourrait-il ainsi devenir une maison de retraite pour les fatigués de la civilisation en quête de sens, un refuge pour les victimes de panique spirituelle de dernière minute?

Le défi des vocations tardives

Les responsables de monastères ont constaté qu’il n’était pas facile d’intégrer des religieuses ou des religieux arrivés sur le tard dans leur communauté. Car la communauté monastique est chose particulière. Elle ne repose pas sur des sentiments amicaux, sur une sympathie mutuelle, mais sur la foi en Dieu. La prieure Irene Gassmann l’a clairement exprimé: beaucoup de ses sœurs ne se seraient probablement pas retrouvées dans la vie profane en tant que collègue ou colocataire. Mais sous le toit du monastère, elles vivent ensemble parce que la foi, parce que Dieu les a réunies.

Cette communauté les transforme, leur permet de mûrir plus rapidement sur le plan spirituel. Pour cette raison, il est difficile d’accueillir dans une communauté monastique traditionnelle et bien établie des personnes qui ne découvrent leurs besoins spirituels qu’à un âge avancé.

Des zones de transition

Mais cela ne signifie pas que seuls les jeunes novices peuvent franchir les murs du monastère. La clôture et le village ne sont pas séparés par une frontière bien définie, il existe bel et bien des zones intermédiaires, de transition.

Telle est la bonne nouvelle que les visiteurs ont pu emporter en quittant la salle baroque: la présence de zones de transition, d’espaces de création, de lieux de rencontre. Même s’ils sont entourés d’un mur, les monastères peuvent devenir des points de cristallisation de la spiritualité. Ils le peuvent s’ils utilisent intelligemment ces zones et ces espaces et créent des possibilités permettant aux croyants et aux personnes de l’extérieur en quête de spiritualité «de s’y ancrer».

«Communauté de route». Ce terme technique issu du langage maritime désigne une forme de cohabitation qui se passe de toit commun. Il a été utilisé lors de la table ronde notamment par la communauté Don Camillo. Présente à plusieurs endroits dans le Mittelland suisse, elle a été fondée dans les années 1970 à Bâle, autour de la table de cuisine d’une colocation. Cette communauté protestante, organisée en association ou en regroupement d’associations, souhaite montrer aux personnes du XXIe siècle les possibilités contemporaines d’un mode de vie monastique.

Optimisme pour conclure

Depuis les débuts du christianisme, comme l’a rappelé l’Abbé Christian Meyer, de nouvelles formes de vie communautaire chrétienne ont été expérimentées à maintes reprises, de nombreux ordres religieux ont été fondés et des règles monastiques ont été établies. Les grandes différences entre les ordres reflètent les besoins variés des différentes époques.

Notre époque devra donc elle aussi réinventer le monastère. Mais les anciens ordres peuvent eux aussi évoluer. Les bénédictines de Fahr ont montré comment cela peut se réaliser: elles ont «vendu» des bâtiments économiques périphériques afin de créer, à proximité immédiate du monastère, un espace pour une nouvelle forme de vie communautaire, appelée «habitat multigénérationnel». À l’Abbaye d’Engelberg, il est également prévu de créer des logements pour des laïcs chrétiens sur le site du monastère. (cath.ch/kath/sb/rz)

L'Abbaye d'Engelberg (OW) s'est posé la question de l'avenir des monastères | © Friedrich-Karl Mohr/Wikimedia Commons/CC BY-SA 3.0
18 août 2025 | 14:17
par Rédaction
Temps de lecture : env. 5  min.
Abbaye (34), Bénédictins (33), Engelberg (10), Fahr (11), Vie consacrée (91)
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