
Tomber ou ne pas tomber?
Ici en Suisse, lorsque vous frôlez la quarantaine, vos assurances, votre banque vous incitent à penser à votre retraite. Avez-vous envisagé d’ouvrir un troisième pilier? Il est temps de calculer de quelle somme vous disposerez à votre retraite. Mieux que moi, les Suisses ayant travaillé toute leur carrière chez les Helvètes savent que la dure réalité impose des revenus diminués une fois la retraite atteinte. S’enclenchent alors une série de mesures et des dispositions visant à thésauriser, à économiser, à placer en prévision de la disette de nos vieux jours.
Le monde nous exhorte à amasser pour plus tard, à constituer des réserves. Ce qui nous plonge dans une conception de la réalité bornée par notre deux dates de vie, celle de notre naissance et celle de notre mort. Avec une étape cruciale, pour la plupart d’entre nous, celle de ne plus être productif dans le monde du travail.
«L’évangile nous enjoint souvent à penser en discordance avec le monde»
Encourager ainsi à axer nos intérêts et nos préoccupations sur la matérialité du monde réduit le champ de nos aspirations spirituelles. Dans la Bible foisonnent des histoires qui invitent à réagir à contre-courant de ce que nos assurances et banques prônent. Le dernier culte radiodiffusé de notre région a été porté par un texte de l’évangéliste Luc. Cette célèbre histoire d’un homme dont les terres avaient prospéré. Nous pourrions transposer en disant que ses piliers 2 et 3 étaient bien dotés. De sorte qu’il décidait d’ouvrir d’autres piliers 3 pour y déposer le fruit de son travail et de son épargne.
Blindé, il n’avait plus qu’à attendre la retraite afin de profiter de ses trésors. Vous connaissez la suite. Dieu lui annonce que ses calculs n’ont pas de sens puisque le lendemain, ce pauvre homme bien assuré mourra.
L’évangile nous enjoint souvent à penser en discordance avec le monde. À tel point que ses principes divergent du bon sens quotidien. Pourtant, je crois, que se dissimule, dans ces invitations à braver l’ordre logique et la cohérence de nos sociétés, une forme d’avant-goût de la liberté . Par exemple, il est nécessaire de planifier sa retraite et de constituer des fonds pour bien la vivre. Il n’en demeure pas moins que la manière de le faire, la légèreté à l’envisager, peut nous être offerte par l’histoire de cet homme qui meurt le lendemain de sa thésaurisation. Nous ressemblons à des funambules qui, perchés à plus de 4000 mètres d’altitude, doivent traverser un long kilomètre sur un fil. Le risque est présent en permanence de tomber. Soit parce qu’une bourrasque de vent nous jette trop tôt dans le précipice, soit parce que trop épuisés nous ne pouvons pas parcourir le kilomètre, soit encore parce que notre pied glisse malencontreusement dans le vide.
«La chute n’est pas une déchéance, ni une disgrâce»
Afin de neutraliser les risques, nous nous assurons à l’aide de piliers et d’assurances diverses. Peut-être en enfilant des chaussures aux semelles anti-dérapantes, peut-être en fixant notre regard uniquement sur la route devant nous, sans jamais prendre conscience du vide que nous traversons. Bref, cette allégorie manifeste de l’existence humaine est claire.
Et l’évangile dans tout cela? La grâce offerte par Dieu? Cette grâce est un encouragement à traverser ce kilomètre, perchés que nous sommes à 4000 mètres, avec grâce. C’est-à-dire avec une certaine désinvolture dans chacun de nos pas, avec de la souplesse parce que nous ne devons pas craindre de tomber. Car la chute est inexorable, mais elle n’est pas tragique. La chute n’est pas une déchéance, ni une disgrâce. Elle est le renversement de perspective. Le haut devient le bas, le bas devient le haut. Et ce qui tombe à l’échelle humaine est retrouvé à l’échelle de Dieu.
Nadine Manson
20 août 2025
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