Des enfants passent du temps devant un mémorial improvisé installé au siège de Turning Point USA après la mort par balle de Charlie Kirk le 10 septembre 2025 | © Keystone/AP Photo/Ross D. Franklin
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Philippe Gonzalez: Charlie Kirk tenait un discours d'extrême droite suprémaciste

Pourquoi Donald Trump fait-il de l’extrémiste évangélique Charlie Kirk un martyr? Que dit le choix de ce terme religieux sur la société américaine ? Le décryptage de Philippe Gonzalez, sociologue des religions à l’Université de Lausanne.

Jessica Da Silva / Adaptation: Carole Pirker

En présence de Donald Trump, des dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées le 21 septembre 2025 dans un stade près de Phoenix, en mémoire de Charlie Kirk (voir encadré), assassiné le 10 septembre 2025 à l’université d’Utah Valley.

Nationaliste chrétien et suprémaciste blanc pro-Trump, ce militant ultraconservateur qualifiait l’avortement de meurtre et l’homosexualité de maladie. «En tant que chrétiens, disait-il, nous sommes appelés à nous rendre dans l’arène publique pour corriger les erreurs en diffusant la vérité». L’organisation politique, Turning Point, qu’il avait créée pour promouvoir ses idées conservatrices dressait une liste noire des enseignants jugés trop progressistes. Orateur hors pair, il avait surtout réussi à capter l’attention des jeunes Américains sur les campus et les réseaux sociaux.

| © Philippe Gonzalez

Après son assassinat, Donald Trump a déclaré que Charlie Kirk était «un martyr de la vérité et de la liberté». Comment interpréter le choix de ce terme religieux?
Philippe Gonzalez: concernant d’abord la cérémonie d’hommage, on n’est jamais allé aussi loin dans la fusion entre une célébration religieuse, de facture évangélique, le nationalisme chrétien et le gouvernement actuel. Pour ce qui est du terme de martyr, c’est en effet frappant dans la bouche d’un président américain de convoquer un tel vocabulaire religieux. Cela nous nous dit quelque chose du rapport de Trump mais aussi de Kirk à la droite chrétienne. Celle-ci est pour Trump sa base principale. Plus de 80 % des évangéliques blancs le soutiennent depuis 2016 et la plupart d’entre eux sont extrêmement élogieux à son égard, à la suite de son assassinat. Les seules voix de dissensions fortes viennent de la communauté afro-américaine, de pasteurs baptistes par exemple, qui rappellent que cet homme a dit des choses extrêmement racistes.

Pourquoi, selon vous, le recours à cette figure du martyr?
Elle est centrale, parce qu’il s’agit de fabriquer une icône et une justification. Mais elle fait froid dans le dos, car elle est reprise dans le vocabulaire de la guerre spirituelle, qui fait cette fois sa première victime, dans le camp conservateur, et qui peut dès lors être magnifiée. Et on en voit la portée. Charlie Kirk était un influenceur extrêmement populaire sur les réseaux sociaux et sur les campus, parce qu’il avait donné un visage cool et attrayant à des jeunes qui se considéraient comme conservateurs.

«Elle [la figure du martyr] est centrale, parce qu’il s’agit de fabriquer une icône et une justification.»

Mais est-ce vraiment du conservatisme ou autre chose?
J’aurais tendance à dire qu’on est face à autre chose. Le conservatisme ne se réduit pas au fait de tenter de «conserver» des valeurs qui seraient issues d’une «tradition». C’est aussi une manière de faire de la politique, ou plutôt d’accepter le jeu politique. Ce jeu implique de négocier et de composer avec ses adversaires, notamment progressistes. Dans le cas de Trump et du Parti républicain actuel, cette dimension de composition s’est réduite à une peau de chagrin, pour ne pas dire qu’elle est en train de disparaître: le gouvernement Trump fait table rase de l’espace de négociation politique, et cela au nom de «valeurs conservatrices». À mon sens, il y a un dévoiement. Leur geste me semble réactionnaire en tout point: ils veulent faire la révolution, quitte à couper des têtes, au nom de valeurs indiscutables, dont celles que Dieu leur aurait littéralement données à eux, partisans du nationalisme chrétien, et qu’il faudrait imposer à l’ensemble de la société, y compris par la force.

Quand est-ce que Charlie Kirk commence à s’intéresser au christianisme?
Son intérêt survient en pleine pandémie de Covid. Avant, Charlie Kirk est un jeune conservateur qui défend des thèses économiques néolibérales. Autour du Covid, il va s’allier à des pasteurs évangéliques qui militent pour l’ouverture des églises, au nom de la liberté religieuse. Mais c’est une liberté de culte absolue, quelles que soient les circonstances, indépendamment de la situation sanitaire. Il s’agit par ailleurs d’une liberté, qui est celle des chrétiens qui sont au fondement de la nation.

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On n’a donc pas simplement une alliance de cœur avec des chrétiens évangéliques, mais avec un certain type de christianisme, extrêmement politisé, que l’on définit aujourd’hui comme du nationalisme chrétien. Pour celui-ci, les vrais citoyens, aux États-Unis, sont des chrétiens conservateurs, plus précisément évangéliques, voire des catholiques conservateurs blancs. On comprend aussi cette dissension avec des Afro-Américains proches d’une tradition pentecôtiste ou baptiste.

«Pour celui-ci [Charlie Kirk], les vrais citoyens, aux États-Unis, sont des chrétiens conservateurs, plus précisément évangéliques, voire des catholiques blancs.»

Et comment s’articule cette liberté?
C’est une liberté que ne revendique pas Charlie Kirk, lorsque des chrétiens évangéliques hispaniques se font arrêter par la police de l’immigration de Trump. Il n’est pas question de parler de leur liberté. C’est donc une liberté restrictive qui porte uniquement sur une certaine population. En réalité, Charlie Kirk a diffusé tout un vocabulaire et un discours qui vient de l’extrême droite suprémaciste, mais en refusant de s’associer à une image de néo-nazi, avec une apparence beaucoup plus sophistiquée, convenable et attractive sur les réseaux sociaux.

Charlie Kirk affirmait que les chrétiens étaient appelés à corriger les erreurs en diffusant la vérité. De quelle vérité parlait-il?
C’est complexe, parce qu’il jouait un jeu qui est celui du débat, sur les campus et les réseaux sociaux, et qu’il dressait simultanément des listes de professeurs considérés comme trop à gauche et qui se faisaient harceler. Il jouait donc le débat public et recourait en même temps à des mesures dignes d’une police idéologique. Deuxième tension, en tant que nationaliste chrétien, la vérité dont il est question est une vérité confessionnelle, mais qui ne supporte pas la contradiction. Si elle la supportait, il n’y aurait pas eu besoin de telles listes.

Comment les évangéliques conservateurs ont-ils réagi à l’assassinat de Charlie Kirk?
Franklin Graham, par exemple, le fils de Billy Graham qui a repris l’organisation de son père, nous dit dans un tweet: «Je prie pour que des dizaines de milliers de jeunes reprennent l’étendard de Charlie et disent courageusement la vérité dans une culture qui tente de nier la vérité de Dieu». Donc cette vérité, c’est la vérité d’un certain christianisme nationaliste qui, en réalité, même si elle semble vouloir entrer dans un débat, nie les conditions mêmes de ce débat.

«Cet assassinat est aujourd’hui instrumentalisé d’une telle manière par Trump et la droite chrétienne, que la liberté de parole a été réduite dans l’espace public américain.»

Et aux États-Unis, que disent les Églises, après son assassinat?
La plupart des Églises évangéliques blanches sont dans une forme de reconnaissance, ce qui est assez troublant. Elles disent que Charlie Kirk était l’un des leurs. Certes, il disait des choses un petit peu dérangeantes du point de vue de la race, mais cela pouvait selon elles se comprendre. Or ce que disait Charlie Kirk était très grave. En Suisse, ses propos seraient passibles de l’article du 161 bis du Code pénal. Les églises afro-américaines, proches des minorités, elles, sont beaucoup plus réticentes à cette tentative d’en faire une icône. Enfin, j’ai été très frappé de constater que les Églises baptistes progressistes n’ont pas dit un mot sur l’assassinat de Charlie Kirk.

Pour quelle raison, selon vous?
Cet assassinat est aujourd’hui instrumentalisé d’une telle manière par Trump et la droite chrétienne, que la liberté de parole a été réduite dans l’espace public américain. On le voit à la manière dont des humoristes comme Jimmy Kimmel, qui sont des satiristes politiques, sont privés d’antenne, parce qu’ils ont osé dire des choses à propos de Trump. Donc, si ce sont des églises conservatrices, elles épousent le discours de Kirk tout en essayant d’en cacher un peu la face obscure. Les minorités, elles, sont réticentes et sont parfois critiques.

Retrouvez en podcast l’entretien radio «Hautes Fréquences» consacré à ce sujet
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Mais est-ce encore possible, aujourd’hui, de se monter critique?
Oui, mais la critique se paye à un prix très fort. Et Charlie Kirk, que l’on nous présente aujourd’hui comme un martyr de la vérité et de la liberté, c’est en réalité la vérité de certains, la liberté pour certains des chrétiens nationalistes, mais pas pour l’ensemble de la société américaine dans sa diversité.

Que révèle selon vous l’assassinat de Charlie Kirk?
Je dirais qu’il marque une aggravation de la polarisation de la société américaine. On assiste à une mise au pas par l’administration Trump, qui s’attaque à toutes les libertés fondamentales: la liberté d’expression, la liberté de la presse, la régulation par le droit. Cet assassinat a donné aujourd’hui des gages à cette politique-là, en désignant l’ennemi.

Au moment où Trump dit que Charlie Kirk est un martyr pour la vérité et la liberté, il dit simultanément, et c’est frappant, que c’est la faute de la gauche radicale. Or selon Marjorie Green, une représentante de l’extrême droite nationaliste chrétienne au Parlement fédéral, ce n’est plus la faute de la seule gauche radicale, mais de toute la gauche, et il faut faire sécession du point de vue du pays. Ce meurtre cristallise dans l’espace public une tendance lourde instaurée par l’administration Trump. Il accélère une procédure déjà en route et donne une légitimation encore plus forte à la chasse aux sorcières qui a cours aujourd’hui dans la société américaine. (cath.ch/jds/cp/bh)

Charlie Kirk, un chrétien évangélique d’extrême-droite
Né le 14 octobre 1993 à Arlington Heights (Illinois) et mort assassiné le 10 septembre 2025 à Orem (Utah), Charlie Kirk est un chrétien évangélique, militant politique et influenceur américain ultraconservateur. Il appartient au parti républicain et soutient Donald Trump. Nationaliste d’extrême-droite, il fonde en 2012 Turning Point, une organisation politique conservatrice soutenue par les républicains et la droite chrétienne, pour mobiliser les jeunes de droite autour des « valeurs traditionnelles américaines ». Entre 2016 et 2024, il publie cinq ouvrages politiques. À partir de 2020, il anime son propre podcast, The Charlie Kirk Show. Il intervient régulièrement dans les médias conservateurs et lors de meetings. Il est critiqué pour ses propos et la production d’un contenu ultraconservateur, raciste, misogyne, complotiste, climatosceptique et populiste. CP

Des enfants passent du temps devant un mémorial improvisé installé au siège de Turning Point USA après la mort par balle de Charlie Kirk le 10 septembre 2025 | © Keystone/AP Photo/Ross D. Franklin
23 septembre 2025 | 17:00
par Bernard Hallet
Temps de lecture : env. 7  min.
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