Pour ses partisans, Charlie Kirk avait tout du chrétien exemplaire | Flickr CC-BY-SA-2.0
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Etats-Unis: Charlie Kirk élevé au rang de martyr?

«Charlie Kirk est un héros pour les États-Unis d’Amérique et un martyr de la foi chrétienne. » Les propos du vice-président américain JD Vance, lors de la cérémonie à la mémoire du jeune activiste républicain assassiné, témoignent de la confusion entre religion et politique sciemment entretenue par le camp de Donald Trump.  

«Mon mari, Charlie, voulait sauver des jeunes hommes comme celui qui lui a ôté la vie (…) Cet homme, ce jeune homme, je lui pardonne. (…) Je lui pardonne parce que c’est ce qu’a fait le Christ et ce que Charlie aurait fait. La réponse à la haine n’est pas la haine. La réponse (…) est l’amour, toujours l’amour. L’amour pour nos ennemis et l’amour pour ceux qui nous persécutent.» Les paroles très spirituelles et personnelles de sa veuve Erika, lors de la cérémonie à la mémoire de son mari assassiné, ont frappé les participants à ce grand show à l’américaine réunis dans un grand stade couvert à Glendale, en Arizona. 

Un propos que, quelques minutes plus tard, le président Donald Trump n’a pas hésité à contredire explicitement. Il a également reconnu le refus de Kirk d’haïr son adversaire, mais a ensuite ajouté: «C’est là que je n’étais pas d’accord avec Charlie. Je déteste mon adversaire et je ne lui souhaite pas le meilleur. Je suis désolé. Je suis désolé, Erika.» Une toute petite phrase qui en dit beaucoup sur l’Amérique de Trump.

Confusion du religieux et du politique

Rarement la confusion entre le religieux et le politique n’aura été aussi frappante que lors de l’hommage rendu à Charlie Kirk le 21 septembre 2025. Dans un stade de 65’000 personnes, la cérémonie politico-religieuse a tenu en haleine pendant cinq heures la base religieuse républicaine. Dans une intervention tenant à la fois de la prédication et du discours de campagne le vice-président JD Vance a invité à se souvenir que Kirk est «un héros pour les États-Unis d’Amérique et un martyr de la foi chrétienne.»

Donald Trump embrasse Erika, la veuve de Charlie Kirk | KEYSTONE/AP /Julia Demaree Nikhinson

Dans son discours au ton messianique, JD Vance a été plus subtil que son patron mais a défendu la même vision. Charlie Kirk, «a apporté la vérité selon laquelle notre nation disparaîtrait si elle ne mettait pas de l’ordre dans ses quartiers et n’apportait pas la prospérité à son peuple.» (…)

«Je pense que Charlie Kirk m’aurait encouragé à être honnête et à reconnaître que le mal est toujours présent parmi nous. À ne pas l’ignorer pour préserver une fausse illusion de paix, mais à l’affronter de front et honnêtement, comme la maladie qu’il est.»(…) «Pour Charlie, nous reconstruirons les États-Unis d’Amérique pour qu’ils retrouvent leur grandeur. Pour Charlie, nous ne reculerons jamais, nous ne nous laisserons jamais intimider et nous ne faiblirons jamais, même face au canon d’un fusil.»

Une vision de l’Apocalypse

Cette vision républicaine repose volontiers sur un récit de type apocalyptique. Celui d’une Amérique et d’une civilisation en danger. Gia Chacon, fondatrice d’une ONG de défense des chrétiens persécutés et amie de Charlie Kirk l’illustre pleinement, dans une chronique du National Catholic Register: «Aujourd’hui, une idéologie radicale à l’intérieur de nos propres frontières est devenue si toxique qu’elle exige le silence par le sang.

C’est le démantèlement d’une nation. Non pas par un effondrement soudain, mais par la lente corrosion de nos fondements moraux communs. Nous savions autrefois que la vérité méritait d’être défendue ensemble. Aujourd’hui, nous tuons ceux qui osent la dire à haute voix. (…)

«La main qui a appuyé sur la gâchette n’est pas le seul ennemi. L’ennemi plus profond est l’esprit de haine et de désespoir qui a corrompu notre vie publique. Et le seul remède est le renouveau: des familles, des communautés, de nos fondements moraux, de la foi. Sans vertu, la liberté ne peut survivre. Sans vérité, la liberté est une illusion. Et sans Dieu, aucune nation ne peut subsister.»

«Apôtre du discours civil»

Un discours qui ne manque de séduire d’assez larges tranches catholiques. L’évêque conservateur Robert Barron, fondateur du célèbre média d’évangélisation Word on Fire, a salué Kirk, dès le lendemain du meurtre, comme «une sorte d’apôtre du discours civil, mais surtout comme d’un homme qui aimait Jésus-Christ».

Des leçons à tirer de sa vie

Le cardinal Thimothy Dolan de New York, a parlé d’un «saint Paul des temps modernes» lors d’une émission de télévision sur Fox New. «C’était un missionnaire, un évangéliste, un héros. (…) Je pense que c’était quelqu’un qui comprenait ce que Jésus voulait dire lorsqu’il a dit : ›La vérité vous rendra libres’, a-t-il déclaré tout en reconnaissant qu’il ne connaissait pas Kirk et son mouvement avant d’apprendre la tragique nouvelle de son meurtre.

«Les catholiques n’ont pas besoin d’être d’accord avec toutes les idées politiques ou théologiques de Charlie Kirk pour apprécier ses vertus évidentes et ses bonnes habitudes morales dont notre société a grandement et urgemment besoin», a souligné Mgr Roger Landry, directeur national des Oeuvres pontificales missionnaires et chroniqueur sur la chaîne TV catholique conservatrice EWTN. 

Il recense dix leçons à tirer de son engagement: Charlie Kirk était un chrétien sincère qui vivait et partageait sa foi publiquement, c’était un excellent ami, un mari et un père aimant, un apôtre du mariage et de la famille, un homme courageux, un chercheur et un défenseur de la vérité, un homme d’écoute, un patriote, un bâtisseur capable d’appeler les jeunes à grandir et à prendre leurs responsabilités.

Lucas Cranach, illustration de l’Apocalypse (8,8-9) pour la Bible de Luther | © MIR

Servir Dieu ou César

«À qui profite la canonisation de Charlie Kirk: à Dieu ou à César ?», répond le Père Sam Sawyer, rédacteur en chef de la revue jésuite America. «Le fait que ces intentions soient honnêtes et liées à la foi ne les rend pas automatiquement bonnes. (…) Il faut un discernement prudent pour comprendre quel esprit est finalement suivi, en particulier lorsqu’il s’agit d’exercer le pouvoir et l’autorité», rappelle-t-il. «Ce qui a suivi l’assassinat ressemble à la construction d’un culte de la sainteté.»

«Je crains que, quelles que soient les meilleures intentions de M. Kirk, de son pasteur ou d’autres personnes liées à son organisation Turning Point USA, l’approche qu’ils adoptent en matière de politique aboutisse à traiter l’Évangile davantage comme un moyen que comme une fin. (…)

Selon le jésuite, «Charlie Kirk et nombre de ses disciples ont trouvé l’inspiration dans des appels au courage qu’ils identifiaient souvent à la confrontation avec la culture dominante. Ils partageaient un zèle pour cette confrontation, saluant la clarté d’une distinction nette entre le bien et le mal, entre le vrai et le faux.»

Éliminer la menace intérieure

Mise à part l’offre de pardon émouvante d’Erika Kirk, «une partie effrayante du temps de la cérémonie commémorative a été consacrée à renforcer précisément cette idée de la menace que représente l’autre et à affirmer que l’autre doit être détruit», relève le Père Sawyer, et cela dans la bouche non seulement de Donald Trump, mais aussi dans celles de plusieurs autres orateurs.  

«L’espoir de Charlie Kirk de conduire les gens à Jésus par le biais de la politique a souvent été utilisé, et est encore utilisé aujourd’hui par bon nombre de ces pouvoirs, pour nous pousser davantage à la division. Contre ceux qui recherchent de tels conflits, le conseil de Jésus reste le meilleur : rendez à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui appartient à Dieu.», juge le jésuite.

«Rendez dons à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu» / monnaie de l’empereur Claude

Propos non chrétiens

D’autres catholiques n’ont évidemment pas manqué de rappeler que certaines idées défendues par le jeune homme étaient clairement contraires à la doctrine sociale catholique.»Dépeindre Charlie Kirk comme un personnage christique est ridicule et ne correspond pas à la réalité. Kirk a longtemps tenu des propos non chrétiens et non représentatifs des enseignements de l’Église catholique. De plus, les opinions de Kirk sont à l’origine d’une division notable dans notre pays.» remarque dans les colonnes du National Catholic Reporter l’aumônier universitaire Tulio Huggins.

Raciste et anti-immigrés

«Kirk a fait de nombreuses déclarations anti-immigrés, notamment en propageant la théorie du ›Grand Remplacement’ (…) il a également tenu divers propos racistes dégradants à l’égard des Noirs, comme celui-ci, prononcé au début de l’année dernière: «Si j’ai affaire à une femme noire stupide au service clientèle, je me demande : ›est-elle là grâce à son excellence ou grâce à la discrimination positive?’- Le même mois, commentant la DEI (programme de diversité, équité et inclusion NDLR) , il a déclaré : «Si je vois un pilote noir, je me dis : «J’espère qu’il est qualifié. »

Démagogie et populisme

«Quand le discours civil a-t-il changé pour inclure des calomnies déshumanisantes ?», a écrit Gloria Purvis, une représentante des catholiques afro-américains. «Quand la démagogie est-elle devenue un discours charitable ? Venez maintenant, vous tous qui aimez la vérité. Ne transformons pas les discours malveillants en discours bienveillants ».

«Kirk s’opposait notamment au contrôle des armes à feu et rejetait même la loi sur les droits civiques de 1964. De plus, dans son podcast de 2024, lors d’un échange très controversé, Kirk a cité un passage du Lévitique faisant référence à la lapidation des homosexuels, rappelle Nate Tinner-Williams dans le Black Catholic Messenger.

La Conférence des évêques choisit de ne pas réagir

Une gêne palpable jusqu’au niveau de la Conférence des évêques qui n’a pas réagi officiellement à l’assassinat du jeune militant républicain. Idem au Vatican: «Nous devons être très, très tolérants, très respectueux de tout le monde, même si nous ne partageons pas le même point de vue», a déclaré le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’État du Vatican, aux journalistes le 11 septembre.

« Si nous ne sommes pas tolérants et respectueux, et si nous sommes violents, cela créera un très gros problème au sein de la communauté internationale et de la communauté nationale ». (cath.ch/mp)

Artisan du dialogue
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, Charlie Kirk est considéré, par ses partisans comme par ses adversaires comme un des rares personnages publics américains encore capable de dialoguer avec ses adversaires politiques.
Le cardinal Dolan note que le style de débat de Kirk, respectait ceux qui n’étaient pas d’accord avec lui. «Notre rhétorique surchauffée, notre réaction automatique et instinctive qui consiste à attaquer verbalement toute personne ayant une opinion différente, un point de vue différent, n’est-elle pas, au moins en partie, sinon en grande partie, responsable ?», s’est-t-il demandé, en référence à la violence qui a coûté la vie à Kirk. MP

Trump et le roi David

Le roi David par Matthias Stomer, Musée des beaux-Arts de Marseille

Pourquoi malgré ses comportements et ses propos qui n’ont rien de chrétien, Donald Trump parvient-il à séduire si fort les évangéliques américains ? Aux yeux de beaucoup, Trump peut être assimilé à la figure biblique du roi David, jusqu’à la ressemblance de leur abondante chevelure blonde. Elu par Dieu pour régner sur Israël, il s’agit d’un guerrier accompli qui a terrassé Goliath, et d’un homme politique efficace qui a réussi à unir tout Israël et à lui redonner sa grandeur.
Le plus intéressant pour Trump dans le personnage de David est précisément qu’il ne s’agit pas de quelqu’un de parfait. David est bien connu pour ses multiples défauts et ses crimes. C’est, entre autres, un roi adultère et meurtrier: il a couché avec Bethsabée, l’épouse de son général Urie et a provoqué la mort de son époux.
Le mythe du roi David accompagne Trump depuis sa première campagne présidentielle en 2016. Le rabbin David Wolpe dénonçait déjà alors une utilisation abusive des Ecritures. Il soulignait que ce qui fait de David un personnage mémorable, ce n’est pas tant l’ivresse du pouvoir mais bien au contraire son repentir. A quand un prophète Nathan à la cour de Washington? MP

Pour ses partisans, Charlie Kirk avait tout du chrétien exemplaire | Flickr CC-BY-SA-2.0
29 septembre 2025 | 17:00
par Maurice Page
Temps de lecture : env. 8  min.
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