Paul Dembinski

L’amour envers les pauvres selon Léon XIV

Ce n’est pas un hasard que ce soit le 4 octobre, fête de saint François, que le nouveau pape Léon XIV publie une exhortation apostolique – sa première – consacrée à l’amour envers les pauvres. Il s’agit d’un texte que le présent pape a «reçu en héritage» sous forme inachevée de son prédécesseur et qu’il a «fait sien».

Il y a donc l’esquisse d’une continuité symbolique entre le Poverello d’Assise, le pape François et LéonXIV. Personne ne saura avec précision ce que l’on doit dans Dilexi te à François et ce qui vient de Léon. D’ailleurs cette question a peu d’importance tant il est vrai que Léon revendique dès les premiers paragraphes, la continuité avec François sur l’ensemble des thématiques traitées. Ainsi, sur 130 notes et renvois, 52 se réfèrent aux textes du pape précédent, dont 20 à la seule première exhortation apostolique de ce dernier, Evangelii Gaudium de novembre 2013. Ce document contenait en filigrane des points de critique de l’économie libérale que François a développés ensuite dans ses enseignements ultérieurs. Il y a des chances, mais aucune certitude, qu’à l’instar d’Evangelii Gaudium pour François, Dilexi te aborde des thématiques de prédilection que Léon XIV envisage d’approfondir à l’avenir.

Trois réflexions viennent à l’esprit au terme de la lecture de ce document d’une trentaine de pages. La première concerne l’insistance de Léon XIV à éviter à tout prix de réduire «les pauvres» à une catégorie sociologique, ce qui serait un oreiller de paresse qui nous éloignerait de la réalité. En effet, dit le pape: «…pour les chrétiens, les pauvres ne sont pas une catégorie sociologique, mais la chair même du Christ» (110). La première exigence de l’amour envers les pauvres est de les reconnaitre en tant que personnes dans l’entier de leur dignité. Il ne suffit donc pas de mettre en place des politiques, il faut aussi qu’elles soient accompagnées par des actes personnels hinc et nunc, sans attendre demain – comme le préconisent certaines idéologies –, pour que «les forces invisibles (du marché) résolvent tout» (92).

«La première exigence de l’amour envers les pauvres est de les reconnaitre en tant que personnes dans l’entier de leur dignité.»

Dilexi te insiste donc sur la double responsabilité du chrétien dans l’exercice d’amour envers les pauvres: responsabilité individuelle dans le rapport interpersonnel, et responsabilité collective pour ce qui est de la justice sociale et des structures correspondantes. Dans ce contexte, le dernier paragraphe de l’exhortation mérite d’être cité in extenso. «Que ce soit par votre travail, votre lutte pour changer les structures sociales injustes, ou encore par ce geste d’aide simple, très personnel et proche, il sera possible pour ce pauvre de sentir que les paroles de Jésus s’adressent à lui: «Je t’ai aimé» (121).

La seconde réflexion se réfère à la profondeur historique du texte. En effet, plus d’un tiers de l’exhortation retrace l’extraordinaire variété des formes et charismes par lesquels les chrétiens des siècles passés sont allés à la rencontre des pauvres. Qu’il s’agisse des Pères de l’Eglise, de la tradition monastique, des ordres mendiants ou des initiatives en matière d’éducation, d’accueil des migrants et de santé – l’amour envers les pauvres a toujours été une constante dans la vie de l’Eglise. C’est dans cette lignée que Léon XIV cite, de manière quelque peu surprenante, les «mouvements populaires» latino-américains, porteurs de revendications structurelles, auxquels le pape François accordait beaucoup d’importance comme porteurs de message prophétique pour notre temps. Le panorama historique se termine sur le rappel du principe de l’option préférentielle pour les pauvres (Constitution Gaudium et spes, Vatican II) et de la notion de «structure de pêché» forgé par la Conférence des épiscopats latino-américains réunis à Medellin en 1968 à propos des injustices structurelles et reprise ensuite par Jean Paul II. Léon XIV reprend ici les termes de son prédécesseur pour dire «Il est donc nécessaire de continuer à dénoncer «la dictature d’une économie qui tue.» (92).

«Le pape cerne son propos sans tomber dans le piège de d’enfermer les pauvres dans  une catégorie sociologique et nous exhorte à les découvrir sur nos chemins de vie.»

La troisième réflexion porte sur la définition du pauvre et de la pauvreté utilisée dans l’exhortation. Plutôt que d’entrer en discussion d’experts, le pape reconnait d’emblée «il serait peut-être plus juste de parler de nombreux visages des pauvres et de la pauvreté, car il s’agit d’un phénomène diversifié…» (9). La suite du texte laisse entrevoir trois éléments constitutifs du phénomène. Il y a d’abord «le cri du pauvre» – cette image que nous devons à François, renvoie à une souffrance, voire à une plainte. Il y a ensuite la dimension de l’insuffisance de ressources (matérielles, culturelles et sociales) pour accéder aux modes de vie minimaux acceptables dans une société (13). Finalement, il y a l’exclusion: «ils sont exclus de la société. Jésus est la révélation de ce privilegium pauperum» (19). Par le recours à ce triple faisceau d’indices, le pape cerne son propos sans tomber dans le piège de d’enfermer les pauvres dans  une catégorie sociologique et nous exhorte à les découvrir sur nos chemins de vie.

Paul Dembinski

16 octobre 2025

Dilexi te insiste donc sur la double responsabilité du chrétien dans l’exercice d’amour envers les pauvres | © Vatican Media
16 octobre 2025 | 09:43
par Paul Dembinski
Temps de lecture : env. 4  min.
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