Père Gomes: «La vocation n’est pas une vie en sécurité dans la paroisse»
De passage à Fribourg à l’invitation de Missio, le Père Peter Chanel Gomes, Directeur national des Œuvres Pontificales Missionnaires (OPM) au Bangladesh, détaille la situation des chrétiens. Si l’évangélisation reste difficile et mal perçue dans un pays à majorité musulmane, les chrétiens (0,5% de la population) ont une relative liberté de culte, mais qui n’est jamais acquise.
En septembre 2024, des attaques ont visé les chrétiens et la minorité hindoue. Quelle est la situation actuelle au Bangladesh?
Père Peter Chanel Gomes: Récemment, deux hommes à moto ont lancé des bombes en direction de la plus ancienne église de Dakha, heureusement une seule de ces bombes a explosé, sans faire de blessés. L’église n’a pas subi de dommages. L’attaque a eu lieu dans la soirée alors qu’il n’y avait personne. Je pense donc que, dans ce cas, ce type d’attaque vise avant tout à terroriser les chrétiens plus qu’à les blesser. De fait, ils vivent dans la peur.
Il faut comprendre que les persécutions ne visent pas que les chrétiens en tant que tels, mais aussi les petits groupes ethniques, nombreux au Bangladesh, parmi lesquels se trouvent des chrétiens. Les ethnies majoritaires chassent les minorités de leur village pour s’approprier leurs biens. Se trouvant à la rue, les groupes quittent leurs villages. Je dirais que les catholiques (qui représentent 0,5% des 173 millions d’habitants, ndlr) subissent une persécution plus psychologique qui est le fait d’une minorité de fanatiques islamiques. En 2024, les hindous ont été les premiers ciblés par les persécutions après cette soi-disant révolution, des nombreux temples ont été pillés et détruits.
Exerçant votre ministère dans le diocèse de Dakha, comment vivez-vous ce contexte de persécution?
Parfois j’ai reçu des lettres de menaces, mais je n’ai pas subi de violences physiques. La vocation sacerdotale n’est pas un style d’existence ou une vie en sécurité dans la paroisse. Chez nous, le prêtre se trouve en première ligne et parmi les fidèles. Lorsqu’il s’agit de chercher la justice, le prêtre aide les gens. La vocation sacerdotale est difficile en ce sens que vous devez consacrer votre vie à la communauté. Ce n’est pas pour rien que nous passons beaucoup de temps à nous préparer avant l’ordination. Je suis très heureux lorsque la communauté dit de moi, «c’est notre prêtre».
«Chez nous, le prêtre se trouve en première ligne et parmi les fidèles.»
Dans ce contexte, est-il facile d’évangéliser au Bangladesh?
Ce n’est pas facile, mais je dois évangéliser. C’est mon ministère. Par nature les bangladeshis sont amicaux, sociables et généreux, quelle que soit leur classe sociale. Nous partageons volontiers nos repas avec les amis ou les voisins, quelle que soit notre religion. A l’occasion du Ramadan, il n’est pas rare de voir des musulmans invités par des chrétiens à rompre le jeûne. Il se trouve une minorité d’extrémistes qui embrigadent les personnes les plus fragiles et les convertissent à l’extrémisme. Il y a 20 ans, la religion ne posait aucun problème dans le pays. Les chrétiens étaient les bienvenus aux fêtes des musulmans et ils participaient à la fête de Noël ou de Pâques. Le fanatisme religieux a dégradé la situation.
La pratique religieuse est en revanche globalement tolérée
Oui, nous pouvons célébrer la messe ou encore organiser des pèlerinages et célébrer les Pâques ou Noël. Le premier vendredi de février, nous organisons un grand pèlerinage dédié à saint Antoine de Padoue qui fait l’objet d’une grande dévotion au Bangladesh. Cet événement rassemble jusqu’à 60’000 personnes.
Bien que les conversions soient légales au niveau de l’État, les convertis peuvent subir de fortes pressions et même des violences de la part de leur communauté locale. Est-ce toujours le cas?
Dans la première Constitution établie en 1971, à l’indépendance du Bangladesh, l’islam n’était pas une religion d’Etat. La Constitution faisait du Bangladesh un pays laïc, sans prédominance d’une religion. Les habitants étaient des citoyens bangladeshis avant tout et ils étaient égaux en droit, quelle que soit leur ethnie. Après une dizaine d’années, la Constitution a fait de l’islam la religion d’Etat. La discrimination religieuse s’est alors progressivement développée et les conversions, le travail de mission ont été interdits. Il est devenu très compliqué d’évangéliser. Publiquement, le travail de mission est interdit, mais nous continuons à évangéliser discrètement: l’Eglise est par essence missionnaire. Nous accomplissons la mission à travers l’éducation, dans les communautés qui ne connaissent pas le Christ, en particulier auprès des groupes ethniques vivant dans les petits villages, aux périphéries. Ainsi, nous baptisons les villageois après un ou deux ans de catéchuménat. Lorsque nous baptisons les gens, cela passe inaperçu car les musulmans ne savent pas quelle est la nature de la célébration.
«Il ne suffit pas de célébrer la messe ni de prêcher que Jésus est le chemin de la vérité à des gens pauvres, dont certains manquent de tout.»
Mises à part ces questions de persécutions, quelles difficultés rencontrez-vous dans votre travail?
Nos ressources logistiques et financières sont limitées. Qu’est-ce que Jésus a fait dans Jean, chapitre 6? Il a d’abord nourri les foules. C’est la même chose pour nous. Dans le travail de la mission, il faut d’abord prendre soin des gens et les nourrir. Il ne suffit pas de célébrer la messe ni de prêcher que Jésus est le chemin de la vérité à des gens pauvres, dont certains manquent de tout. Il faut aussi répondre à leurs besoins, notamment dans le domaine de la santé. Les gens souffrent de malnutrition, d’asthme, de tuberculose. Et il faut donner une éducation à ceux qui n’ont pas les moyens de payer des études. Nous construisons des dispensaires et des refuges pour accueillir les sans-abris, qu’ils soient chrétiens, hindous ou musulmans d’ailleurs. Je tiens à préciser que l’éducation que dispense l’Eglise dans ses écoles n’est pas seulement morale ou religieuse, nous cherchons à inculquer aux jeunes des valeurs humaines. Nous accueillons sans distinction des jeunes issus de toute origine sociale ou religieuse: chrétiens, hindous ou musulmans. Tout cela nécessite des fonds importants.
Le pape François est venu au Bangladesh en 2017. Entre autres sujets, il a mis en avant le dialogue interreligieux. Comment se pratique-t-il avec les musulmans?
La commission du dialogue interreligieux a été créée en 1973, un an après la création de la Conférence épiscopale du Bangladesh. C’est un outil indispensable pour nous connaître mutuellement. C’est aussi un instrument pour notre sécurité: une meilleure connaissance de l’autre permet de faire diminuer la violence. Lorsque le pape est venu au Bangladesh, il a donné une grande importance au dialogue interreligieux. Ce fut un bon exemple pour nous. Souvent, les chrétiens initient le dialogue et les rencontres avec les musulmans. Ce que ces derniers acceptent volontiers, mais sans être proactifs eux-mêmes. Malgré cela, nous nous connaissons. Régulièrement des rencontres ont lieu au cours desquelles, nous prions ensemble, nous échangeons sur des thèmes et partageons un repas. Il faut remarquer que les violences sont toujours le fait de fanatiques islamiques.
«Si j’en avais la possibilité, je prendrais vos églises vides pour les emporter au Bangladesh.»
Vous dites avoir été choqué en venant pour la première fois en Italie
Lorsque je suis arrivé à Rome pour mes études, j’ai constaté qu’il y avait des églises dans chaque rue de la ville. Elles sont richement décorées, mais vides! Même le dimanche! Chez nous, les églises sont pleines, souvent nous devons distribuer la communion à des centaines de personnes à l’extérieur. Si j’en avais la possibilité, je prendrais vos églises vides pour les emporter au Bangladesh. Nous parvenons à construire des églises avec l’aide, entre autres, des OPM, mais l’affluence est telle que c’est insuffisant. Construire une Eglise au Bangladesh n’est pas très cher, environ 200’000 francs, mais nous n’avons pas toujours le financement. Missio nous donne une partie des fonds et nous devons boucler le budget auprès d’autres donateurs. Dans les villages, bâtir une église en bois coûte moins cher, environ 20’000 francs. Le financement d’églises ou de chapelles fait partie de nos demandes auprès de Missio. (cath.ch/bh)
> Le 19 octobre à 11h30 se tiendra, en la basilique Notre-Dame de Genève, la messe du Dimanche de la Mission Universelle.
Comment et née votre vocation?
Ma vocation de prêtre est venue en voyant un missionnaire dans la paroisse de mon village. J’avais 6 ou 7 ans. Sa vie et son leadership en tant que pasteur m’ont marqué. Je l’ai vu très proche des gens qui l’appréciaient beaucoup, non seulement les chrétiens mais aussi les hindous et les musulmans. Tout le monde le connaissait, les gens venaient à pied de loin pour le voir. J’ai pensé que je pouvais être un prêtre comme lui. BH
Le Père Gomes
Le Père Peter Chanel Gomes, né en 1981 à Tuital/Dhaka au Bangladesh, est entré au petit séminaire à l’âge de 14 ans. Après 16 ans de de formation, il a été ordonné prêtre pour l’archidiocèse de Dhaka en 2011. Après avoir exercé diverses missions pastorales dans plusieurs paroisses et occupé la fonction de vice-recteur au St. Joseph’s Intermediate Seminary, il a approfondi sa formation à Rome, obtenant une licence en liturgie.
Depuis 2022, il est Directeur national des Œuvres Pontificales Missionnaires (OPM) au Bangladesh et Secrétaire exécutif de la Commission épiscopale pour l’évangélisation. À ce titre, il coordonne à l’échelle nationale l’action missionnaire, soutient des projets éducatifs et sociaux et promeut la conscience de la solidarité universelle de l’Église. Parallèlement à ses responsabilités il enseigne la liturgie et assume la charge de Maître des cérémonies de l’archidiocèse de Dhaka, unissant ainsi l’élan pastoral, liturgique et missionnaire. BH