Marie dans le Coran: un pont entre les religions et au sein de l’Église
Marie est spécialement vénérée le 8 décembre, lors de la fête de l’Immaculée conception, mais les musulmans honorent aussi la mère de Jésus. Une sourate entière du Coran lui est consacrée. Un texte qui peut certainement encourager les partisans des droits des femmes dans l’Église catholique, mais qui donne aussi des arguments aux opposants à ces revendications.
Klaus von Stosch, pour kath.ch / traduction et adaptation: Raphaël Zbinden
Beaucoup ignorent qu’il existe également une histoire de Noël dans le Coran et le rôle extraordinaire que Marie y joue. Le prophète Mahomet s’est fortement inspiré de la mère de Jésus, dans laquelle il a trouvé une source de réconfort lors de ses premiers échecs à La Mecque. La version coranique décrit Marie comme abandonnée et dans le besoin – seule dans le désert, attaquée par toute sa tribu à cause de son enfant vu comme illégitime, désespérée et souhaitant mourir. Mahomet voit en elle le reflet de son propre destin. Car lui aussi est rejeté par son propre peuple à La Mecque, au point qu’il doit finalement s’enfuir de la ville.
Il est touchant de voir avec quelle force le Coran souligne la pureté de Marie et son élection parmi toutes les femmes. Mais Marie n’est pas seulement une figure d’identification pour Mahomet, elle inspire également sa théologie.
Les traits féminins de Dieu
La sourate du Coran consacrée à Marie introduit le nom divin de la miséricorde. Lorsque le destin de Marie est raconté, Allah devient le Tout Miséricordieux – un nom qui, à partir de ce moment, marque tout le texte sacré. Étymologiquement, en arabe, ce nom est apparenté à l’utérus, de sorte que sa sonorité même révèle déjà les traits féminins de Dieu.
Le fait que la Marie coranique soit considérée comme une préfiguration du Christ apparaît clairement lorsqu’elle ne trouve rien d’autre à opposer aux accusations de sa famille qu’une référence muette à son fils. Comme sur de nombreuses icônes déjà répandues à l’époque de la rédaction du Coran, Marie renvoie ainsi de tout son être à son fils. Et ce fils défend sa mère dès son plus jeune âge.
«Le dogme impérial de l’indestructibilité des vêtements de Marie est radicalement rejeté par le texte islamique»
Dans l’Évangile selon saint Jean, la mère de Jésus est à l’origine de l’action de ce dernier dans le monde. Mais dans le Coran, le premier discours prophétique de Jésus survient déjà peu après sa naissance, précisément parce que Marie est en danger et a besoin de son aide salvatrice. Ce n’est que plus tard que Jésus apparaît dans le Coran comme le guérisseur et le sauveur du peuple.
Contre la propagande byzantine
Selon de récentes recherches, de nombreuses déclarations du Coran sur Marie et Jésus doivent être comprises comme des réponses à la propagande d’Héraclius [l’empereur byzantin (610-641) utilisait des symboles religieux, notamment l’indestructibilité des reliques et des vêtements de Marie, pour affirmer sa légitimité, ndlr]. Mais le Coran rétorque avec force que Dieu, s’il le voulait, pourrait également vaincre et détruire Marie et Jésus. Le dogme impérial de l’indestructibilité des vêtements de Marie est radicalement rejeté par le texte islamique. Un point qui a longtemps intrigué les chercheurs.
«Le Coran insiste sur le fait que Jésus et Marie devaient manger, comme nous tous»
Ainsi, dans un passage particulièrement énigmatique, le Coran souligne que Marie et Jésus devaient manger et boire comme nous tous (Q 5:75). Il s’en prend ainsi à la conception chrétienne de la fin de l’Antiquité selon laquelle Marie et Jésus, préservés du péché originel, étaient également libérés des conséquences de la chute et n’avaient ni à souffrir, ni à manger, ni à mourir. Bien sûr, les chrétiens de la fin de l’Antiquité savaient bien que Marie et Jésus avaient mangé, souffert et étaient morts. Mais ils voulaient propager l’idée selon laquelle la Vierge et son fils avaient choisi librement de le subir, alors qu’ils n’y étaient pas obligés de par leur nature.
Cette conception est attestée dans la théologie impériale de Byzance. Elle est utilisée pour justifier que l’indestructibilité du corps de Marie se soit transmise à ses vêtements, de sorte que ceux-ci peuvent désormais protéger la ville pendant la guerre.
Une marie antijuive?
Le Coran insiste, de son côté, sur le fait que Jésus et Marie devaient manger comme nous tous et que Marie a eu des contractions tout à fait normales et douloureuses lors de la naissance de Jésus. Pour les chrétiens d’aujourd’hui, cela va de soi. Mais à la fin de l’Antiquité, cette idée constituait une attaque frontale contre la propagande impériale de Byzance. Il y a donc tout lieu de penser que les passages du Coran qui traitent Marie et Jésus de manière critique ne sont pas dirigés contre le christianisme en tant que tel, mais contre son utilisation à des fins de propagande militaire – et contre l’idée, de plus en plus répandue à la fin de l’Antiquité, que l’Église avait remplacé le judaïsme et le rendait superflu.
«La Marie du Coran devient une figure de transition permettant d’apaiser les conflits religieux»
La Marie coranique retrouve ainsi non seulement sa signification biblique et spirituelle, mais elle est également libérée de son utilisation antijuive. En même temps, la haute estime dont jouit Marie dans le Coran vise également à mettre fin à la propagande antichrétienne du côté juif. En effet, la conquête provisoire de Jérusalem par les Perses [en 614] avait suscité dans les milieux juifs l’espoir de la reconstruction du temple et a conduit, par exemple dans le Sefer Serubabbel, à évoquer des combats apocalyptiques contre le Messie et sa mère. Le but du Coran était donc de contrer la propagande antijuive de l’Église impériale.
Le Coran au secours d’Israël
Dans cette guerre de propagande judéo-chrétienne particulièrement virulente dans la péninsule arabique, le Coran s’efforce d’adopter une position modérée, censée permettre aux deux parties de se reconnaître mutuellement. La Marie coranique devient ainsi une figure de transition permettant d’apaiser les conflits religieux, à l’opposé du rôle de déesse de la guerre que lui avait attribué l’empereur chrétien.
«Le Coran se concentre entièrement sur la mère de Marie et sa relation avec Dieu»
Alors que Marie était pour les chrétiens le nouveau temple reconstruit et donc l’accomplissement même des espoirs juifs, le Coran la place dans le temple. Dans les sources chrétiennes de l’Antiquité tardive, Jean-Baptiste n’apparaît plus que dans sa fonction de référence à Jésus. Sa mort et celle de son père, le prêtre du temple Zacharie, symbolisent la chute du judaïsme.
Le Coran montre clairement, de son côté, que Dieu est fidèle à son alliance avec le peuple juif. Il le fait en décrivant Zacharie comme ayant une relation intime avec Dieu et en donnant à Jean un nom qui souligne sa vitalité durable. Autant d’indications que le Coran cherche à reconnaître l’importance persistante d’Israël.
Un symbole féministe?
Une particularité réside enfin dans le fait que c’est Anne, la mère de la Marie coranique qui place cette dernière et sa descendance sous la protection spéciale de Dieu et qui consacre sa fille au service du temple de sa propre initiative. Alors que les sources chrétiennes de l’Antiquité tardive donnent l’impression que ce sont surtout les prières de Joachim le père de Marie qui sont exaucées, le Coran se concentre entièrement sur la mère de Marie et sa relation avec Dieu. Elle est décrite comme ayant une intimité particulière avec le Très Haut, auquel elle souhaite donc consacrer son enfant. Le Coran reprend ici la tradition juive selon laquelle les enfants peuvent être exemptés de l’étude de la Torah et du service au temple.
«Marie reste une vierge humble et dévouée à Dieu, selon l’image idéalisée des femmes de cette époque»
Cependant, une telle exemption n’était en réalité prévue dans la religion juive que pour les enfants de sexe masculin. Tout comme dans le christianisme, aucune fille ne pouvait être consacrée pour un service liturgique. C’est pourquoi le rôle cultuel de la mère de Marie, tout comme la consécration ou l’exemption de Marie pour le service du temple, peuvent être compris comme un encouragement de la Marie coranique aux femmes qui luttent, de nos jours, pour obtenir davantage de droits pour les femmes dans l’Église catholique.
Vierge dévouée
Cependant, le Coran offre également des arguments aux adversaires de ces revendications. Dans la mesure où cette Marie combative et consacrée au service du temple est toujours en même temps une vierge humble et dévouée à Dieu, selon l’image idéalisée des femmes de cette époque.
La Marie coranique peut donc non seulement servir de pont entre les religions, mais le regard porté sur elle pourrait également contribuer à apaiser les conflits internes au catholicisme. Elle invite en effet à se concentrer sur l’essentiel – la dévotion au Dieu miséricordieux – une dévotion qui bouleverse sans cesse nos attentes. (cath.ch/kath/kvs/rz)

Dans le Coran, Marie (Maryam) est citée dans la sourate Âl-‘Imrân. Elle est le seul personnage féminin du livre sacré des musulmans à bénéficier d’une sourate entière. Elle y apparaît comme une femme choisie entre toutes les autres et spécialement purifiée par Dieu. Elle est décrite comme un modèle de piété, de chasteté et de dévotion.
Le Coran rapporte que Marie fut consacrée à Dieu avant sa naissance par sa mère. Elle grandit dans un sanctuaire sous la protection du prophète Zakariya (Zacharie), qui vivait auprès d’elle des provisions miraculeuses.
Un ange — souvent interprété comme l’ange Gabriel — lui annonce qu’elle aura un fils, ‘Isa (Jésus), malgré sa virginité. Marie se retire par la suite dans un lieu éloigné et accouche seule, soutenue miraculeusement par un ruisseau apparu à ses pieds et un palmier sec qui donne des dattes fraîches. À son retour parmi les siens, elle subit des accusations. Le nourrisson Jésus parle alors au berceau pour défendre sa mère et affirmer sa mission de prophète.
Le mystique soufi perse du 13e siècle Ruzbehan Baqli Shirazi dit à son propos: «La substance de Marie est celle de la sainteté originelle. Éduquée par Le Vrai (Al-Haqq: nom divin) dans la lumière de l’intimité, elle est, en chacune de ses respirations, aimantée par les signes de la proximité vers le foyer des lumières divines… Elle devint alors porteuse de la Parole la plus haute et de la lumière de l’Esprit le plus élevé.» RZ






