Kosovo: Rapport accablant de Human Rights Watch sur les atrocités serbes à Glogovac
Numéro 442 de , juillet-août 1999. Adresse de la revue: chaussée de Dinant, 115 – 5000 Namur (tél.081/22.28.91; fax 081/24.10.24;E-mail: Vivant.univers@skynet.be).
Les paramilitaires serbes, principaux responsables des atrocités
Bruxelles/New York, 28 juillet 1999 (APIC) L’association Human Rights Watch (HRW), observatoire international pour les droits humains, a publié mardi à Bruxelles et à New York, un rapport détaillé sur la manière dont les forces serbes et yougoslaves ont attaqué et terrorisé au Kosovo la population d’un des bastions de la guérilla de l’UçK, la ville de Glogovac, et des villages environnants. Les groupes paramilitaires serbes seraient les principaux responsables des atrocités contre la population civile.
HRW presse le Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie de localiser et d’interroger un officier de police cité dans le rapport sous le nom de «Lutka». Cet homme disposerait de renseignements précieux sur l’identité des auteurs d’exécutions sommaires et d’autres atrocités dans la région.
23 enfants massacrés
Entre la mi-mars et la mi-juin de cette année, c’est-à-dire durant les trois mois où le gouvernement serbe a déployé sa campagne d’épuration ethnique, le rapport de 25 pages établi par HRW fait état de plusieurs exécutions sommaires, dont le massacre de 23 enfants. Il recense en outre de nombreux cas de détentions arbitraires, de mauvais traitements, de pillages, de destructions d’écoles, d’hôpitaux et d’habitations privées.
Bastion de l’Armée de Libération du Kosovo (UçK) et terrain constant de combat avec les forces gouvernementales, la municipalité de Glogovac a vécu une de ses heures les plus affreuses entre le 19 mars et le 15 juin. C’est la période entre le retrait des observateurs internationaux envoyés au Kosovo par l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE), juste avant la campagne de bombardement menée par l’OTAN, et le retrait des forces serbes et yougoslaves de la région.
L’exemple de deux villages
Les plus graves atrocités mentionnées dans le rapport ont eu lieu dans deux villages proches de Glogovac et contrôlés par l’UçK : à Staro Cikatovo et à Stari Poklek. A Poklek, la police serbe a bloqué dans leur fuite un groupe d’albanophones, pour la plupart membres de la grande famille des Muqolli, et les a forcés à se rassembler dans la maison d’un parent. Après quelques heures, les policiers ont fait sortir le propriétaire de la maison, Sinon Muqolli, et un autre homme; ils les ont exécutés et ont jeté leur corps dans le puits familial.
Un peu après, une grenade a été jetée dans la pièce où s’étaient massées au moins 57 personnes, dont 32 enfants et adolescents de moins de 15 ans. Puis, un homme en uniforme a tiré à l’arme automatique en direction de la pièce. Seules 6 personnes ont survécu, rapporte un des survivants. Un membre de la famille Muqolli est un chef local de l’UçK.
Le 25 juin, un enquêteur de Human Rights Watch a visité la maison incendiée de Sinon Muqolli. Il a constaté des impacts de balles sur les murs de la pièce où la tuerie a été perpétrée, tandis que des douilles en provenance d’une arme de gros calibre étaient dispersées sur le sol. Dans la pièce du dessous, il a retrouvé des traces de sang séché qui avait coulé du plafond ou des murs ainsi qu’une mare de sang séché sur le sol. Les survivants de la famille avaient recueilli dans une boîte des ossements qu’ils disent avoir récupéré dans la pièce et ils ont fait voir un puits tout proche où, selon eux, des corps auraient été jetés.
Quant au village de Staro Cikatovo, il a aussi subi, le 17 avril, une attaque de la police serbe, qui a séparé les hommes des femmes et des enfants. A la fin de la journée, 23 hommes de la famille Morina ont été tués. Quatre autres étaient toujours portés disparus en date du 25 juin et leurs proches présument qu’eux aussi ont été exécutés. Les survivants soulignent toutefois qu’aucun des villageois tués n’était engagé dans l’UçK, même si d’autres membres de leur famille en faisaient partie, y compris deux hommes qui furent blessés lors de l’assaut du village. Comme dans le village de Poklek, les sympathies familiales avec l’UçK pourraient être une explication des exécutions.
Human Rights Watch a visité Staro Cikatovo le 25 juin. Sur une centaine d’habitations, près de la moitié ont été détruites ou sérieusement endommagées. La plupart des maisons ont été incendiées de l’intérieur, ce qui laisse penser qu’elles ont été la proie des flammes non pas à cause des combats, mais suite à un projet incendiaire. Plusieurs saccages ont également été entrepris au bulldozer.
Une élimination planifiée
Le rapport de l’association HRW montre que les actions perpétrées sur le territoire de Glogovac ont été clairement coordonnées entre la police serbe, l’armée yougoslave et des groupes paramilitaires. Les membres de ces groupes portaient la barbe et de longs cheveux, ainsi que des bandeaux de couleur aux manches ou au front, selon des témoins. Si la police est tenue pour responsable des coups et des mauvais traitements infligés sur le territoire de Glogovac et pour organisatrice des expulsions massives, c’est aux groupes paramilitaires, souligne HRW, qu’il faut attribuer la plupart des graves violences commises, comme à Poklek et à Staro Cikatovo.
La seule personne que des témoins aient pu identifier est un chef adjoint de la police de Glogovac appelé «Lutka», policier connu dans la commune. Selon certains, il ne se serait pas personnellement livré à des brutalités comparables à celles des paramilitaires, mais il aurait participé à des pillages et il serait le principal organisateur de l’exode massif des albanophones de la région dès le mois de mai.
Human Rights Watch ajoute que ces crimes ne sont pas les premiers crimes de guerre commis par les forces serbes ou yougoslaves dans la municipalité de Glogovac. Depuis février 1998, la région de la Drenica, bastion de l’UçK, a été le siège de nombreuses exécutions, détentions arbitraires et destructions systématiques d’habitations civiles, dont des écoles, des cliniques et des mosquées.
C’est pourquoi HRW lance un appel à la communauté internationale pour que le Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie bénéficie du soutien financier et politique nécessaire, pour qu’il soit aidé dans son travail en vue de réunir les preuves et les témoignages, et pour que soient assurées au maximum la protection des témoins et la sauvegarde des preuves. HRW presse également la communauté internationale de fournir au Tribunal Pénal toute autre information utile relative aux crimes de guerre et autres abus commis au Kosovo. (apic/cip/be)