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Homélie

Homélie du 21 décembre 2025 (Mt 1, 18-24)

Pasteur Virgile Rochat – Eglise du Sacré-Cœur, Lausanne

Virgo Virginens

Aujourd’hui, quatrième dimanche de l’Avent. L’évangile de ce jour est consacré à la vierge Marie. Il y a une logique, Noël est à bout touchant… mais pourquoi en tant que pasteur protestant invité à prêcher dans une messe, ici au Sacré Cœur et sur les ondes, pourquoi avoir choisi précisément de méditer sur ce sujet clivant, sur la vierge Marie ? J’aurais pu choisir les textes de fin des temps du premier Avent. Ou choisir Jean-Baptiste. Non j’ai choisi Marie. Sainte Marie.

Pourquoi ?
Cela demande une petite explication préalable : il y a deux ans environ, Marc Donzé, le célébrant de cette messe, spécialiste de Maurice Zundel, m’avait demandé de le remplacer au débotté pour donner une conférence sur rien moins que : « la vierge Marie chez Zundel ». Je lui avouais ma perplexité. Moi, pasteur protestant, donner une conférence sur Marie chez Zundel à des catholiques ? Il me dit : je te donne des textes, tu les travailles et tu en rends compte. Je m’y suis mis… et grand bien m’en a fait, cette préparation a enrichi de manière étonnante un aspect fort intéressant de l’identité de Marie que je vais tenter de vous partager maintenant.

Il faut d’abord savoir que Maurice Zundel en n’a pas beaucoup parlé, (quelques mentions, un livre) mais Marie joue un rôle essentiel dans sa spiritualité tout au long de sa vie. Petit flash back :

Un verbe d’action : virginiser. Rendre pur, net, créer de l’espace

Tout commence par une expérience mystique chez le jeune Maurice, il a alors 14-15 ans. Dans l’église rouge de Neuchâtel, mystérieusement la vierge Marie lui apparait. Elle lui apparait comme Virgo Virginens, comme Marie qui rend vierge. Et cela va incurver, va orienter toute sa carrière, toute sa spiritualité. Rendre vierge, rendre pur, rendre net, faire un vide, créer de l’espace. Un verbe d’action : virginiser.
Virgo Virginens : vierge qui virginise

C›est ça qui m’a flashé. Pourquoi ?
Quand on regarde nos vies, quand on regarde nos histoires de famille, de société, notre histoire avec une grande Hache comme le dit l’écrivain Georges Perec, quand on regarde nos civilisations, on ne peut pas ne pas avouer qu’on a un fort besoin de virginité, un fort besoin de pureté, de chasteté pour pouvoir avancer dans la vie, pour ne pas sans cesse répéter, redupliquer les structures de malheur. On a besoin, on aurait besoin de pouvoir planter ses racines dans un passé net de toute adhérence, de tout miasme, de « ce passé que l’on traine qui nous colle comme chaine » comme le dit la chanson de Claude Léveillée .
Les cabinets de psy sûrement, les confessionnaux peut-être, les bureaux de coaching sont remplis de personnes (nous, moi) qui cherchent à se libérer de ce qui les engluent et les empêchent de se déployer, de se redresser, de s’accomplir… Etes-vous d’accord ?

Eh bien ça tombe bien, car la vierge Marie qui se révèle à Zundel est virginisante. Virginisante pour lui et pour nous. En quoi ?

Le message central de Maurice Zundel

Pour le savoir il faut brièvement évoquer ici ce que je crois être le message central de Maurice Zundel.
Pour Maurice Zundel le problème que nous sommes, c’est que sur terre (pour le moins), les choses ne vont pas comme elles devraient aller. Il y a de la violence, de l’injustice, de l’insécurité, du malheur sur la terre. Pour l’abbé, tout cela provient du fait que, quand on nait (du verbe naître), quand nous naissons, nous sommes préfabriqués. Quand nous venons au monde nous sommes chargés de tout un fatras de réalités que nous héritons, que nous n’avons pas choisies et qui nous alourdissent, qui nous freinent et nous empêchent de devenir qui nous sommes en vérité, des humains accomplis unifiés, debout. Nous avons besoin d’être délivrés, de passer du « moi résultat » que nous sommes (résultat de tous nos héritages) au « moi origine », créateur et foncièrement libre.

Pour Maurice Zundel ce passage de la servitude à la liberté, la voie royale, s’opère d’émerveillements en émerveillements, ces états de conscience qui à la fois nous transportent et nous libèrent de nous même…

Mais ce mouvement de libération, d’affranchissement, de délivrance peut se conceptualiser se penser et se vivre aussi comme un immense désir de virginité.
Nous avons besoin d’être purifiés, rendus nets, chastes pour devenir créateurs et origines de nous même, acteurs de nos vies. Nous avons besoin d’un départ léger. L’image d’une page blanche où l’on va pouvoir écrire sa vie est une bonne image, page blanche qu’on appelle aussi page « vierge » ce qui n’est pas pour rien !

C’est le Christ qui nous sauve, mais Marie peut nous conduire à Christ

En quoi Marie, la vierge Marie peut elle être d’un grand secours dans ce processus ?
(là je vais demander à mes frères protestants (et à moi-même) une grande ouverture d’esprit)
Marie est virginisante dit Zundel, car, différemment de nous autres humains, quand elle nait, elle est déjà libérée de tout ce fatras qui nous alourdit nous, elle nait comme une personne accomplie, aboutie alors que nous naissons préfabriqué avec tout un travail de libération à faire.
Il y a une logique, par cette naissance pure (vous reconnaissez ici le dogme de l’immaculée conception et rappelons au passage que le dogme n’est pas une vérité à asséner au marteau, mais vu et reçu comme la « protection d’un mystère »). Le dogme de l’immaculée conception, vu de cette manière trouve une formidable consistance et peut éclairer notre chemin. Bien sûr dit Zundel, c’est le Christ qui nous sauve, et cela c’est parfaitement partagé par tous les chrétiens, mais Marie peut nous conduire à Christ : on retrouve la parole de Marie aux noces de Cana : « faites tout ce qu’il vous dira ! »

Ca c’est pour le dogme de l’immaculée conception, mais il y en a une autre, tout aussi problématique pour la raison, celui de la naissance virginale de Jésus. Ici Zundel insiste pour qu’on ne passe pas trop vite sur la l’impossibilité d’un tel miracle, au risque de se priver du sens qu’il recèle (comme de tous les miracles d’ailleurs)…

Ecoutons Maurice Zundel : Marie est totalement reliée à Dieu, pleinement désireuse de faire sa volonté, ainsi « Son corps devient prière, sa chair n’est plus qu’une oraison. Et la Présence, qui est le désir de son cœur et la respiration de son esprit, prend corps dans son corps et devient chair dans sa chair, et le Christ naît, selon la chair, de la prière de ce corps, de l’oraison de cette chair.
C’est du Zundel : tout est dit… mais qu’est-ce que c’est dense.

Cette fonction virginisante de Marie éclaire là encore la naissance virginale de Jésus non pas comme un résultat, non comme un fruit de la nature, mais comme une personne au sens zundélien, une personne déjà pleinement accomplie, créatrice, origine, qui peut progressivement faire de nous des personnes unies, créatrices et origine. Si c’est Marie qui virginise, c’est Christ qui est visé, c’est le Christ qui sauve.

Chercher à se laisser devenir ce que l’on est en plénitude

Bon, redescendons de ces hauteurs (ou de ces profondeurs). Concrètement que faire de tout cela ?
Peut-être d’abord chercher en nous tout ce qui a besoin d’être virginisé, tout ce qui nous colle à la peau, nous retient, nous écrase, nous empêche de cheminer vers une humanité accomplie. Chercher en fait à se laisser peu à peu devenir ce que l’on est en plénitude. Cela nous délivrera peu à peu de ce qui nous entrave dans notre désir de pardon, de partage et d’amour.

Et puis après et peut-être aussi apprendre à porter sur les autres un regard de virginité, de non jugement, voir l’autre, la virginité possible qui est en lui, porter un regard qui innocente, qui élève, qui illumine… c’est tellement nécessaire dans notre monde tellement assombri…

« Chaque fois qu’on se sent fatigué, las, accablé par le travail et les épreuves de la vie, par toutes les poussières qui s’accumulent, par toutes les infidélités qui échappent à notre fragilité humaine, il faut s’exposer à cette lumière virginale et, rien qu’en entrant dans cette mouvance, rien qu’en entrant dans ce sillage, déjà on respire mieux, déjà c’est une clarté et on est attiré, doucement et de l’intérieur, vers le centre qui est Jésus ». (1959)

4e dimanche de l’Avent
Lectures bibliques : Isaïe 7, 10-16; Psaume 23; Romains 1, 1-7; Matthieu 1, 18-24

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21 décembre 2025 | 09:40
Temps de lecture : env. 6  min.
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