La force d’une personnalité discrète

Londres: Décès du cardinal Basil Hume

Par Peter Stanford, pour l’agence œcuménique ENI *

Londres, le 18 juin 1999 – Le cardinal Basil Hume, chef de l’Eglise catholique d’Angleterre et du Pays de Galles, mort le 17 juin dans un hôpital de Londres d’un cancer à l’âge de 76 ans, n’avait jamais eu l’ambition de diriger l’Eglise catholique d’Angleterre et du pays de Galles et il n’a certainement jamais eu de visées sur la papauté même s’il a souvent été mentionné comme un candidat papable.

Aussi la surprise avait-elle été générale lorsqu’en 1976, ce bénédictin modeste, qui aurait été heureux de passer sa vie dans sa chère abbaye d’Ampleforth dans le nord du Yorkshire, a été choisi pour succéder à John Heenan, à la forte personnalité, comme cardinal archevêque de Westminster.

Malgré ses craintes initiales et une gaucherie charmante à l’annonce de sa nomination, Basil Hume allait acquérir une réputation internationale et nationale parmi les évêques, politiciens et croyants de toutes confessions – celle d’un homme de Dieu, sage, pragmatique, et d’une grande bonté.

Sa nomination à Westminster a été une idée de génie du Vatican. Lorsqu’il était à Ampleforth, Basil Hume était considéré dans les milieux de l’Eglise comme un penseur, mais ailleurs, il était pratiquement inconnu. Et pourtant, l’humilité, le charisme, l’absence évidente de toute ambition personnelle de Basil Hume, qui semblait avancer sous la protection de Dieu, lui ont rapidement acquis la sympathie des Anglais.

Dans un pays où les catholiques ont été exclus de la vie publique jusqu’en 1834 et où, dans les années 50 et 60, des villes comme Liverpool connaissaient encore une ligne de division aussi dure que celle qui sépare Belfast aujourd’hui, Basil Hume incarnait la guérison des blessures du schisme déclaré sous le roi Henri VIII. Certains en vinrent même à regarder Basil Hume – et non les archevêques anglicans de Cantorbéry, souvent controversés – comme le véritable leader spirituel de la nation.

Un authentique Anglais

Le cardinal Basil Hume était authentiquement Anglais: sa naissance dans une famille de la haute bourgeoisie, son accent, ses amitiés avec des personnalités de l’Establishment, son sens de la diplomatie, ont fait de ce cardinal, qui hésitait à assumer une telle fonction, un politicien remarquable, aussi bien dans les milieux ecclésiastiques que dans les autres. Il n’y a eu pratiquement aucune critique à son sujet.

En Grande-Bretagne, c’est lui qui a lancé une action après une série de dysfonctionnements de la justice et l’emprisonnement pour crimes terroristes de femmes et hommes irlandais innocents. En trois domaines – la situation des sans-abri, les écoles et le statut des réfugiés – il a usé d’une influence discrète mais efficace pour convaincre les ministres d’adoucir des mesures qu’il considérait comme excessivement dures. Et il ne portait le débat sur la place publique que si les politiciens ne suivaient pas.

Sur la scène internationale, il a été l’un des premiers à se rendre en Ethiopie durant la famine de 1985 et il a fait pression sur les gouvernements européens et la Communauté européenne pour qu’ils augmentent leur aide. En 1993, c’est à la suite de son intervention que le gouvernement thai»landais a libéré une jeune femme britannique détenue pour trafic de drogue. Au sein de l’Eglise catholique mondiale, il s’est taillé une remarquable réputation, surtout dans les années 80, lorsqu’il occupait la présidence du Conseil des conférences épiscopales européennes.

Ses relations avec le pape Jean-Paul II étaient cordiales, mais jamais détendues. Au Vatican, nombreux étaient ceux qui se méfiaient du cardinal Hume, car ils ne savaient jamais où il se situait. Il évitait de prêcher sur les questions de moralité sexuelle. Il a limité les activités en Grande-Bretagne de l’Opus Dei, une des organisations favorites de Jean-Paul II. Même s’il s’est exprimé contre l’avortement, il a résisté avec succès à toute tentative d’en faire la clef de voûte de l’orthodoxie catholique.

Artisan des relations avec les anglicans

Cependant, Basil Hume a reçu un grand soutien de Rome dans un domaine qui a peut-être été sa plus grande réussite – le règlement délicat du problème potentiellement explosif de la vague de déserteurs anglicans vers Rome à la suite de la décision du synode de l’Eglise d’Angleterre d’ordonner les femmes à la prêtrise en 1993. Alors que certains commentateurs catholiques annonçaient déjà le cortège de ministres, de rédacteurs, de membres de la famille royale allant à Rome comme l’aube de la reconversion de l’Angleterre, Basil Hume a coupé court à ces propos, les qualifiant de triomphalisme déplacé.

Son approche pastorale et discrète lui a permis d’accepter plusieurs centaines d’anciens ecclésiastiques anglicans, certains avec leurs paroisses, au sein de l’Eglise catholique, sans précipiter la rupture des relations oecuméniques avec l’Eglise d’Angleterre. Le fait que beaucoup de ces convertis possédaient des vues profondément traditionalistes – et par là en désaccord avec le libéralisme social et théologique du cardinal Hume – ne l’a pas empêché de faire tout pour qu’ils trouvent un refuge spirituel. Et lorsque certains ecclésiastiques mariés ont voulu devenir des prêtres catholiques romains, il a négocié un accord avec Rome qui les autorisait à le faire, sans porter un coup fatal à la règle du célibat des prêtres.

Ces conversions ont radicalement modifié le climat oecuménique durant les années où il était encore en fonction à Westminster. Et pourtant son engagement au service des relations entre Eglises n’a jamais faibli. A Ampleforth, il avait encouragé la participation catholique au sein d’un Conseil local d’Eglises, et à Westminster, il a mis fin à l’isolement de l’Eglise en la guidant vers l’adhésion au Conseil d’Eglises de Grande-Bretagne et d’Irlande.

Avec le cardinal Hume, le catholicisme anglais a conservé son homogénéité tout en développant la diversité. Il s’est toujours efforcé de trouver un consensus, même lorsqu’il était tiraillé entre plusieurs directions – comme dans le cas des ecclésiastiques convertis – et généralement, il a réussi, par la simple force d’une personnalité certes discrète, mais qui ne devait pas être sous-estimée. (apic/eni/mp)

18 juin 1999 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 4  min.
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