Actualité: Jacques Gaillot, révoqué comme évêque d’Evreux il y a quatre ans, répond pour l’APIC aux critiques formulées récemment par le quotidien «La Croix»
APIC-Interview
Jacques Gaillot, évêque de Partenia
«Je vis dehors, je suis sur le parvis»
Par Jean Claude Noyé, pour l’agence APIC
Paris, 30 mai 1999 (APIC) Quatre ans après sa révocation comme évêque d’Evreux, Mgr Jacques Gaillot reste «un évêque du parvis» comme il aime à se qualifier lui-même. Actif surtout dans le domaine de la lutte en faveur des sans-logis, il dit avoir trouvé sa place aux frontières de l’Eglise, pour semer l’évangile dans des lieux inhabituels. Sa dernière prise de position publique est un soutien à la liste d’extrême gauche emmenée par Arlette Laguillier et Alain Krivine pour les élections européennes. Récemment mis en cause par «La Croix», il répond aux questions du correspondant de l’APIC à Paris.
APIC: Le quotidien «La Croix» vous a récemment consacré un article assez acerbe. Comment réagissez-vous ?
Mgr Jacques Gaillot: Le fond en était effectivement désobligeant et a blessé ceux qui me soutiennent, laïcs et membres du clergé. C’est pour eux, et non pour moi-même, que j’ai de la peine.
APIC: Ce même article évoque «un homme réfractaire à tout fonctionnement institutionnel»….
J.G.: Je ne me reconnais pas dans cette description. L’Eglise est faite pour ceux qui n’y sont pas, elle n’est pas seulement l’Eglise des chrétiens. De même, comme évêque on n’est pas seulement au service des chrétiens. Si je reste salarié par la Conférence épiscopale, c’est que ma tâche première est d’annoncer l’Evangile dans des lieux inhabituels, comme un semeur, par mes engagements, en tant qu’évêque – les gens que je contacte savent d’où je viens – dans les associations Droit au logement (DAL), Droits Devant et le Comité Des Sans Logis (CDSL) que je préside. Je suis là au service des droits de l’homme et des plus pauvres. «Le chemin de l’Evangile est le chemin de l’homme», Jean Paul II dixit.
APIC: Quels sont vos liens aujourd’hui avec la Conférence épiscopale ?
J.G. Je vis dehors, je suis sur le parvis. L’univers des évêques n’est plus le mien. L’évêque de Partenia a un espace autre, il est l’évêque des autres. Je suis très entouré mais rarement de chrétiens. Dernièrement j’ai mangé avec Mgr David, dont je salue le travail accompli à Evreux. Mais mon pain quotidien n’est pas la vie ecclésiale.
APIC: Ne souffrez-vous pas de cette coupure avec l’Eglise ?
Non. Ma vie, une fois de plus, est autre. Elle est passionnante et fort remplie.
APIC: Avec le recul, comment analysez-vous, votre destitution ? Avez-vous pardonné?
J.G.: Je n’ai jamais eu de rancune dans le coeur. C’est un événement qui m’a permis d’aller plus loin, d’avoir plus de liberté d’action. Au fond, je remercie Rome pour cette plus grande marge de manoeuvre. De fait, ce n’était pas facile, comme évêque, d’assumer cette fonction à la fois pour ceux du «dedans» (de l’Eglise) et ceux du «dehors». Par ailleurs, cette destitution est un événement qui a ouvert les yeux à beaucoup de chrétiens. Ceci étant, il y a eu une injustice et je crois qu’il reste quelque chose à faire pour la réparer; un geste à poser de la part de Rome et des évêques, une «réparation» qui serait positive pour l’image de l’Eglise, pour tous les gens qui sont blessés. Voyez, j’ai été invité par Mgr David à participer à Evreux, à l’occasion d’un événement appelé «Pentecôte 2000», à une grande messe qui sera retransmise en Eurovision. J’ai refusé de venir car cela donnerait l’impression que tout est arrangé, que je suis revenu. Or tel n’est pas le cas.
APIC: Quels sont vos liens avec l’extrême gauche ?
J.G.: Ce sont des liens liés à la défense de telle et telle cause. Par exemple je suis engagé à ses côtés dans le Mouvement de la paix, qui refuse les frappes de l’OTAN dans les Balkans. Mais les associations dans lesquelles je suis présent se veulent apolitiques. Je ne roule pour personne. Simplement je ne veux pas me contenter de bonnes paroles mais poser des actes, faire des gestes concrets. On me dit souvent : «Pourquoi êtes-vous là, à côté de ces gens? Ce n’est pas votre place !». Je réponds en retournant la question : «Pourquoi les autres chrétiens ne sont pas là ?»
APIC: Tout de même, vous avez déclaré que vous voteriez aux prochaines élections européennes pour la liste Laguillier-Krivine (Lutte Ouvrière-Ligue Communiste Révolutionnaire). Ce n’est pas anodin !
J.G: Je le ferai pour sanctionner la gauche au pouvoir qui m’a trop déçu. Que ce soit à propos des sans-papiers, de la loi de réquisition des logements vacants, jamais vraiment appliquée, de la loi dite de la double peine (les condamnés de nationalité étrangère, à leur sortie de prison, sont expulsés vers leur pays d’origine ndlr) que Mitterrand, Rocard et d’autre leaders socialistes s’étaient engagés à supprimer, ce qu’ils n’ont pas fait. Sans parler des prisonniers politiques basques qui, à leur sortie de prison, sont remis à la police espagnole, en dépit de leur statut de réfugiés politiques.
APIC: Pourquoi l’extrême gauche et pas le Parti communiste ?
J.G.: Parce que ce dernier a les mains liées par sa participation au gouvernement : c’est son problème. Pour moi, l’extrême gauche représente aujourd’hui la gauche. J’ai voté autrefois pour le Parti socialiste mais, en l’état, je ne veux plus le faire. Pour autant, je ne suis pas un militant d’extrême gauche ou de quelque parti que ce soit. Je ne participe à aucun meeting et j’ai refusé de figurer sur la liste du Parti communiste pour les élections européennes.
APIC: Votre présence dans les médias est plus discrète. Est-ce un choix délibéré ?
J.G.: Je ne suis jamais allé au devant des médias. Simplement, sollicité par eux, je n’ai pas eu crainte de perdre mon âme. Je dis volontiers que les médias les plus terribles sont ceux qui ne viennent pas, tel «Le Figaro» : il ne s’est pas privé d’écrire sur moi, dans des termes pas forcément sympathiques, mais ne m’a jamais rencontré… Cela dit, je crois salutaire d’être moins médiatisé, en tout cas beaucoup moins qu’au moment de ma sortie d’Evreux. Les actions de lutte contre l’exclusion, qui ont quelque chose de répétitif, et le fait que je ne sois plus évêque en responsabilité, ne sont pas, il est vrai, très médiatiques. (apic/jcn/mp)