Fraudes et presse «séquestrée» au Pérou: A. Toledo ne participera pas au second tour
L’OEA admet l’impossibilité d’un scrutin transparent pour le 28 mai
Lima, 19 mai 2000 (APIC) Le candidat de l’opposition Alejandro Toledo ne participera pas au second tour des présidentielles, fixé au 28 mai prochain. En l’absence de garanties suffisantes pour éviter la fraude électorale, Toledo, candidat de «Peru Posible», mais aussi les leaders de la grande majorité de l’opposition, ont demandé le report des élections pour le 18 juin, afin d’obtenir les garanties suffisantes de transparence. Le Jury national des élections (JNE) a refusé ce report. Quant au président Alberto Fujimori, il a d’ores et déjà décidé d’ignorer le boycott de son adversaire. Et de répondre présent, seul, le 28 mai.
L’acte politique du candidat Toledo place cependant le gouvernement de Fujimori dans une situation plus qu’embarrassante. Et la décision du président péruvien de se présenter malgré tout devant les électeurs pourrait bien plonger le pays dans une terrible crise. Dans les ambassades étrangères, la question de la légitimité d’un troisième mandat de Fujimori est déjà mise en cause. Les craintes d’affrontements armés sont réelles. Beaucoup de choses pourraient dépendre des forces armées, qui gardent pour l’instant le silence. Si ce schéma se confirme, ce dénouement politique représenterait une première en Amérique latine.
Pour Javier Pérez de Cuellar, ex-secrétaire général de l’ONU, «ce seront des élections de type soviétique comme du temps de Brejnev. Le gouvernement risque de paralyser les investissements étrangers et les transferts de la coopération internationale», a-t-il déclaré vendredi matin à Lima.
Le Jury national des élections (JNE), mis en place par le gouvernement du président-candidat Alberto Fujimori, a donc refusé ce report, le qualifiant d»’inutile». L’avis du JNE a été émis après le «non» exprimé à Ayacucho par Fujimori, interprété par la presse étrangère comme un ordre. Peu après les déclarations de Fujimori, le président du JNE, Alipio Montes de Oca, s’est référé à la Constitution péruvienne. La date du scrutin est inamovible, a-t-il déclaré. «Toledo ne peut pas se retirer. Les élections se tiendront donc comme prévu, avec ou sans lui».
Cette référence à la Constitution est largement contestée par le doyen du Barreau du Collège des avocats de Lima, Martín Bealunde Moreyra, qui affirme de plus que le JNE ne peut en aucun cas obliger Toledo à participer contre son gré à ce second tour.
Les doutes de l’OEA
Eduardo Stein, chef de la mission des observateurs de l’Organisation des Etats d’Amérique, avait pourtant soutenu la demande du candidat Toledo, après avoir reconnu l’absence de volonté pour garantir des élections sans fraude le 28 mai, ainsi que l’incapacité de l’ONPE (Office national du processus électoral), à mettre en place la transparence nécessaire, après son refus d’accorder aux observateurs l’accès au système de contrôle informatique, chargé de recueillir les chiffres issus des urnes. Une tâche qui incombe à la seule ONPE, mise elle aussi en place par le gouvernement.
Cette dernière a de plus substitué lundi un nouveau programme informatique pour comptabiliser les votes et ce, sans en aviser les délégués des partis politiques ni la mission de l’OEA. Dans un rapport rendu public jeudi, Eduardo Stein, a insisté pour dire qu’il était impossible de procéder à la vérification du programme à seulement dix jours du scrutin. La décision de Toledo est intervenue deux heures à peine après ce constat.
Alejandro Toledo a annoncé sa décision drastique au cours d’une conférence de presse. Ce dernier a par ailleurs convoqué le peuple à une journée nationale de protestation, vendredi 19 mai. L’opposition a-t-il déclaré, «ne permettra pas» un nouveau gouvernement du président Fujimori. «Je convoque le peuple péruvien à une marche pacifique et digne pour protester contre la dictature. Ensemble, nous serons dans les rues et sur les places du pays, unis pour la démocratie», a déclaré A. Toledo, en s’adressant à la foule réunie au centre de Lima.
Selon le candidat Toledo, il est impossible d’aller au second tour convoqué pour le 28 mai et de se laisser entraîner sans réagir dans l’engrenage de la fraude mis en place par le pouvoir actuel. Des organisations comme l’OEA, le Centre Carter, l’Institut national pour la démocratie, l’Organisation «Transparencia» et autres ONG avaient toutes dénoncé les irrégularités lors du premier tour. Un premier tour qui avait permis au président Fujimori de frôler la réélection le 9 avril dernier, avec plus de 49, 80% des voix, contre moins de 42% à son adversaire.
L’opposition s’en prend vivement aux chaînes de télévision non câblées, regardées par le 80% des Péruviens et entièrement contrôlées par le gouvernement. Dans une interview accordée à l’APIC, Luis Iberico, journaliste à «Liberacion» dénonçait il y a quelques jours le séquestre de la presse par le pouvoir, soulignant que le peuple était ainsi l’otage d’une communication unilatérale. Il évoquait la possibilité d’un retrait de Toledo. «Si rien ne change, par rapport aux garanties pour offrir un processus honnête et une presse ouverte à l’opposition, ce serait envoyer Toledo et la grande majorité du peuple à l’abattoir». (apic/pierre rottet)